Critique d'album
Lou Reed & Metallica : "Lulu"
En profitant généralement, après un exposé de leur inculture crasseuse, pour se moquer en passant de l'âge des protagonistes du disque, un noble songwriter new-yorkais et de mythiques metalleux californiens, légendes vivantes à qui le rock et le metal doivent respectivement une reconnaissance infinie... Ces plumitifs (pourtant souvent quadragénaires eux-même !) se plaçant donc dans une posture jeuniste qui nous donne tout au plus envie de leur chier dans les pompes, voire même de faire rentrer leur iPhone 5.2 dans le mauvais sens de leur tube digestif...
Car, non ! Ce disque n'est pas "ce que Metallica a enregistré de meilleur depuis 20 ans" : ceux qui on écrit ça ne peuvent pas connaître l'excellent Death Magnetic (2008), dont la plupart des riffs et des mélodies est largement plus originale. D'ailleurs les même parlent généralement de "trash metal" sans aucun complexe... alors que, bien sûr, ça ne veut rien dire.
Et non ! Désolé, mais ce disque n'est pas non plus "ce que Lou Reed a enregistré de plus inécoutable depuis Metal Machine Music" : ce disque-ci est parfaitement audible, construit assez classiquement entre un groupe et un chanteur, et n'a (heureusement) rien à voir avec la très déconcertante (et pénible) heure de bruit blanc enregistré par Lou Reed en 1975... Il est conceptuellement bien plus proche de Berlin, puisqu'il raconte l'histoire de Lulu, une prostituée sortie des rêves (ou des cauchemars) du ronchon à lunettes il y a environ trente ans, et dont il avait - à tort ou à raison - très envie d'enregistrer les monologues avec les "Four Horsemen" en backing-band de luxe...
Soyons francs : pas besoin de 30 écoutes pour conclure que l'introduction et la conclusion de ce disque sont respectivement, ratée et chiante ! Small Town Girl ressemble à du hard FM, avec Mr Reed posé en simple spoken word par dessus. Quant aux 19'29" de Junior Dad, elles font penser aux fin de morceaux interminables des années 70, de Van Morrison à certains titres du... Velvet Underground : au format vinyl, elle occupe toute la dernière face et semble finalement ne servir qu'à ça ! Egalement au rayon foirage, Little Dog, délire junky interminable et décidément insupportable.
Autres morceaux partiellement ratés : Pumping Blood a un début horriblement poussif, limite grotesque, suivie d'une accélération "à blanc" du groupe qui ne semble jamais être dans la même pièce que le chanteur - l'impression est un peu identique sur la plus posée Iced Honey. Ou sur Mistress Dread : Lou y bavasse des propos (peut-être volontairement) désordonnés, pendant que le groupe mouline un gros bazar répétitif et pas complètement maîtrisé, qui rappellera au mieux leurs années "garage" aux fans...
Plus intéressante, Cheat on me prend son temps (avec des musiciens additionnels - eh non, Kirk Hammett ne s'est pas mis au violoncelle...), dans une très lente montée qui correspond à une complainte de l'héroïne, se transformant peu à peu en colère, puis en monologue hystérique : pas mal, mais franchement trop longue ! Au contraire, on écoute sans lassitude la montée et les 11 minutes de prêche de Dragon, où le groupe est tout au service de l'homélie du pasteur qui est ce jour-là, manifestement très en forme !
Et enfin, on ne peut pas nier qu'il se passe quelque chose de grand sur certains morceaux : en particulier, quand la diction s'affermit - le texte aussi, et que le riff se muscle sur The View - où James Hetfield assure des choeurs puis le poème lui-même : méchante montée en puissance et une fin franchement jouissive ! De même, la diction assurée de Frustration tombe plutôt bien sur la musique, fort bien travaillée derrière un riff cache-sexe, et part dans des délires assumés : parfait cocktail entre les élucubrations droguées de l'un et la brutalité bestiale des autres : oh yeah !
Si on y ajoute un artwork très réussi et différent selon les supports (voir le poster central : on peut passer un moment à se demander quelles parties du mannequin sont réelles, ou en plastique), si on admet entendre là quelque chose d'original et de sauvage, et qu'après quelques semaines on s'aperçoit qu'on y revient fréquemment pour l'apprivoiser petit à petit... On n'est plus très loin de constater que Lulu est un projet franchement hors du commun et hautement digne d'intérêt : il fera certainement date, sinon dans l'histoire de Metallica, au moins dans celle de Lou Reed !
(2011)
PS novembre 2013 : conclusion prémonitoire puisque, hors fonds de tiroirs posthumes inévitables, Lulu sera bien le dernier album de Lou Reed (RIP).
Critique écrite le 01 décembre 2011 par Philippe
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