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Interview de Nevchehirlian pour la sortie de Monde Nouveau, Monde Ancien

Interview de <i>Nevchehirlian</i> pour la sortie de <i>Monde Nouveau, Monde Ancien</i> en concert

Marseille 10 Avril 2009

Interview réalisée le 10 avril 2009 par Chlorophil

Quelques semaines avant le Festival Gravitations (trois jours pour fêter la sortie du premier album Monde Nouveau, Monde Ancien, trois jours de concerts avec Marcel Kanche, Sandra Nkaké et CocoRosie), rencontre et discussion avec Fred Nevchehirlian.

C'est un lendemain de concert (chroniqué ici même), une fin de dimanche matin ensoleillé à Marseille... Les yeux fatigués mais l'esprit et la langue alertes, Fred Nevchehirlian m'emmène en voiture de la plaine (où je le retrouve) à l'espace Borely. Tout Marseille : Depuis son ventre musical, jusqu'à sa mer... Depuis les rues étroites de la nuit, jusqu'à l'étendue bleue, l'ouverture et la lumière. L'interview commence dans la voiture, dans la circulation marseillaise et se termine face à la mer, avec le bruit des vagues et les cris de joie des enfants. Je rencontre un artiste avec un caractère trempé, mais une voix douce. Un Marseillais qui adore sa ville, mais ne parle presque que de voyage. Un fou de textes et de musique qui ne cesse d'évoquer la peinture... Et tout ça avec un calme et une patience absolus. Calme qu'il trouve sans doute en dispensant toute son énergie sur scène.




En écoutant ton album, la première impression, c'est que tu as eu la volonté d'accentuer le côté musical, même celui de la voix, et par provocation, j'ai envie de dire que les paroles n'y sont pas si importantes que ça.

Fred Nevchehirlian
: Ecoute... C'est une opération réussie alors. Ce n'est pas que c'est pas le plus important, c'est que je ne voulais pas que ça apparaisse comme le plus important. Je voulais que ce soit musical, que même le texte soit musical, qu'on ait en face de nous des chansons. Même si il n'y a pas les couplets, refrains habituels, qu'on soit pris par l'ambiance, par la musique, et que peut-être, à un moment donné on se dise "ah ! mais il y a le texte aussi" et puis que peut-être au bout d'un moment on se dise "ah ! mais j'avais jamais entendu, mais ça, ça veut dire ça". Qu'il y ait ce fonctionnement comme ça dans la durée, qu'on puisse découvrir petit à petit les choses, qu'on ne se lasse pas aussi de l'écoute.



Après plusieurs écoutes, ça m'a également fait penser à Dominique A, ou au #3 de Diabologum.

Fred Nevchehirlian
: Diabologum, j'ai découvert tardivement, vraiment tardivement, c'est quand j'ai sorti le premier album avec Vibrion que les gens nous en ont parlé. Je n'en connaissais même pas l'existence pour te dire... Catastrophe d'être passé à côté de ça... En même temps, je ne suis pas vraiment passé à côté puisque je l'ai écouté plus tard. Les journalistes citaient Diabologum à l'écoute de notre album (ndlr : celui de Vibrion), et ensuite quand j'ai rencontré Serge Tessot-Gay, Sergio m'a parlé de ça aussi qu'il avait beaucoup aimé. Ah et puis Dominique A, autant te dire que j'ai jamais écouté Dominique A. J'était pas du tout fan de ses premiers albums, j'avais une amie qui m'a fait écouté ça à la fac, je n'aimais pas le côté cheap, alors que je trouvais que sa musique méritait d'être classieuse. Ce qui s'est avéré vrai au final, puisqu'il est allé vers le classieux plus tard.

C'est plutôt le côté rock, en live, de Dominque A auquel j'avais pensé.

Fred Nevchehirlian
: Ah oui ! En live, c'est très rock. Je l'ai vraiment découvert comme ça d'ailleurs, c'est vraiment rock, puissant et beau, et c'est là que j'ai pu entrer dans son univers. Mais, quand on me parle de musique, je ne pense pas du tout en premier à Dominique A, ni à Diabologum. Si tu veux, peut-être qu'on doit avoir des références communes, et que du coup, on a pu avoir des développements communs, les textes, la musique, l'exigence peut-être de raconter des histoires particulières... Le format de la chanson, c'est presque une aberration si tu veux. Une chanson, c'est une mélodie. Le format, il n'est pas couplet-refrain. J'ai une autre idée de ce qu'est la chanson, c'est une forme en mouvement, il y a toujours cette dimension de recherche, qui est importante dans mon rapport à la musique et au texte.

Justement, si on parle de la musique, il y a quelque chose de complètement différent par rapport aux gens dont on vient de parler, c'est ce rythme tribal, voire primitif, et envoûtant que tu joues à la guitare sur pas mal des chansons de l'album. Ce sont, toutes, des compositions de toi ?

Fred Nevchehirlian
: Primitif, ça me plait, oui... Archaïque je dirais même. Si une composition, c'est la ligne mélodique de la guitare avec la voix et le texte, oui, j'ai composé toutes les chansons, sauf L'homme troué qui est de Marcel Kanche. Christophe Rodomisto et Tatiana Mladenovitch ont interprété et arrangé les chansons que j'avais composées et cette interprétation allait dans le sens de ce que je souhaitais, et l'a même dépassé, largement. Ce sont des musiciens extraordinaires.



Et les textes ?

Fred Nevchehirlian
: Je n'ai pas écrit le texte de Tout, c'est Ronan Chénau qui a écrit ce texte, et Marcel Kanche celui de L'homme troué.

Pour revenir à Christophe Rodomisto et Tatiana Mladenovitch, tu les as rencontrés comment... Comment s'est créé le groupe Nevchehirlian ?

Fred Nevchehirlian
: En fait, je ne voulais pas créer de groupe, je voulais rassembler les aventures musicales que j'avais eues avec différents artistes depuis trois ans. Donc avec Akosh, son batteur, Gildas Etevenard, avec Serge Teyssot-Gay, Keyvan Chemirani, Jean-Marc Montera, et tous les gens que j'avais croisés et que j'avais aimé... Je me suis dit, qu'on avait fait des choses ensemble, et j'avais envie de les amener à Marseille, de les enregistrer et d'en faire un album qui soit une trace de ces trois années. Au départ, il ne s'agissait pas du tout de tourner avec ça, j'étais plutôt dans un délire guitare / voix. L'album pour me faire plaisir, et puis faire des dates tout seul avec ma guitare, parce que ça me plaisait.
Puis j'ai rencontré Tatiana par l'intermédiaire de Christophe Rodomisto, que je connaissais de Marseille, je leur ai proposé d'enregistrer un titre, un peu comme les autres, en invités. L'enregistrement du titre Tant cendre que poussière a pris moins d'une heure et c'était incroyable, une sorte d'improvisation, une émotion forte, on a décidé à ce moment là d'en faire une autre, puis une autre, puis on s'est dit, qu'on allait faire tout l'album ensemble. Une belle histoire quoi... Mais j'ai conservé l'idée de faire venir les invités. Il y a un morceau sur lequel ce n'est pas Tatiana qui joue de la batterie, c'est Gildas (le titre Tout), et puis un autre où c'est Gildas qui joue avec Akosh.

Et Julien Lefevre, et Stéphane Paulin ?

Fred Nevchehirlian
: Julien, c'est vraiment celui qui est à l'origine du projet avec moi, puisqu'il m'a accompagné partout en tournée quand j'étais seul à la guitare. On faisait des duos. Et comme il était là depuis le début, que j'adore jouer avec Juju et qu'il y a une complicité, ça c'est fait naturellement. Et puis surtout, au fil des dates, il est devenu polyvalent. Guitare, basse, violoncelle, du coup, c'est une pièce maîtresse du groupe en concert. Stéphane Paulin, lui, c'est un bassiste extraordinaire, et un preneur de son remarquable. C'est le bassiste de Vibrion, et c'est aussi lui qui fait les prises de son de Vibrion. Je pense qu'on en entendra parler comme ingé son. J'ai beaucoup de chance d'avoir cette équipe autour de moi. C'est vraiment un grand bonheur de jouer avec eux. Ils sont très aventureux, très exigeants aussi.



Vibrion, c'est une étape importante pour arriver à cet album ?

Fred Nevchehirlian
: Oui et non. Avec Vibrion, on a affiché la poésie, on a affirmé que c'était des textes, on s'est battu pour ça. Sur ce disque là, je voulais que les gens puissent poser le squeud et aller faire autre chose. Qu'ils aient l'opportunité de se dire qu'il y a de la poésie là dedans, que ce ne soit pas moi qui soit obligé de le dire, de le revendiquer, laisser la possibilité aux gens de découvrir.

J'ai vu que, pour l'album, tu avais travaillé avec Jean Lamoot, tu es intervenu comment sur cette partie ?

Fred Nevchehirlian
: Pour le mixage, j'ai choisi de confier l'album à Jean Lamoot... Je ne voulais rien lui dire... Je n'avais rien à lui dire, c'est lui qui a fait ses choix de mixage. J'ai juste donné une indication, un détail, sur Cendre et poussière, sur le traitement de ma voix. Sur le deuxième couplet, il m'avait mis des effets différents. Je lui ai demandé d'enlever tout parce que quand je dis "que fouilles tu ainsi", il faut que ce soit comme si c'était quelqu'un qui était là (Fred Nevchehirlian s'approche de mon l'oreille et chuchote) "qu'est ce que tu fais là, mais qu'est ce que tu fais là"... C'est la proximité... "qu'est ce que tu es en train de foutre, tu rigole ou quoi ?"... C'était ça... Après je lui ai dit, tu peux continuer le boulot sans moi. Et on était d'accord. C'est le seul truc, je crois, que j'ai touché. Je lui ai tout confié. Pour moi c'était assumer pleinement le statut de musicien. Jean, il est mixeur. C'est lui qui choisi, je ne voulais plus choisir après l'enregistrement. Je n'étais pas à même de choisir, et je pouvais même être mon pire ennemi.

C'est une grosse prise de risque, non ?

Fred Nevchehirlian
: Avec Jean Lamoot, je n'ai pas pris beaucoup de risque... Après, on n'est pas tous d'accord sur le rendu des morceaux. Il y a des musiciens qui n'aiment pas certains titres, qui préfèrent la version originelle, mais bon, ça, c'est l'album, voilà. Les prises qu'on a faites, le son est beau, mais ce n'était pas ce que je souhaitais. J'avais envie d'entendre certaines choses pendant les prises de son, et pour l'album j'avais envie d'entendre d'autres choses. C'est la même motivation, mais pour une finalité différente.

Les messages de tes chansons, comme Dans le stade, par exemple, ne sont pas tous évidents, malgré un engagement assez net dans certains de tes textes

Fred Nevchehirlian
: Etre engagé, c'est pas écrire des messages. Dans le stade, c'est une chanson engagée. C'est grâce à Jean Lamoot que cette chanson débute l'album. Parce qu'il m'a dit "Dans le stade, c'est toi"... Il y a la plongée, la musique, le texte, et en même temps l'oubli du texte. On est dans autre chose, c'est comme si on passait tout de suite un contrat avec l'auditeur, en lui disant "écoute tout, et en même temps, n'écoute pas, ce n'est pas grave si tu rates des trucs, parce que de toute façon, dans la phrase qui suit, il y a des éléments". Je voulais disparaître. J'adore ce que dit Jacques Derrida, que l'écriture est un principe d'effacement. J'aimerais que ma musique, au sens de musique d'un groupe, de chanson, de texte et musique, soit un principe d'effacement pour faire apparaître quelque chose qui la dépasse, qui va au-delà de moi.



On peut revenir sur la chanson Tout et Ronan Chéneau ?

Fred Nevchehirlian : Ronan Chéneau
c'est un auteur de plateau, c'est-à-dire qu'il écrit des pièces de théâtre sur le plateau, avec les acteurs. Il travaille avec David Bobee. Il a fait un spectacle qui s'appelle Cannibale, un autre qui s'appelle Fées. En ce moment, il fait un spectacle qui s'appelle Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue. C'est vraiment un mec dont je me sens proche, qui parle de notre génération. Notre génération qui a vécu longtemps dans l'ombre de la "gloire" de 68. Quand je dis ça, je ne tiens pas un propos qui peut être celui de notre président... J'ai toujours eu la volonté d'assassiner 68. De le remercier aussi, mais, la moindre des choses qu'on doit aux gens de 68, c'est de l'assassiner. Comme dit Antonin Artaud, la moindre des choses pour que les gens me succèdent, c'est qu'ils me tuent, ce serait me respecter. S'ils me respectent trop, ils ne me respectent pas. Par exemple, certains considèrent l'écriture de Ronan Chéneau comme étant naïve, mais peut-être ne veulent-ils pas voir la transgression qu'il y a dans son écriture, et son lyrisme faussement naïf. Déjà, le mot lyrisme, ça leur fait peur, la naïveté, ça les inquiète... Parce qu'ils se sentent tellement plus subtils, d'avoir décrypté les organes et mécanismes du pouvoir, de les avoir dénoncés et combattus, puisqu'ils en sont maintenant à la tête... Je caricature un peu là, mais il y a quelque chose de ça.

Cet album est complètement auto-produit, mais tu as un label, un distributeur ?

Fred Nevchehirlian
: Oui, Underdog Records, j'ai une sorte de licence avec eux, ce n'est pas vraiment mon label, on a passé un accord avec eux. On a créé une nouvelle licence qui n'est pas de l'ordre de celles qui sont pratiquées par les majors ou les gros labels. On n'est pas vraiment sous licence, mais en accord avec eux et un distributeur qui est Rue Stendhal, avec qui Underdog Records travaille.



À propos de majors, tu ne trouves pas ça risible le décalage entre ces discours et cette espèce d'explosion lié à internet, contre lequel, justement ces gros labels ou majors se battent ?

Fred Nevchehirlian
: Non mais... Un directeur artistique qui signe Julien Doré ou n'importe quels autres artistes, il prend des risques aussi... Il fait ses choix. Ils prennent des risques au fond sur certains artistes. Mais... C'est devenu un entonnoir tellement étroit qu'il n'y a plus la place à une multiplicité de propositions artistiques. Sauf sur internet où tu trouves une montagne de proposition, notamment sur myspace. Et en même temps, quand je dis ça, des directeurs artistiques pourraient me dire "c'est faux, regarde notre catalogue, regarde tous les artistes qu'on a, etc.". Tu sais très bien de quel endroit je parle... C'est un faux débat pour moi. Je dois faire de la musique, le mieux que je peux, et je dois aller à la conquête de mon public... Ben voilà, je passe par des étapes qui ne sont pas celles de la voie dite "royale", être signé sur une major, avec des budgets promo conséquents, des réseaux établis.
En quelque sorte, je me suis protégé de ça, en m'auto produisant, en m'auto finançant. C'était très dur psychologiquement. Très dur de savoir que tous mes choix devaient reposer uniquement sur moi, sur mon argent, mais c'est normal... Je ne m'en prends qu'à moi même, je suis responsable. Je n'ai pas à me dire "regarde, ils ne se sont pas occupés de moi, ils n'ont pas fait de promo sur moi". Je m'en fou ! C'est pas faire de la promo qui m'intéresse, c'est trouver un moyen de toucher les gens et je suis suffisamment naïf, optimiste et utopiste pour penser que faire des concerts devant 50 ou 4000 personnes comme à Agadir par exemple, tu touches les gens, tu rencontres du public. Tu leur parles et tu touches la vie des gens. Ce n'est pas le star-système ou le fait de vendre 500 000 albums qui me rempli. Bien sûr, pour remplir mon frigo, faut que je travaille, on est d'accord. Mais regarde les peintres. Je n'ai pas la prétention de me comparer à Van Gogh ou quelqu'un de ce genre là, mais... Il était dans une pratique artistique qui était une nécessité de vie, et qui n'était pas à but commercial et lucratif, même si Van Gogh a toujours espéré vendre des toiles toute sa vie, en même temps, il se méfiait énormément des galeristes. Donc il y a un paradoxe dans l'artiste même sur son rapport au commerce. Bon, je ne vais pas être là pour résoudre ce paradoxe, je veux bien en être prisonnier, et même en être la proie, mais mon objectif était de faire un beau disque dont je sois fier... Ce petit orgueil de dire voilà, j'ai essayé, je tente des choses... Je suis dans ces risques-là. Je ne suis pas dans les risques, "j'ai investi cent mille et je veux gagner tant", qui sont d'autres risques très périlleux... Que j'ai pris d'une certaine façon puisque j'ai auto produit l'album avec mon argent... Et alors... Cet argent, je suis allé le chercher avec mon manager, on a tout financé, on a été chercher des sous, on en a "fabriqué" nous même, on s'est débrouillé ! Il y a un objet qui est là et qui est mon histoire de vie. C'est ma vie, ma vie avec ma famille, les souvenirs, mes parents, mes grands-parents, mes arrières grands-parents, ceux que je n'ai pas connus, ce que je porte en moi... voilà pourquoi je garde mon nom Nevchehirlian, voilà pourquoi il y a cette photo là, ce qu'elle évoque...



Cette photo, justement, elle a été faite où, et dans quelles conditions ?

Fred Nevchehirlian
: Ça a été fait à Paris, dans un studio, c'est Zacharie Bauer qui a fait la photo, c'est lui qui m'a proposé son appareil polaroid des années 30, avec un drap noir et tout... Mais c'est moi qui ai fait le choix de la mise en scène et des costumes, la position de chacun et le choix des attitudes de chacun. Je souhaitais ça, et j'ai eu ce que je voulais. Je suis très content (rire)... En plus ils sont tellement beaux mes musiciens... Ils sont beaux sur scène, ils sont beaux dans leur jeu, et c'est vrai que sur cette photo, habillés comme ça... Et puis je voulais qu'il y ait un peu le côté frondeur, rebelle, naïf. Tu sais, le côté adolescent, "je porte la guitare comme une mitraillette, on n'est pas contents". Bah ouai, on n'est pas contents, c'est vrai... Mais ça peut être beau quand même !

Et cette chemise blanche ?

Fred Nevchehirlian
: Bien sûr. Je suis habillé en blanc, et alors ? Il ne restait que les habits blancs ! ça donne un côté messianique, ou chef de bande, chef de tribu ! Ah ben c'est comme un western. Dans un western, il y a toujours un chef de bande... Bah, je suis le chef de la bande là... Le but de la photo, c'était de montrer : "regarde, il a un fusil derrière". C'était un peu le dormeur du val cette photo... Sont-ils morts ou endormis ? Et puis je voulais raconter quelque chose à travers cette photo qui n'est pas dite dans le texte. Parce que les textes parlent d'exil, parlent de gens qui se font massacrer ou pas, parlent de viol ou pas, parlent de rapport entre les garçons et les filles qui sont éternels, parlent de tout, c'est très large, très universel. Mais quand même, c'est ma famille, d'où je viens, de problèmes qui ne sont toujours pas réglés, et puis il y a toujours des gens qui sont déplacés... Ou qui fuient ou tentent de fuir... Et puis c'est pas un message, c'est comme ça... Et voyons ce que ça provoque... Ce que ça peut susciter comme questions...



Pourquoi ce titre, Monde nouveau, Monde ancien ?

Fred Nevchehirlian
: C'est une question posée, après, vous mettez le mot que vous voulez entre les deux. Monde nouveau, monde ancien. De tout temps, il y a des gens qui ont vécu, qui ont été massacrés, qui se sont aimés, qui ont rigolé... C'est la vie dans sa totalité, et voilà aussi pourquoi le mot "tout" revient souvent sur cet album... Il n'est pas dans tous les textes, mais quasiment, il apparaît pour englober... C'est comme dit Rothko. Je reviens toujours à la peinture parce que j'adore ça, ça m'inspire énormément, les expos de peintures, les grands espaces, les toiles, c'est le silence, le calme, on s'arrache de la société, on va dans des lieux qui sont comme des refuges intemporels, où pour moi le temps passe à la bonne mesure... Rothko, on lui dit : "ce que tu fais, c'est démagogique, tu fais des toiles énormes". Et il a eu une réponse magnifique : "je ne fais pas des toiles énormes, je fais des toiles, juste pour y mettre l'homme dedans". Des toiles d'un mètre quatre-vingt quoi ! voilà... Bah le mot "tout", c'est ça, c'est juste d'y mettre l'homme. Mettre l'homme dans un petit mot, un petit "tout". Je n'ai pas dit que je voulais parler de tout le monde, que je comprenais tout, non ! Mais il y a tellement tout autour de nous... Tout autour, il y a... Il y a je ne sais pas quoi... Avant, dans le texte de la chanson Dans le stade, c'était "tout autour il y a les autres... Tout autour, il y a les autres, les autres". Quand Abd Al Malik a sorti sa chanson, j'ai été obligé d'enlever "les autres" (rire)... Parce que même si je l'avais écrit avant... C'était fini quoi... Je l'ai modifié à cause de, ou grâce à lui !



Tu penses quoi justement de cette scène slam "grand public" qu'on entend partout ? Il y a des gens que tu aimes bien dans cette scène-là ?

Fred Nevchehirlian
: Oui... Mais ils ne sont pas très connus, disons que.... Tu as des portes drapeaux, moi ça ne me dérange pas, je trouve que Grand Corps Malade a apporté énormément au slam, le côté populaire... Il a assumé le côté variété du slam et il l'a apporté vraiment dans tous les foyers... Après, c'est souvent inintéressant, pour moi, ça ne me touche pas... Bien sûr, ça peut toucher des gens, je ne remets pas ça en cause, mais moi ça ne me bouleverse pas. J'ai été plus bouleversé par exemple par des textes comme ceux de Bashung, de poètes, par des films, ou autres... Je n'ai pas vraiment de références dans le slam, à part Saul Willians qui m'a vraiment donné une indication très claire : il n'y a pas de genre, il n'y a pas de choix, on mélange tout, on est là. Ce n'est pas parce que je suis noir que je vais faire du hip-hop. Je peux aimer Radiohead et aimer Diams. C'est aussi décomplexer le rapport aux textes, à la musique, à la vie, aux garçons, aux filles, au sexe, aux genres, à tout. La notion de genre est très souvent questionnée dans mes textes. Dans La mer il y a cette question, est ce que c'est un garçon ou une fille ? "Le" ou "La", on ne sait pas... Moi je ne représente rien... Je suis les autres, je ne cherche pas à représenter quoi que ce soit, je ne suis pas un porte-drapeau... Je suis "les gens"... Je veux juste faire de la musique.
Quand Abd Al Malik veut porter des drapeaux... (soupir) Abd Al Malik il est dans un truc... Je pense qu'il est prêt pour une bonne mission ministérielle ! J'adore Les autres, c'est magnifique, il touche du doigt des choses très fortes, et à côté de ça il va faire C'est du lourd... Et il y a des gens qui disent que ce texte est courageux ! Je trouve ce texte manichéen ! Ce n'est pas possible... En tant qu'artiste même dans un seul texte de dire, que le petit arabe qui a travaillé toute sa vie, "ça c'est du lourd" et que le jeune qui vend du shit juste à côté, "franchement, ça c'est pas du lourd"... Alors bien sûr que ce texte peut être porteur pour les jeunes qui sont dans les citées. Mais putain c'est tellement un message binaire ! Ce n'est pas comme ça ! Vendre du shit au lycée... Tout le monde fait des trucs louches, encore que... c'est même pas des conneries, c'est de l'inconscience... Bien sûr que je ne parle pas de l'inconscience élevée à un niveau de programme de vie... Mais être si manichéen, alors qu'on pourrait dire au moins une fois dans le texte : "et puis il y a Rachid, Pascal, ou Mamadou, il a vendu du shit, mais bon, il avait une femme, il l'a respecté, il a eu des enfants, il ne les a jamais tapés". Parce que, qui me dit que celui qui a travaillé toute sa vie, il a été honnête avec sa femme et ses enfants ? qu'il n'a pas été violent... Tu vois, je n'en sais rien, mais puisqu'on parle de la vie... Qu'est ce que c'est que ces donneurs de leçon là ! Dans mes chansons, j'essaie autre chose, ce sont plutôt des colocations, des dichotomies, à droite, à gauche, à droite, à gauche... Qu'au bout d'un moment, par association d'idées, ça finisse par toucher à des choses... Sans non plus trop resserrer...



Des chansons plus compliquées ?

Fred Nevchehirlian
: Tu vois, Dans le stade, je crois que des enfants de huit ans peuvent comprendre cette chanson, parce qu'ils sont au premier degré. Tu prends une phrase et tu la découpes, et voilà. "Il y avait des noirs autours". Il se ballade dans la nuit et il a peur. Il a peur, oui, parce qu'il est entouré de noir. Il est blanc, bah oui, il est blanc. Ah ! c'est peut-être du racisme ! Ah bah ça, c'est toi qui vois... La peur des autres. C'est pas le racisme blanc noir, c'est la peur des autres, de l'étrange, dans la nuit quand on ne voit pas et qu'on ne sait pas. Quelle nuit ? Dans un stade de foot super éclairé ? Et puis tout à coup, tu penses "ah oui mais il y a les insultes racistes dans les stades". Et dans les stades, il y a aussi la Rome antique, la vie et la mort... Le ballon qui passe sur la ligne de but : si il passe de l'autre côté, on tranche. On te coupe la tête. "Frappe ma tête". C'est frapper le ballon de la tête, mais c'est aussi frapper quelqu'un à la tête pour lui faire mal... Voilà! Le match de boxe de Mohamed Ali... J'ai écrit cette chanson à Kinshasa devant le stade. Les copains sont partis la nuit acheter des cigarettes, ils ont traversé un stade, mais en même temps, on était à côté du stade où Mobutu à mis tout les "voyous" de la ville en dessous... En haut, tu as la foule qui acclame, et en dessous, tu as la milice qui garde les "voyous". Ça c'est le monde. Ce sont des images, des représentations de la société... Le stade c'est aussi l'espoir de tout un continent. Plein d'Africains rêvent d'intégrer une école de foot en Europe. Donc le stade, ça devient le lieu de la réussite... Mais quelle réussite ? Pour faire passer la ligne au ballon ? "Qui reprend le ballon de la tête ? Du pied, du cou ? Et du coup, qui reprend le ballon dans le stade ?" Moi j'aimerais bien qu'on me le dise... Je ne me place pas en porte-drapeau... Par contre, je dis, dans le stade, il y a des gens, et puis cette histoire de ce gars qui traverse, qui a peur, et puis la pluie qui tombe, et les images qui apparaissent, et le foot, et la violence, les boxeurs, les mecs qui se tapent dessus, et la réussite, et la vie et la mort... j'ai peur des autres, ou je n'en ai pas peur ? Je ne pouvais pas parler du racisme autrement qu'en étant ambiguë... Ici, on est protégés en Europe, mais tu prends l'avion, et c'est fini... Là bas, j'ai d'abord écrit L'univers parmi nous. Parce que c'était tellement beau... La joie de ce peuple que je découvrais, de ces gens, de cette ville, de cette force de vie, les grillades la nuit, les sound-systems, la débrouillardise... mais pendant ce temps-là, il y en a qui leur demandent de se mettre en rang et s'il y en a un qui sort du rang, on le met à genoux... Mais c'est un peu démagogique L'univers parmi nous, alors juste après, j'ai eu besoin d'écrire Dans le stade. Après cette démagogie de "on sera rien hormis nous, les êtres humains", derrière, il y a "je les vois partout dans le stade, tout autour de nous", et là, c'est pas le même regard, c'est une sorte de terreur.
Il y a des gens qui sont très fort pour expliquer, mais ce n'est pas mon métier, mon travail ne consiste pas en l'explication. Il consiste en l'interrogation, dire les choses différemment pour que ça bouscule. Tenter des façons de parler, un effet de mot, de parole, de geste... Mon but est de les agglutiner pour fabriquer quelque chose. De façon plus ou moins consciente.



Pour revenir à quelque chose de plus terre-à-terre, j'ai vu que tu as plein de dates de programmées, une tournée qui a déjà commencée, avec des choses comme à Agadir dans un stade, et puis d'autres dans des petites salles, comme hier soir à Aubagne...

Fred Nevchehirlian
: Écoute, ce n'est pas une petite salle pour nous Aubagne. 300 personnes : ce sont des grosses salles. Quand je fais un concert, je joue presque toujours devant des gens qui ne me connaissent pas. Et donc je suis dans ce rapport de me faire découvrir au public. Hier, ça m'a vraiment surpris quand on a commencé Dans le Stade, et que des gens hurlent et reconnaissent le texte... Ça m'a surpris... Je ne suis pas habitué à ça ! Moi, ça fait dix ans que je suis dans la conquête et la découverte.

Et L'album sort en Mai ?

Fred Nevchehirlian
: Oui le 12 Mai; avec trois jours de festival à Marseille fin avril, le festival Gravitations où j'ai invité du monde. Je me fais plaisir pour la sortie de cet album, j'invite des gens dont certains ne sont jamais venus jouer à Marseille, comme Marcel Kanche, ou Sandra Nkaké, d'autre plus connus comme Cocorosie... Les styles sont variés, c'est ce que j'aime, j'ai envie de se faire rencontrer des artistes et un public... Ça me plaît... Comme dans les soirées slam que j'animais, donner la possibilité d'avoir un moment ensemble... Ensemble mais... sans lui... Comme dirait Rodolphe Burger.


Mode d'emploi pour la sortie de l'album :

1. NEV - CHE - HIR - LIAN (le nom mode d'emploi : une vidéo de P. Gondard)




2. Le site myspace de NEVCHEHIRLIAN :

https://www.myspace.com/nevchehirlian

3. L'annonce du festival Gravitations (sur Concertandco) :

- Festival GRAVITATIONS -



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Shooting Stars (Nevchehirlian, Etevenard, Rodomisto) - feat. Marilyn Monroe & Kurt Cobain par Philippe
Théatre du Merlan, le 18/11/2016
Avant d'être un événement culturel, ce fut un événement sportif. Car cette soirée a permis à l'auteur de valider une hypothèse déjà plusieurs fois étudiée mais non approfondie :... La suite