Critique d'album
Daniel Darc : "La Taille De Mon Âme."
Bon, il s'acquitte bien vite du passage obligé du single (C'est moi le printemps, joyeuse et bien torchée, France Inter va aimer !), pour passer aux choses sérieuses : rendez-vous avec des dialogues des Enfants du Paradis (Arletty, Barrault and co), et une valse, une putain de valse comme vous n'en avez pas entendu depuis des années, de celles qui vous tordent les boyaux : La Taille de mon Âme semble chantée, tombé à terre, sous le porche d'une ancienne amoureuse qui n'a pas ouvert sa porte, effrayée par l'allure du voyageur de retour, et c'est une splendeur.
Car ses fans le savent : chacune des chansons de Daniel Darc, écrivain inaccompli mais parolier incroyable, est un poème, une nouvelle, presque un roman... C'était mieux avant est par exemple une histoire de filles et de garçons habillés en filles, qui discutent (et travaillent) sur un trottoir, magnifiquement mise en pop symphonique. Ana fait "tilt" directement : c'est orchestré comme du Christophe, bien sûr, à travers les doigts d'or de son arrangeur Laurent Marimbert (ici à la manoeuvre tout l'album, en remplacement des bons et loyaux services de Frédéric Lo), ça vous remue et ça finit par un solo de violoncelle à vous hérisser le poil.
My baby left me, c'est du Gainsbourg, influence digérée au point d'en devenir une filiation directe : terrible histoire en mode rock, d'une rupture par suicide, zébrée de phrases tranchantes comme un cran d'arrêt : "crever, c'est comme baiser, c'est pas parce qu'on a envie, qu'il faut le faire tout de suite..." et qui se fond dans une scansion du Heartbreak Hotel d'Elvis... Autre hommage, à son bien-aimé Coltrane peut-être, avec le piano et la songerie mélancolique et poignante, à propos d'enfants, d'amis partis et de jours enfuis Vers l'infini.
Et entre ces morceaux de bravoure, fort heureusement, de petites déconnades, des chutes de studio, des haïkus débraillés, des petites prières à ce dieu qui semble bien l'avoir définitivement sauvé - on lui en sait gré - et qu'il appelle des Variations : autant de respirations pour se reprendre, parfois même se marrer. N'empêche qu'on se souviendra longtemps de l'enchaînement de la deuxième (Amen), avec ce morceau d'un romantisme échevelé, aux arpèges enflammées rappelant l'intro mythique de House of the Rising Sun, et accompagnées d'une somptueuse trompette mariachi : Quelqu'un qui n'a pas besoin de moi, peut-être le plus beau texte de cet album qui pourtant, en déborde à plein seaux, et qui se finit a capella sous la pluie...
Et là aussi, pile au moment où ça pourrait tourner à l'apitoiement, vlan ! Une comptine marrante à l'ukulele et au melodica, Les filles aiment les tatouages... Avant de nettement plus glauques Voeux de bonne année, sous influence Gainsbarre à nouveau, et prétextes à une réflexion sur une possible damnation : celle du dernier survivant. Autre enchaînement qui tue, donc, et avec lequel Daniel Darc fait à nouveau preuve d'une admirable vision architecturale de l'album parfait, celui qu'il va bien finir par sortir un jour.
Avant de conclure, car c'est une vraie tradition chez ce chanteur, de plus en plus semblable dans ses intentions et ses convictions avec l'immense Johnny - le Man in Black de Memphis, bien sûr, pas l'idole des jeunes et des bikers de Thionville - avant de conclure, disions-nous, avec un splendide psaume mis en musique, Sois sanctifié, chanté d'une voix pleine de larmes. Nous laissant K.O. debouts, une fois de plus... Monsieur Darc, il paraît désormais évident que vous apparaîtrez au Jugement Dernier, sinon comme votre propre Sauveur, au moins comme celui de la chanson française et peut-être même, qui sait ? De quelques âmes perdues, sauvées in extremis par l'écoute d'un de vos textes...
(2011)
PS : Album confirmant tout son potentiel, peu après sa sortie, sur une petite scène magique !
Critique écrite le 09 novembre 2011 par Philippe
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