Accueil Chronique album : Katel - Elégie, par Catherine Deylac
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Critique d'album

Katel : "Elégie"

Katel :

Pop - Rock

Critique écrite le 10 avril 2016 par Catherine Deylac

A l'origine était l'urgence de retrouver l'élan. Six ans après Decorum, Katel revient avec ce que je considère être son meilleur album. Six ans, c'est long pour qui attend, c'est le temps qu'il lui a fallu pour composer, écrire, chanter autrement, réaliser et mixer, pour balayer le doute aussi... Aujourd'hui, elle présente un travail dont elle peut légitimement se sentir fière. Deux mots le caractérisent : soin et temps ; un soin infini a été apporté aux détails, celui qu'on se prodigue en chantant à pleins poumons, le temps ennemi qui permet aussi de transcender la réalité. Elégie porte en lui l'espoir de s'élever au dessus du réel pour atteindre un idéal supérieur. En cela il est poétique, philosophique, lyrique et mystique. Je ne parle pas de mysticisme religieux bien que Voûtes en aborde le sujet, mais de la relation que nous avons au Sacré, aux domaines qui nous inspirent un respect absolu. Dans ce nouvel opus, c'est d'amour qu'il s'agira. Il faudra l'écouter avec l'âme pour déceler les filigranes, les non-dits, respirer les espaces, sentir le rythme des saisons. On goûtera aux émotions incontrôlables, aux distances que l'esprit déforme et agrandit, mais attentif aux détails on verra le soleil se lever, le sang affluer aux joues, la passion déverser ses flots incoercibles : sans effet de scènes, baigné de lumière, "en dehors du temps" sera-on d'abord tenté de dire, "au cœur du temps" serait plus exact. Le temps est travaillé comme une immense trame tissée, pluri-directionnelle, dont on teste l'élasticité. Dans son laboratoire ludique, Katel a troqué sa guitare pour une collection de claviers électroniques et pour faire évoluer sa composition, elle a travaillé via des logiciels d'écriture musicale, en utilisant le piano comme point de départ. Elle suit ainsi les traces de la grande PJ Harvey qui pour son White Chalk avait appris le piano en autodidacte. Ce retour aux sources-mêmes de la création nous mène à un album à la fois surprenant et brillant. C'est une œuvre unique dans le paysage de la chanson française, tant par son écriture maîtrisée que par sa composition résolument contemporaine et inédite dans ce genre musical. A mon avis, elle lui rend toutes ses lettres de noblesse.

Voûtes ouvre sur une dispersion. Une voix lead devient légion, se propage dans le vide. Multiples voix qui n'en sont en fait qu'une, celles-ci se répondent, se lient, se délient. On éprouve les distances incommensurables entre le Moi et l'Autre ; or la voûte céleste les relie. L'une d'elles fait envisager une vie sans ciel, sans elle, sans ailes. L'autre fait de l'aimé son tout, son ciel. Abordant la thématique de l'hiver de l'âme, elle l'approfondira dans Danse sur le lac de Constance et Saisons. Les interprétations de ce texte sont multiples, il était visiblement question ici d'ouvrir le "champ des possibles", le véritable domaine de cet album. Cyclones démarre comme la promenade d'une indolente et se transforme en tempête émotionnelle. On reconnait à peine la voix de Katel qui avance sans masque (arraché par le vent ?), connectée au sentiment de détresse. Symbole des changements à venir, le vent balaie tout : les boucles sonores et les chœurs reprennent le mouvement ascensionnel des cercles excentriques du tourbillon. C'est l'un de mes titres préférés de l'album, avec Hors-Foule. A l'aphélie vient rompre le ton. Une jeune femme se livre au chantage affectif, versant nord de la femme amoureuse qui ne sait retenir l'être aimé. Au large interroge l'horizon, l'au-delà. Des pizzicatos s'invitent, les accords modulent tel le déroulement infini d'une lame... On remarquera que le terme "vide" apparaitra pour la troisième fois. Île de solitude ou lac gelé dans Danse sur le lac de Constance, les métaphores sont nombreuses pour dessiner l'âme séparée du corps. L'intro du titre me fait penser par l'emploi du piano à la musique répétitive du pianiste minimaliste allemand Hauschka, mais aussi à l'audacieux Lee Is Free des Sonic Youth. A la fin du morceau pointe l'espoir de voir âme et corps réunis... Ce que confirme ensuite Hors-Foule : par un appel d'air vivifiant, l'âme se relie à sa part animale, prête à reprendre son envol. Le temps est suspendu, notons au passage l'emploi de l'impératif : ils sont nombreux dans cet album, en dresser la liste mentale vous permettra de choisir si cette élégie est une exhortation ou une prière. Le désir impérieux parvient à s'imposer, synonyme de retour à la Vie. Saisons évoquera le confinement avec sa petite mélodie à la Morricone qui reste plantée dans le crâne. Le piano viendra ensuite enfoncer le clou avec Echos, plus classique et grave, sans lourdeur toutefois. De l'ombre surgit en contrepoint de Hors-Foule, ce morceau illustrera le désir d'échapper à un réel par trop pesant. Elégie clôt cette magnifique déclaration d'amour faite à la vie elle-même.

Ce nouveau chapitre marque donc la reprise d'un dialogue, d'un questionnement sur les aspirations les plus profondes de chacun. Il fait état de l'éternel combat en nous entre le feu et la glace et conclut sur les trois plus beaux mots de la terre. Courez l'acheter.

8 avril 2016 AT(h)OME

 Critique écrite le 10 avril 2016 par Catherine Deylac

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