Accueil Chronique album : Judith Juillerat - Oneironautics, par Phil2guy
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Critique d'album

Judith Juillerat : "Oneironautics"

Judith Juillerat :

Pop - Rock

Critique écrite le 29 janvier 2020 par Phil2guy

Voilà un disque " made in France " sorti en 2019 dont on a assez peu parlé mais qui surpasse en inventivité et singularité la grande majorité des productions actuelles. Signée sur le label d'obédience " post punk cold synth wave ", Unknown Pleasures Records, Judith Juillerat est une musicienne qui s'accompagne de synthétiseurs analogiques, de samplers et autres machines, et qui s'est fait connaître au début du millénaire avec un remix de Army of Me de Björk dans le cadre d'une compilation pour l'UNICEF. Elle a sorti depuis trois albums et deux EP dans une veine électro downtempo expérimentale à l'univers très personnel, que certains ont qualifié de " sweet industrial ". Ce nouvel album, Oneironautics, dont le titre fait référence aux oneiroi (des divinités qui personnifient les rêves dans la mythologie grecque) est, en plus d'être une pure merveille, une véritable invitation au voyage dans un monde onirique. L'album s'ouvre sur un instrumental majestueux I had a dream, sur lequel se superposent des boucles et des nappes de synthétiseurs analogiques, dont le titre annonce clairement la thématique de l'album. On est tout de suite intrigué et happé par le climat mystérieux qui se dégage de cette musique. Sur Between you, me and the Gatepost, le son discret d'un métalophone gravite autour de lentes boucles synthétiques sur lequel Judith Juillerat pose un chant (en anglais) mi-parlé, et presque murmuré, d'une étrange beauté. Le titre est traversé par des samples de chants d'oiseaux et du son de l'écoulement d'une rivière qui apportent à ce titre une véritable douceur organique. Et c'est un des aspects les plus étonnants de cette musique : la douceur et la sensualité qui s'en dégagent, bien qu'elle soit dominée par des synthétiseurs analogiques, aux tonalités souvent sombres, dont la musicienne explore les différentes possibilités sonores. Il n'y a pas cette froideur souvent inhérente aux musiques électro (même si cela peut avoir aussi son charme) ni d'effets " dark " clichés, la tonalité générale des dix titres de Oneironautics évoque davantage le clair-obscur, et son atmosphère est globalement calme, proche d'un ambient downtempo jamais invertébré. La musique de Judith Juillerat est une musique aventureuse comme peut l'être celle de Nurse with Wound, avec des trouvailles sonores toujours inattendues comme une rythmique tribale sur l'instrumental Sin, ou un drone qui constitue l'ossature du splendide et hypnotisant Sweet Tuttle. Les quelques instruments acoustiques utilisés, comme le saz ou le métalophone sont toujours subtilement intégrés. Si la musicienne semble parfois expérimenter ou jouer avec les accidents sonores et les saturations de ses synthétiseurs, elle a l'art de composer des mélodies entêtantes, comme celle du très beau Half Moon. On peut entendre aussi une étonnante reprise de Riding on the cloud des légendes du krautrock Amon Düll 2, dans une version qui démarre par les oscillations de fines nappes de synthétiseurs sur lesquelles vient s'ajouter une boucle qui rappelle ces musiques de fête foraine jouées à l'orgue de barbarie. L'album s'achève par deux superbes titres : l'instrumental et bien nommé In-Flight avec ses grandioses montées en puissance des différentes couches de synthétiseurs et ses effets rythmiques évoquant des battements d'ailes, qui nous donnent d'un coup l'impression de se retrouver au milieu d'une nuée d'oiseaux migrateurs, et le plus dépouillé et planant Navigability, parsemées par les notes d'un piano un rien désaccordé du plus bel effet. La musique de Judith Juillerat, par sa manière de solliciter ainsi l'imaginaire, est très cinématographique.
Oneironautics est véritablement un disque splendide et inspiré, d'une beauté crépusculaire, dans la lignée du Musick to play in the dark de Coil, rien moins. De plus, l'artwork est soigné : la pochette représente la photo d'un lys rose presque fané prise dans une semi-obscurité. Le contenant, un CD digipack de forme hexagonale qui se déplie en deux volets, est un bel objet à la hauteur du contenu. Voilà donc une des plus enthousiasmantes réussites qu'il m'ait été donné d'entendre en matière d'électronica rêveuse depuis bien longtemps, et qui devrait séduire tout amateur de musiques aventureuses et hors-norme.

 Critique écrite le 29 janvier 2020 par Phil2guy
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