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Chronique album : Pascal Escobar - Histoire Du Rock à Marseille, 1980-2019, par Philippe
Mardi 5 novembre 2024 : 7119 concerts, 27217 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.
Critique d'album
Pascal Escobar : "Histoire Du Rock à Marseille, 1980-2019"
Car fatalement, l'auteur Pascal Escobar en a oublié ou écarté donc, des gens, des groupes et même des lieux, malgré un très gros travail d'enquête, entériné par une indexation précise, et sans doute une ligne éditoriale argumentée. Mais la vie est ainsi faite que les rues de Marseille (comme celles d'autres villes), sont pleines de gens qui ont fait du rock, dans leur jeunesse, que ce soit il y a 5, ou il y a 50 ans... Des gens dont certains ont bien marché à leur époque, ont rempli des salles petites et grandes, ici ou même ailleurs, ont sorti un disque qui s'est vendu (au moins à la hauteur de leurs espérances), ont organisé un festival, ont tourné en France... Des gens dont certains ont peut-être tutoyé les sommets, au détour d'une date où ils ont ouvert pour des stars, ou au cours d'un festival d'envergure où pour une fois, ils n'étaient pas programmés en ouverture... "Je me voyais déjà, en haut de l'affiche", refrain connu...
D'ailleurs l'histoire de la plupart des groupes racontés dans le présent livre se finit elle-aussi comme ça, comme celle des groupes non cités : sur une désillusion ou une perte d'envie collective, après une brêve période passée dans la lumière, mais avec des souvenirs et des anecdotes pour toute une vie. Et après s'être vus une fois au moins, un soir dans une salle comble, souvent au siècle dernier, en train précisément d'écrire eux-aussi une page de l'histoire du rock... Et l'ayant fait, assurément, dans certains coeurs ! Mais peut-être, justement, pas complètement dans une mémoire collective, une qui soit à l'échelle de toute la ville... et de 4 décennies ?
Alors évidemment, les rêves ayant généralement été remisés depuis, avec la guitare qui sèche dans sa housse au grenier, ouvrir un tel livre et ne pas s'y voir, pour un rockeur de 25 ou de 75 ans, c'est forcément une violence symbolique, au moins un demi-tour de couteau remué dans la plaie ancienne d'une vie en rock qu'il avait peut-être rêvée... ou même brièvement vécue ! Des gens ont forcément été vexés, frustrés ou peinés hélas, et c'est humain ! Mais de toutes façons, si on y réfléchit un peu, le problème d'écrire l'Histoire, c'est toujours le même, non ? L'Histoire de France par exemple, que je sache, elle a bien été écrite à rebours, depuis Malet & Isaac, et uniquement du côté des hommes / des gagnants / des colonisateurs... Les femmes / les perdants / les colonisés l'auraient donc écrite très différente, et certain.e.s l'ont fait, d'ailleurs, avec la même légitimité, et ça raconte évidemment tout autre chose ! Essayez donc d'écrire l'Histoire collective de ... qui que ce soit, et dans le meilleur des cas, vous ne mécontenterez que la moitié de ses protagonistes !
Autre erreur peut-être, en faire un peu partie, de cette histoire ? Car Pascal Escobar a été lui-même musicien et activiste de la scène rock ! Gagnant en un carnet d'adresse bien fourni, ce qu'il y perd forcément, un peu, en objectivité... Il n'a pourtant pas spécialement insisté sur les nombreux groupes où il a joué : on en voit au moins un qu'il n'a pas cité, et un autre qu'il a déjà raconté ailleurs (un papier superbe dans Dig It !, sur son groupe adolescent...). Il semble qu'il n'ait pas non plus honteusement surévalué des groupes de copains et autre frangin (son propre frère étant une rock star notoire)... Même si oui, c'est vrai, quand on connaît un peu la scène rock locale (modestement, c'est notre cas), on trouve sans difficultés des groupes ou artistes qu'il a seulement cités (voire zappés), et qui auraient mérité une vraie entrée. Ou d'autres qu'il a un peu évoqué ... mais qui nous ont paru plus importants et "historiques" à Marseille, justement, que ce qu'il en retient. Pour qui ça intéresse - personne, a priori ! - on gardera en tout cas notre propre name-dropping pour nous, et chacun se fera bien le sien !
Bon, et alors, qu'est-ce que tout ça peut foutre ? Rien. Car il se trouve qu'après 5 paragraphes à disséquer les défauts de ce livre, tout ça n'enlève rien au plaisir simple et immense... de le lire, voire de le dévorer !
Car seul quelqu'un ayant vécu les choses de l'intérieur pouvait capter aussi bien l'ambiance moite et furieuse d'une Machine à Coudre ou celle parfois un peu dingue mais aussi gastronomique de la Maison Hantée, l'esprit du Lollipop Music Store, havre actuel du rock phocéen, entre autres (13 entrées de lieux). Et c'est assez fort, voire émouvant, pour les endroits qui ont fermé (ou beaucoup changé) depuis, tout comme pour ceux qui tiennent le coup depuis 10 ou 30 ans... Les témoignages choisis et mis en tête de chapître, sont eux aussi étonnants et parfois un peu remuants, en terme de bons et mauvais souvenirs, et font en tout cas rouvrir de jolies capsules temporelles à leurs témoins.
Et sinon, il y a quand même plus de 80 groupes chapitrés, dans 12 styles de musiques rock différentes, chacune introduite par un article... C'est déjà pas mal et pour ces groupes-là, c'est une mine d'informations et d'histoires. Est-ce que c'est la totalité du rock à Marseille sur 40 ans ? ... Est-ce que la Terre est plate ? Non évidemment. Mais bien malin qui pourrait la décrire entièrement, la planète rock de Marseille, et en 350 pages maximum, SVP... Est-ce que l'auteur devrait avoir une fessée pour s'être trompé sur l'année d'ouverture de Lollipop p.201, et une autre pour l'orthographe de "thrash metal", page 40 ? Assurément, ce sera fait ! Mais on s'en remettra, et lui aussi. Quant à la très riche collection de photos présentées, bonus vraiment appréciable, elle ressort en outre le passé parfois boutonneux (voire pire, frisé) de jeunes cons prêts à bouffer le monde depuis Aubagne ou Carry-le-Rouet... et devenus d'honorables rockeurs à tête grise aujourd'hui : il faut avouer que c'est assez marrant !
Au final donc, ce n'est certes pas l'encyclopédie définitive du rock à Marseille, qui aurait alors dû faire un tome de plus (et qui n'aurait sans doute pas été aussi plaisante à lire). Et que personne n'écrira probablement jamais, d'ailleurs. Mais déjà, une vraie somme sur le sujet, occupant un espace béant et à combler d'urgence ! Nous sommes nombreux à nous être impliqués, un peu ou beaucoup, pour faire vivre et connaître cette scène rock locale, éminemment riche et foisonnante... Et il est bon de savoir qu'à l'heure d'Internet (qui a peu de mémoire, malgré ce qu'on croit) et pire encore, des réseaux sociaux (qui eux, n'en ont pas du tout), quelqu'un de sérieux et de courageux a pris le temps !
Le temps d'arrêter la course folle du FoMo et du prochain Event sur FB... De s'asseoir, prendre un bloc-notes, se gratter la casquette et suçoter un crayon, et d'écrire un putain de livre sur ce sujet : le rock à Marseille, celui qui berce nos vies... Un livre imparfait, mais beau, aimable et très prenant, qu'on va ensuite pouvoir poser dans une putain de bibliothèque, elle-même un peu de traviole, mais à laquelle on est très attaché aussi... Parce que la perfection n'est de toutes façons pas de ce monde... Parce qu'aucun rockeur de Marseille n'a finalement joué au Royal Albert Hall, et que du coup, tout le reste n'est que littérature. Et que faire de la littérature avec du rock, justement, ce n'est déjà pas rien... Alors merci, Monsieur Escobar !
(Le Mot et le Reste, 2019)
PS : Release party au Makeda avec deux très belles affiches rock, les
29 et 30 novembre 2019 !
Critique écrite le 18 novembre 2019 par Philippe
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