Critique d'album
Johnny Cash : "American VI : Ain't No Grave"
Quelques 40 chansons d'une stupéfiante beauté, sépulcrale et chairdepoulesque, chantés d'une voix de plus en plus chevrotante par le géant, à la fin terrassé par la maladie, paralytique et presque aveugle (à l'opposé du bambin souriant ici, voir l'image laissée dans le clip sublime de Hurt), finalement veuf de sa bien-aimée June Carter, posant encore son coeur, ses tripes et le reste sur la table, désireux d'enregistrer jusqu'à son dernier souffle.
Puis il y en a eu 5, et maintenant, 6. A chaque fois, en nous jurant que ce sont les dernières qu'il a enregistrées - à chaque fois le fan, sidéré de cette mini-résurrection, écoute religieusement, renifle, chiale, se remet pratiquement à croire en Dieu, fait son deuil et se dit qu'il doit passer à autre chose. Pire encore, le fan éploré et inconsolable du Plus Grand Chanteur Américain De Tous Les Temps, se réécrit l'épitaphe à chaque fois, sur Concertandco comme ailleurs (la dernière donc, pour American V : A Hundred Highways qui comportait son lot de chansons bouleversantes). Et à l'annonce du nouveau cru, l'endeuillé continuel en veut à mort à ses cruels dealers d'émotion, tout en les remerciant intérieurement de prolonger ainsi l'aventure, presque au même rythme que si Johnny Cash vivait encore...
Voici donc American Recordings VI : Ain't No Grave. Bien sûr, le pic fut atteint sans doute entre les enregistrements III et IV et on est sur une pente descendante, les reprises étant moins prestigieuses que par le passé. Mais peu importe, on retrouve l'émotion intacte, sur des orchestrations à la fois feutrées et chatoyantes, les plus belles imaginables, à écouter encore une fois Johnny Cash égrener ses sujets favoris de sa voix sub-claquante, tour à tour tragique ou légère.
Ainsi, la combattante Ain't no Grave évoque sa propre résurrection (clin d'oeil pour le moins pertinent ici !) ; Redemption Day est un nouveau monument chrétien à en tomber à genoux (et notre préférée) ; For the Good Times a un double sens poignant, s'adressant à un amour que l'on quitte pour le réconforter (l'auditeur peut aussi le prendre pour lui à quelques rimes près) tout comme Can't help but Wonder where I'm bound (il se demande où il va, et nous invite à ne pas le suivre) ; I Corinthians 1555 est comme son nom l'indique un épître récité d'une voix pleine d'allégresse (qui aurait bien pu loger sur son mythique My Mother's Hymn Book) ; Satisfied Mind est l'archétype de la chanson bluesy (immense titre déjà présent sur la BO de Kill Bill vol.2, et encore avant reprise par Jeff Buckley) ; I don't Hurt anymore en petite balade légère et gentiment misogyne ; la très ancienne Cool Water comme ultime complainte de cowboy, un style que Cash affectionnait ; Last Night I had a Dream en parabole pacifique naïve comme seul un vieux bigot comme lui pouvait en chanter sans avoir l'air ridicule ; et enfin Aloha Oe, hymne composée par la dernière reine de Hawaï à l'histoire tragique, Lydia Lili'uokalani.
32 minutes de résurrection à peine et 10 chansons pratiquement toutes indispensables interprétées par Johnny Cash : un mini-miracle à découvrir le coeur serré et les yeux parfois embrumés, puis à écouter en boucle, déjà certain(e) que sans doute, pas un album de vivant ne nous bouleversera davantage en 2010...
(2010)
Bonus : Johnny Cash pour les Nuls, les débutants & les jeunes padawans ?
Surtout, SURTOUT, ne pas commencer par la fin ! Au minimum, écouter tous les Legendary Sun Records des années '50, puis les concerts mythiques de St Quentin/Folsom, avant de vous aventurer dans ces American Recordings. N'ayez pas de complexe, il n'a plus besoin de votre argent et en plus, il aimait chanter pour des délinquants comme vous... Et, au fait, vous êtes un(e) sacré(e) putain de veinard(e) si vous avez encore tout ça à découvrir...
Critique écrite le 24 février 2010 par Philippe
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