Critique d'album
Micah P. Hinson : "And The Pioneer Saboteurs"
Ce disque folk splendide de déglingue, commence par un bel air instrumental de cordes, violons et banjos, qui excite la curiosité et est repris plus loin sous forme d'une chanson d'amour, Dear Ashley, à peine habillée de la voix grave du chanteur. Etre suffisamment confiant dans un thème pour le décliner à l'envi sur un album, voilà bien une marque des grands compositeurs (voir la sublime BO, également dans ce style violonné, de The Proposition par Nick Cave, ou encore l'avalanche des Chicago de Sufjan Stevens).
Mais l'homme peut aussi décliner très simplement ses chansons : que ce soit sur Sweetness, seul à la guitare, ou sur le banjo et les choeurs un rien kitsch de My god, my god, il vous tape au fond des tripes avec cette évidence simple : il ne chante même pas génialement, c'est juste ... qu'il a une voix sublime, Micah P. Hinson, un peu à la Neil Diamond, si vous voyez. Et ce, qu'il chante un comptine trash (Seven Horses Seen), ou un espèce de folk break beat déglingué (Watchman, Tell us), ou que sa voix soit un peu effacée sur 2s and 3s, un gospel à la mélancolie délicate, joué par un orchestre foutraque qu'il semble avoir emprunté à Sufjan Stevens ou à Jason Lytle, ou encore sur Stuck on the Job qu'on aurait bien imaginé chantée par Daniel Johnston ou Mark Linkous....
Quel que soit le flacon en somme, et dieu sait qu'ils sont beaux et rappellent les meilleurs crus, ses flacons, on accroche encore plus gravement au timbre de sa voix, plus encore que sur les albums précédents (qu'on avoue ne pas tous connaître, en tout cas on peut attester qu'il a encore nettement progressé en interprétation depuis 2004). Ce timbre est fascinant au point qu'on l'attend même quand il ne chante pratiquement pas, porté par des instrumentaux luxuriants (She's building Castles in her heart), inquiétants (le début post-rock de The Returning) ou élégiaques et célestes. Au fait, après une énorme surchauffe cérébrale, on a pu établir avec certitude que la fin de The Returning (et de l'album), qui nous rappelait vraiment quelque chose, s'avère tout simplement une relecture de son propre premier morceau historique, l'inoubliable The Day Texas sank to the Bottom of the Sea ...
Alors bon, il a beau être par ailleurs un salopard de républicain réac' qui pense que Barack Obama est la mort du rêve américain, Micah P. Hinson n'en reste pas moins une sorte de chaînon manquant entre Johnny Cash et Sufjan Stevens. Plusieurs de ses chansons auraient pu figurer sur l'épatante compilation Dark Night of the Soul, et en particulier la bouleversante balade The Cross that Stole this Heart away : ceux qui connaissent cette compilation savent maintenant de quel division on parle, exactement. Les autres n'ont qu'à rattraper vite fait cette impardonnable lacune... Et si possible avant que cette petite enflure de binoclard white-trash vienne nous faire un jour se hérisser toute l'échine sur scène !
(2010)
Critique écrite le 09 décembre 2010 par Philippe
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