Accueil Chronique album : Nevche (Nevchehirlian) - Rétroviseur, par Philippe
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Critique d'album

Nevche (Nevchehirlian) : "Rétroviseur"

Nevche     (Nevchehirlian) :

Pop - Rock

Critique écrite le 14 avril 2014 par Philippe

En intitulant son nouvel album Rétroviseur, Frédéric Nevchehirlian, a.k.a. Nevche, semble d'abord souligner malicieusement ce qu'il ne fait précisément pas : regarder dedans... Dieu sait qu'il pourrait s'y perdre, là-derrière, ou être tenté d'y retourner, tant la route déjà parcourue est riche et célébrée, depuis les expériences fascinantes de Vibrion (peu ou prou, l'invention du slam en français) jusqu'au merveilleux hommage Prévertien Le Soleil Brille (pour tout le monde ?), en passant par un très poétique premier album éponyme.
Eh bien non, il s'en garde bien, le poète au regard si doux, de surfer sur une vague pourtant gonflée par l'adoubement de France Inter : il claque la porte de son appart', flanque sa particule arménienne au coffre et démarre la voiture, sans aucunement checker le rétroviseur (c'est un marseillais, donc un chauffard !). "Galope, te dis-je !" déclare la splendide balade Vas-tu Freiner : comme une résumé de sa fuite en avant - on pourrait aussi dire, son ascension irrésistible ! - vers un succès qu'on espère désormais inéluctable. Quitte à déraper par moments dans la variété contondante (Grands Brûlés de l'Amour, un peu borderline à notre goût), qui n'est heureusement qu'une piste parmi d'autres, comme un raccourci juste envisagé...
Car peu importe que la bagnole de Nevche verse un peu en franchissant la calanque de Samena à toute berzingue, tant qu'elle tient la route vers le vrai objectif de cet album : direction la Baie des Singes et Callelongue - impossible de ne pas reconnaître le profil familier de l'ile Maïre sur la couverture ! Pour se concentrer cette fois sur ses deux vrais sujets, qui s'entre-croiseront tout du long : Marseille, et l'Amour. Le tout servi avec son habituelle humeur, celle du spleen, celle qui sied généralement le mieux aux poètes. Mais pas sans humour ni finesse : contrairement à ce qu'on pourrait croire dans ce contexte, la poignante chanson Marseille déclare finalement sa flamme à une femme sans pratiquement parler de la ville... Elle qui n'est elle-même évoquée qu'en creux et sauf erreur, nommée que deux fois dans l'album. Au contraire, tous les textes semblant ne dire que les états de l'Amour, de Notre Rendez-vous manqué aux soubresauts de notre passion (de Oh je Voudrais à Soleils Saouls), paraissent assez bien amarrés à des références géographiques locales...
Amour et Marseille ? Reste évidemment à traiter l'Amour de Marseille ! Cette satanée ville que, comme tous ses habitants, il adore détester, ne pouvant décidément pas vivre avec, ni vivre sans. Et là encore, la poésie anciennement plus ésotérique de Nevche est ici foutrement bien tanquée dans le quotidien ! Gueuler un bon coup sur la "gestion" de la cité phocéenne ? Rendez-nous l'argent !, ponctuée parmi d'autres d'interventions du divin Saul Williams, résonne idéalement au lendemain des festivités d'une année 2013 dite Capitale, dont il ne reste que des bâtiments, certes somptueux mais financés par d'autres et les enrichissant aujourd'hui ! Quand notre dîme locale n'a payé, elle, que du pain et des jeux, autant de sable qui nous a glissé dans les doigts... Laissant au plus démuni la seule piste de ses petits trafics, autant de rues à sens unique qui peuvent très bien se finir pour lui à contempler, deux trous au côté après un énième et anecdotique règlement de compte, son pauvre Rétroviseur. Essayer malgré tout de retrouver comment vivre en harmonie ? Si nous Marchons ensemble, chanson qui serait déjà splendide dans un monde meilleur, a franchement de quoi faire chialer à chaudes larmes, depuis le résultat désastreux des dernières élections par ici. L'Amour de Marseille, cette garce ? En trois chansons, tout est dit !
Et une fois quadrillé cet élégant chassé-croisé thématique, il reste assez de place (et d'essence dans sa caisse) pour que Nevche nous emmène encore ailleurs tenter deux ou trois trucs nouveaux. S'amuser un peu ? La potache Les Régimes à la Mode (bien malin ou maligne, qui n'a pas cédé à certaines des sirènes citées ici) est fort drôle, en plus d'être une petite bombe à danser sur scène. Plus ironique, Digital Natives souligne elle aussi la superficialité du monde moderne. Se rappeler de sa "folle" jeunesse, comme on dit ? Sur le Parking évoque avec nostalgie et ironie mêlée, des heures cramées à glander, frimer, furer, à attendre de devenir quelque chose. Ou mieux, joli clin d'oeil au Maghreb (sur la plage d'en face, on est toujours à Marseille !) : qu'un printemps nous soulève... Et c'est là tout le mal et tout le bien que nous pouvons en effet, collectivement, nous souhaiter, à condition bien sûr qu'il ne soit pas français, ce pauvre printemps... Ce nouveau disque, globalement très réussi, en sera en tout cas la bande-son idéale, du printemps, alors ne lui résistez pas plus longtemps !
(Autre distribution, 2014)
Vignette Philippe

 Critique écrite le 14 avril 2014 par Philippe
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