Critique d'album
Joseph Arthur : "Lou"
Se fendre ainsi d'un disque entier de reprises d'un même artiste, d'un groupe, ou de l'intégralité d'un album très précis, relève souvent de l'entreprise périlleuse, d'un manque de créativité momentané ou du domaine de l'inconscience pure, c'est varié, c'est selon. Les exemples abondent néanmoins, mais les réussites sont bel et bien rares. La plupart du temps - tandis que les "cadors" ou vedettes se lancent de convenu sur les traces profondes du père Zimmermann fondateur : facile, soit, mais jamais véritablement aisé ou totalement convaincant, au bout du bout ! - et quels que soient les artistes abordés, le résultat relève purement et simplement de la "performance versus indifférence", du ratage total ou de l'ennui en barre. Si d'aucuns, comme Henk Hoffstedde (The Nits/Avalanche Quartet) avec Léonard Cohen, Camper Van Beethoven avec le Tusk de Fleetwood Mac, ou The Seeger's Sessions (Bruce Springsteen reprenant le patrimoine de Pete Seeger) ont parfaitement su retranscrire l'univers originel, voire même, le transcender, ils ne furent pas légion à rendre une copie excitante ou ne serait-ce qu'au "niveau" de l'effort initial. Nope. Ici, pourtant, concernant ce récent Lou, la mayonnaise ne se révèle point indigeste ou trop grasse, grâce à un parti-pris initial osé (pas de batterie, pas d'instruments électriques) finalement gagnant, à défaut d'exceptionnel ou transcendant.
Genèse...
Lorsque Peter Gabriel avait décidé de signer le (désormais) New-Yorkais Joseph Arthur sur son label Real World (1996) il s'était pointé au rendez-vous, au coin d'une scène de la Big Apple, accompagné de l'un de ses plus célèbres résidents à vie : Lou Reed ! Une première qui n'aura pas tout de suite engendré une belle amitié entre ces deux musiciens inventifs, mais qui aura néanmoins tissé le premier fil d'une future estime mutuelle muée en relation intime quelques dizaines d'années plus loin. D'où cette volonté forte, affichée, quelques jours à peine après sa disparition, à l'aide d'une émouvante et épastrouillante reprise d'un sommet nommé Coney Island Baby, de rendre un vibrant hommage à l'homme Reed! Une unique adaptation alors réservée à la sortie d'une future compilation, qui aura finalement accouché d'une portée de douze rejetons bien portants et ressemblants, quelques sept mois plus loin.
Paradoxalement, au sein de cet étonnant Lou, ce sont les titres les plus connus du "Transformer Man" - Walk On The Wild Side, Heroin, Satellite Of Love - qui souffrent le plus de la comparaison d'avec les "originaux" pour cause de trop grand respect ou manque de "décalage" plus osé des "incontournables" en question. Pour ma part, j'ai rarement entendu de bonnes versions du grandiose Walk On The Wild Side, véritablement magique sur disque, mais in fine un rien pesant ou trop scolaire sur scène (y compris de la part de son auteur en live) ; une critique valant également pour l'incomparable Satellite Of Love. Heroin, quant à elle, peinant à décoller réellement à cause d'une instrumentation trop "sèche", trop "nue", empêchant cette longue descente aux enfers initiale de coller tout du long au plus proche de la transe, de l'envoûtement pur et simple caractérisant la version "Velvet", ou bien celle offerte en live quelques années plus loin avec le fameux trompettiste Jazz Don Cherry ! (76) ; Pale Blue Eyes faisant ici office de parfait contre-exemple, pour cause de grande habitude, ou totale maîtrise, plutôt (parce que souvent jouée live et même enregistrée avec ses compères de Fistful of Mercy, en la toute proche 2010).
Moins exposés médiatiquement, ou loués du grand public, ce sont les morceaux laissés pour compte, carrément obscurs ou plus "meubles", qui font au mieux la maille : Magic and Loss, qui ne cesse de monter en intensité pour fasciner au final : une mise sous tension très aboutie, quoique menée au plus proche des habituelles terres du sieur Arthur ; Wild Child, qui donne tout bonnement envie d'aller se plonger dans la foulée sur le trop peux médiatisé Lou Reed (72) afin de mieux comprendre le pourquoi du comment de cet inexplicable oubli initial ; quant à Men of Good Fortune, il retranscrit on ne peut mieux l'extrême finesse de sa composition et la poésie singulière du texte écrit par feu ce féru de littérature classique, indéfectible amoureux d'Edgar Allan Poe et Shakespeare, entre autres...
Seul petit reproche à asséner à cet opus "hommage", ce côté un poil trop "sage" et déférent, soucieux de vouloir avant tout mettre en avant l'uvre de feu Lou, alors que l'on aurait pu s'attendre (réclamer ?) à plus d'inventivité, plus de moite et "sale", venant de cet électron libre parfois/souvent ingérable et "barré", voire jusqu'au boutiste, par le passé, qu'est le gars Joe - l'on a par moments l'impression, céans, d'assister à une véritable commémoration ou une messe "hommage". Au centre de cette interrogation légitime, le côté épuré et linéaire des arrangements (communs à la quasi intégralité des titres) : en tous points parfaits pour accompagner de respect une élégie ou une cérémonie funèbre partagée entre proches, parents et intimes, mais un rien répétitifs, voire lénifiants, sur la longueur (langueur ?). À ce niveau, la version (plus) aventureuse de Magic and Loss - ou le parti pris très rebrousse-poil, mais réussi, de Dirty Blvd - aurait méritée d'être dupliquée sans retenue, de l'approche et du sens.
Une approche tout en retenue (globalement) néanmoins souvent transformée de succès, parce que le natif de Akron/Ohio est également nanti d'une belle voix grave et placée qui lui permet de chasser au mieux sur le domaine très réservé du regretté disparu : Stéphanie Says, Wild Child. Sword of Damocles.
Reste encore à trouver dans quelle mesure un tel album peut servir positivement la carrière chaotique et en dents de scie de cet artiste hors normes, talentueux, facile et doué, alors que le troisième volet de la superbe trilogie The Ballad of Boogie Christ était ardemment et logiquement attendu (et souhaité) par les fans récents ou de longue date. Pour se consoler, tout en lui souhaitant des jours meilleurs et un rebond médiatique enfin au diapason de ses immenses qualités intrinsèques, rien de mieux que d'écouter en boucle, et sans retenue, cette envoûtante trilogie New-Yorkaise, formée ici de : New York City Man, Dirty Blvd et Coney Island Baby ; trois moments hors du temps qui permettent de fêter dignement la mémoire d'un artiste polémique et passionné qui aura, quarante-six années, durant, participé au mieux à écrire la glorieuse histoire du Rock : ses fragrances enchantées, fulgurances poétiques, polémiques sociétales, débordements divers opérés sous testostérone, troubles scandales sexués, errances et dérives multiples, ou travers assumés (giclées de foutre, seringues et lignes de coke, incluses).
Un "prince de la nuit et des angoisses" (comme le surnommait Andy Warhol) qui trouve logiquement son écho ici en la personne de ce New Yorkais d'adoption (au parcours humain longtemps mené sous les mêmes cieux addictifs et/ou centres d'intérêts communs d'avec le Lou) dont tout le monde dit le plus grand bien (Peter Gabriel, Micheal Stipe/REM, Coldplay, Ben Harper, Jeff Ament/Pearl Jam...) mais qui peine pourtant encore et toujours à confirmer, niveau succès planétaire mérité.
Parenthèse réussie, néanmoins, que celle formée par ce Lou débordant d'émotion et savoir faire. Plus ne lui reste désormais qu'à sortir LE disque qui serait à même de le faire définitivement passer à l'échelon au-dessus (succès populaire compris) pour rejoindre ou siéger enfin aux côtés du maître disparu de Long Island, amoureusement remercié ici, douze chansons, douze sommets, durant...
"Je suis un homme de la ville de New York City / Le temps pour vous de cligner des yeux et je m'en serais allé..." (New York City Man/Set The Twilight Reeling/96)
Lou :
Walk On The Wild Side (Transformer/72)
Sword Of Damocles (Magic and Loss/92)
Stephanie Says (Velvet Underground Outtake/68)
Heroin (The Velvet Underground & Nico/67)
New York City Man (Set The Twilight Reeling/96)
Satellite Of Love (Transformer/72)
Dirty Blvd (New York/89)
Pale Blue Eyes (The Velvet Underground/69)
Magic and Loss (Magic and Loss/92)
Men Of Good Fortune (Berlin/73)
Wild Child (Lou Reed/72)
Coney Island Baby (Coney Island Baby/75)
Critique écrite le 25 mai 2014 par Jacques 2 Chabannes
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