Accueil Chronique album : Daniel Darc - Chapelle Sixteen, par Philippe
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Critique d'album

Daniel Darc : "Chapelle Sixteen"

Daniel Darc :

Pop - Rock

Critique écrite le 13 novembre 2013 par Philippe

Legs post-mortem et très généreux de l'infortuné Daniel Darc, l'album Chapelle Sixteen est un témoignage enregistré in extremis, avant la mort qu'il redoutait chaque jour au réveil, et qui a fini par le rattraper. Fort heureusement, l'ensemble des voix avait été enregistré et la liste de titres validée, juste avant sa disparition, ce qui évite au disque le statut bancal d'oeuvre inachevée. Avec un titre citant malicieusement ses deux obsessions, le rock ("sixteen" renvoie évidemment à de multiples références en la matière) et la "chapelle" du dieu qu'il s'était choisi - un dieu qui hélas n'avait toujours pas sauvé le grand chanteur maudit à l'heure de ce disque, puisqu'il y citait avec insistance la phrase la plus poignante du Nouveau Testament en introduction : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?". Il espérait pourtant bien qu'il "reste un peu de place au paradis" pour lui, place qu'il mériterait à notre humble avis, hein, ne serait-ce que pour avoir donné un concert si splendide au sein d'un couvent il y a deux ans...
En rupture avec le sublime La Taille de mon Ame, il avait d'abord choisi de renouer avec des titres pop mais méchamment rock qu'on aurait aimé entendre sur scène (le single Une place au Paradis, un Ennui mi-Gainsbourg mi-Biolay et surtout, une Sweet Sixteen sous influence Jean Genie). Il avait également renoué avec un tradition, bien ancrée chez lui, de tremper sa plume tour à tour dans le fiel (Un peu de Sang, titre jazzy mais évoquant des violences conjuguales tout à fait glauques) ou dans le spleen (élégiaque Que sont devenus les hommes). Et aussi, de profiter pleinement de l'apport immense de son dernier compositeur, Laurent Marimbert, pour tester des orchestrations aventureuses et incroyablement riches : de La Dernière Fois, inventaire amoureux en mode funky, à Mauvaise Journée, carrément un boléro à la montée dramaturgique, en passant par le piano-bar pour crooner de Quand la ville dort...
Sans pour autant délaisser la veine des balades romantiques au piano, dont on ne voit hélas pas très bien qui pourra encore en signer de si émouvantes (Des idiots comme moi) et toxiques à la fois (Période Bleue). Plus anecdotiques mais aussi révélatrices du caractère joueur du chanteur, on retrouve également avec un grand plaisir au gré de l'album, la suite de ses Variations, autant de petits poèmes, morceaux de chansons et/ou petits ratages en studio, parfois très cocasses... "Faites-moi signe, allez, faites-moi signe, enculés !" - on l'entend littéralement feuilleter son carnet de notes en marmonnant des jurons, quand il ne retrouve pas ses textes...
La partie principale du disque (la première) se conclut d'ailleurs avec une improvisation à en suffoquer de beauté, sur le thème Qu'arrivera-t-il aux enfants ?... Laurent Marimbert a raconté avoir copié-collé trois fois le morceau en direct, afin de ne pas l'interrompre ! "Hey, si tu laisses tourner, moi j'continue, hein..." Bien lui en a pris, de laisser tourner, car ces 12 minutes en partie autobiographiques resteront comme l'un des sommets de la carrière poétique de Daniel Darc. Le texte, la mélodie fantomatique au piano, les cloches et les grattements de guitare rouillée qui le parsèment, déclenchent immanquablement une chair de poule à vous en faire exploser une rosace de cathédrale...
Tout ce qui vient après n'est donc que du bonus, sans pour autant être de moindre qualité : plutôt que faire une deuxième chronique qu'elle mériterait presque à cette très copieuse face B, on ne fera que citer au petit bonheur ses titres les plus aboutis. De brillantes Bottes de skaï, une Morning glory sur la vie en tournée, qui aurait mérité un ré-enregistrement plus appliqué, le slow langoureux du Dernier jour sur terre (qui cite explicitement James Brown), une charmante reprise de la Folle Complainte de Charles Trenet ("la plus belle chanson du monde"), la valse sensuelle de La complainte de la butte et le texte dit en musique de C'est quoi l'amour... N'en jetez plus !
Aurait-il conclu sa carrière sur l'album précédent, qu'on aurait déjà pu saluer l'immensité de l'oeuvre de Daniel Darc, chanteur aux mille vies. "Victoire de la Révélation de l'Année" en 2006, ha putain les cons ! On en avait bien rigolé et lui aussi, sûrement... Lui dont le premier avatar, un petit fantôme en costume nylon rouge et noir, pupilles dilatées, poignets en sang et beau comme un dieu, est pourtant condamné à Chercher le garçon sur toutes les pistes de danse, depuis trente ans et à jamais ...
Mais avec ces 29 titres supplémentaires (dont une vingtaine de vraies chansons), c'est tout un carnet intime qui est encore donné à l'auditeur, infiniment gâté et donc reconnaissant. Un carnet dont on mettra encore longtemps, et c'est heureux, à épuiser la richesse... Farewell, Daniel Rozoum, dit Daniel Sombre, et merci pour tout. Et si vous êtes bien arrivé où nous espérons / où vous espériez, veuiller saluer pour nous John Coltrane, Johnny Cash, Alain Bashung et Lou Reed, liste de quelques-uns de ceux qui étaient vos idoles comme les nôtres, liste que vous êtes venu allonger, hélas...
(2013)
Vignette Philippe

 Critique écrite le 13 novembre 2013 par Philippe
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