Critique d'album
Elliott Murphy : "The Second Act Of"
("Il n'y a pas de deuxièmes actes, dans les vies américaines (F. Scott. Fitzgerald).
Ça commence ici, comme bien souvent, dans la grande et belle histoire du Rock : une signature rapide, l'enregistrement d'un album majeur (Aquashow/1973) des formules choc "Le nouveau Dylan !", des couvertures de magazines et passages télé, des affiches qui recouvrent l'ensemble des murs du métro New Yorkais ; sans pour autant que les ventes ne suivent ces belles promesses et louanges tressées appuyées, ou que l'ensemble n'aboutisse sur un raz de marée commercial ET populaire. Une interrogation adoubée par ses pairs, aussi bien au niveau du "savoir" - "Je n'ai jamais compris pourquoi Elliott n'a pas eu un succès immédiat. J'ai pensé qu'il était bon au moment même où je l'ai vu : Il est bon, bon compositeur, de bons textes... (Billy Joel) - que de son indissociable pendant, le "paraître" : "Un gars avec une présence formidable... il ressemblait déjà, dès le début, à une Rock Star... Un grand visage des cheveux blonds... Un bel homme qui s'habillait de façon spectaculaire... (Bruce Springsteen).
L'échec reste patent, même si les raisons évoquées sont multiples : problèmes de logistique poussive et mauvais timings, manque de "hit majeur" en radio, ou bien encore, selon Elliott lui-même : "Tout à coup, Bruce Springsteen avait éclaté, c'était LUI l'élu, le gagnant, les autres, quant à nous, n'aurions pas une seconde chance....
Il a beau enchaîner chaque nouvelle année, persévérer et insister de qualité (Lost Generation/75 & Night Lights/76), juste après l'enregistrement de Just A Story From America à Londres, en 1977, l'ensemble se dégrade franchement de nouveau : "Tout le monde adorait l'album, était même certain que la chanson Drive All Night allait devenir un Hit majeur... Mais, avant même de finir d'en assurer la promotion, je me suis retrouvé sans aucune énergie ! J'ai perdu ma foi en lui et arrêté la tournée quasiment à sa moitié... J'avais tellement peur de me décevoir à nouveau, que mon plan est devenu : avant que cela n'échoue encore, je vais tacher de tout arrêter de moi-même... En fait, j'ai escaladé la montagne Rock'n'Roll à toute vitesse, suis arrivé plus ou moins à son sommet, puis me suis précipité depuis le haut de la falaise... " (Dixit Elliott). S'en vient alors logiquement le temps des drogues et autres substances addictives ; le temps des vaches maigres ; le temps de se produire seul et même de livrer ses disques directement dans les magasins ; le temps de tout quitter pour passer un diplôme d'assistant avocat, puis de... se remettre en forme et repartir de plus belle jusqu'à cette "seconde partie de vie" qui aura débuté à Paris et duré d'envie jusqu'à ce jour : sans qu'Elliott ne cesse, ne serait-ce qu'un court instant, de produire et se produire, de tourner et (se) donner, de rassembler et convaincre. En dépit des apparences, parfois les choses se mettent à tourner, pas forcément du côté espéré, nope, mais pas de celui tant redouté non plus : "Passé le côté plutôt facile des débuts, les années du "milieu", entre deux, sont les plus difficiles, essentiellement en Amérique... le plus grand pêché, là-bas, c'est d'être voué à un grand succès et de ne pas l'obtenir ! Je n'ai jamais eu un réel et légitime succès, sans lequel tu peux également avoir une belle carrière et passer à la radio... ce qui m'arrive encore, mais... si tu ne décroches pas un succès planétaire, tu es alors classé dans une tout autre catégorie ! Heureusement si tu survis à ces années "entre deux", ce que j'ai fait... tôt ou tard, tu hérites alors de ce fameux statut de "LÉGENDE"... tu opères alors une sorte de boucle victorieuse et retombe finalement sur tes pattes... (Elliott).
Comportement loué par son alter ego du New Jersey, Bruce Springsteen : " C'est un gars merveilleux, il possède tellement d'âme et d'esprit, et ne laisse jamais tomber, jamais ! Ce pourquoi je ressens beaucoup d'admiration pour lui ! (Bruce Springsteen)
Pour ce qui concerne le documentaire, en lui-même, il est forcément agréable de constater qu'un artiste majeur complet (musicien ET écrivain) comme l'est Murphy l'AmériFrançais, ne possède pas le "melon" de certains autres humains du "milieu" (plein des autres, toutes générations et styles musicaux confondus) ; que sa modestie (doublée d'une réelle fierté affichée, quant au niveau de sa qualité artistique et de sa longue carrière) et son apparente perpétuelle insécurité, habitée de doutes, de questionnements divers et profonds, (nous) le rendent profondément attachant, "proche", humain et "réel".
Par contre, le voir parfois s'effacer modestement de fait, devant certains de ses pairs musiciens convoqués ici afin de l'évoquer et le célébrer - Billy Joel, Willie Nile, Kenny Margolis ou l'incontournable Bruce Springsteen ! - irrite quelque peu in fine. Si, si. Je m'en explique.
Avant toute chose, le natif de New York est l'un des rares rockeurs "séminaux" toujours en activité, à "produire" en mode qualité ; à ne pas écorcher, diminuer ou entacher son large crédit (et passé doré) en sortant des disques sans saveur ou envie, sans autre justification que de devoir accompagner une énième tournée ou justifier un contrat discographique pesant, soit, mais nourrissant. Ses albums, en effet (hormis le particulier et abouti Aquashow Deconstructed : relecture acoustique et boisée de son tout premier opus) se composent à chaque fois de nouvelles chansons originales de haute tenue, dont certaines pourraient habilement, sans discussion aucune, prendre place au sein de ses albums de légende sus cités ou bien intégrer le "Top 15" de ses plus grandes chansons - Benedict's Blues, Then You Start Crying, Poise ‘n' Grace, And General Robert E. Lee, Pneumonia Alley, Green River, Come On Louann, la quasi intégralité de Beauregard, j'en passe, des plus anciennes et des meilleures...
Si ce n'était une relative "facilité" Live, aujourd'hui (des corps de Setlists qui changent trop peu souvent et font globalement la part belle à ses chansons les plus célèbres) qui contraste de fait avec la toute fin des 90's ou la première moitié de ce siècle perturbé de l'empathie et du respect de l'autre, rien à redire non plus au niveau de son engagement sur scène et de sa disponibilité d'"après" au contact des fans. Nope.
Occasion nous est donc donnée, céans, grâce au réalisateur Espagnol Jorge Arenillas de bénéficier enfin d'un DVD revenant sur sa carrière (la "seconde partie de celle-ci, l'"européenne", plus particulièrement) qui mêle habilement des bouts d'interviews du principal intéressé, des extraits Live, un accès aux coulisses, à son bureau perso ou bien à de multiples moments captés sur cette fameuse "route" qu'il parcourt inlassablement depuis près de quarante années (pas rien) ; sans oublier de revenir sans fards sur sa vision/version du mythe de la création appliquée au monde "réel", artistiquement et économiquement parlant : "Le rapport des gens à leur passion, celle des musiciens et des écrivains, s'avère être ce qui forme finalement le corps du "produit" ! Par contre, cette "transformation" de tes rêves et sentiments, de tes sentiments profonds par rapport à ta musique, se transforme immanquablement, au bout, en un produit de "divertissement vendable" que les grandes sociétés amortissent, transforment en bénéfices ! Ce qui constitue, au bout du compte, un procédé fortement décourageant... (Elliott).
Outre les musiciens évoqués en amont, il est logique que son guitariste et partenaire privilégié depuis plus de vingt années - le virtuose guitariste français Olivier Durand - soit amplement mis à contribution tout du long, de même que son épouse et actrice Françoise, Gaspard Murphy, son fils (producteur de ses derniers disques et parfois guitariste additionnel sur scène) ou bien son frère Matthew Murphy : bassiste des débuts et partenaire musical privilégié, alors. Si le partis-pris du réalisateur est de clairement laisser de côté (tout en l'évoquant sans faux-semblants ni excès) sa première partie de carrière "Made In USA" fragmentée, l'on notera tout de même que certains manquent cruellement à l'appel ou bien sont trop peu convoqués au coin du parloir à souvenirs : Kenny Margolis (Mink Deville Band), Ernie Brooks (The Modern Lovers), Danny Montgomery (batteur cogneur un temps attitré) ou bien encore, les deux autres membres de son groupe actuel des Normandy All Stars : le placide et inventif batteur Alan Fatras, l'attachant (et doué à la fois) bassiste Laurent Pardo brutalement disparu en toute fin d'année 2016 et qui (nous) manque déjà plus que de raison... du cur, que la raison ignore.
En dépit de sous-titres Français parfois un rien "limites", au moment d'imager (plus que de traduire) les bons mots du musicien et les paroles bien troussées de ses chansons, l'ensemble fonctionne et coule, sans forcer jamais, renseigne et interpelle tout du long, atteint au mieux son but initial. Au chapitre des bonnes surprises apportées par cette sortie vidéo officielle (Cameo Video), l'ajout d'un concert quasi complet (en BONUS) donné en duo à Bilbao en Janvier 2015 aux côtés de son Durand de complice : concert mettant en exergue l'extrême complicité qui lie les deux protagonistes sur scène et qui tombe à point nommé pour nous rappeler, "hymnes intemporels" et grands classiques Live, aidant - Last Of The Rock Stars, On Elvis Presley's Birthday, You Never Know What You're In For, Take Your Love Away, Hangin'Out, Sonny, Just A Story From America - à quel point l'homme est précieux et son uvre, d'exception.
Sachant que tout ce qui reste encore à venir se trouve nécessairement "devant", profitons-en pour basculer d'envie vers LA prochaine étape d'importance, concernant notre homme et son actualité musicale : le mois de Mars 2017 (les 17 & 18) où occasion nous/vous sera offerte d'assister à ces fameux "concerts anniversaire", donnés chaque année au fameux New Morning de Paris, qui célébreront également la sortie de son attendu prochain album, jusqu'ici nommé Prodigal Songs...
" Une carrière parsemée de luttes, se révèle être, nettement plus "juteuse" et passionnante, finalement, qu'une trajectoire linéaire de pur succès ! J'ai probablement aujourd'hui, tout ce dont j'ai besoin, pas tout ce que je veux, mais ce dont j'ai besoin..." (Elliott Murphy/Extrait de : The Second Act Of Elliott Murphy/Cameo DVD)
The Second Act Of Elliott Murphy / Jorge Arenillas / Cameo DVD
www.elliottmurphy.com
Critique écrite le 09 février 2017 par Jacques 2 Chabannes
Elliott Murphy : les chroniques d'albums
Elliott Murphy With Olivier Durand : Live In Bilbao par Jacques 2 Chabannes
16/03/2022
Bilbao Bill...
Elliott aura beau avoir "usé" de multiples approches, tendances du moment, visions ou formules remaniées, tout du long de sa très longue carrière passée à arpenter les planches sans relâche (lourde et morbide parenthèse Covid... La suite
Elliott Murphy : Ricochet par Jacques 2 Chabannes
17/11/2019
Il est toujours délicat d'arriver à faire fonctionner d'aise ensemble un bouquet de chansons enregistrées à intervalles irréguliers : çà et là, au fil des ans, des projets de reprises ou hommages, de sessions radio, de concerts donnés et... La suite
Elliott Murphy : Elliott Murphy Is Alive! par Jacques 2 Chabannes
07/12/2018
Le Secret (Live) Derrière LA Porte !
Comme souvent, divers sentiments se mêlent, divergent ou s'entrechoquent, lestés d'angles contradictoires, lorsqu'un artiste décide, de SON VIVANT, d'entrouvrir un rien (en grand, bientôt ?) la poussiéreuse... La suite
Elliott Murphy : Aquashow Deconstructed par Jacques 2 Chabannes
12/03/2015
"Déconstructif"...
(Tiens, j'aurais hésité longuement entre "Déconstruit" et "Instructif", que ça ne m'étonnerait pas...)
À la veille de ses traditionnels Birthday Shows (concerts anniversaires), donnés chaque année au mythique New Morning de... La suite