Critique d'album
NIRVANA : "Bleach / Nevermind / In Utero /Unplugged"
Introduction to the Nirvana's autodestruction.
Petit retour en arrière : Début des années 90, nous sommes alors en véritable partouze de musiques électroniques. Fornique pêle-mêle des groupes aussi divers et variés que Dépêche Mode, Talk Talk, Simple Minds, Aha, mais aussi Pet Shop Boys, The KLF, etc etc ... Pour résumer, on ressasse depuis le début des années 80 les mêmes recettes efficaces : Des synthés + des clips léchés + des looks parfaitement étudiés = Beaucoup de blé (C'est pour résumer hein...). Merci qui ? Au " Thriller " de Mickael Jackson.
En 1991, si certains groupes prodigieux émergents : Pearl Jam avec Ten, Massive Attack avec Blue Lines, My Bloody Valentine avec Loveless et que d'autres confirment leurs emprises sur les charts : Les Guns N'Roses avec Use your Illusion I et II, Métallica (l'album noir), les Red Hot Chili Peppers avec leur Bloodsugarsexmagik, Dire Straits et autres UB40, rien ni personne ne pouvait prévoir le vent de tempête qui déferlerait bientôt sur la planète musicale.
En effet, au début de l'année 1991, du côté de Détroit, germe un petit groupe annonciateur d'un immense raz-de-marée musical à venir : Nirvana. Avec son premier gazouillement musical, le prometteur Bleach, sorti en 1989, ceux-ci posaient déjà les jalons du son, et attitudes, à venir du groupe. Bien que certaines compositions soient relativement "fades" et que le groupe se cherche encore ; c'est un premier album, on remarquera le somptueux "About a girl", magnifiquement réorchestré cinq années plus tard, dans le "Unplugged in New-York". Puis d'autres morceaux "Blew" ou "Love Buzz" (reprise des Shoking Blue) pour leur efficacité, puis, déjà, les paroles de Kurt Cobain, empruntent d'une fragilité, d'une névrose et d'un mal de vivre bien ancré.
Mais c'est en 1991, que Nirvana va faire l'événement, avec son second opus, Nevermind. Avec cet album le groupe va véritablement décrocher la timbale de la gloire, et, dans le même temps, sans le savoir, la poêle à frire qui les grillera tous. On ne ressort pas toujours intact du premier contact avec la sainte histoire du rock.
Mes premiers souvenirs commencent par MTV (j'avais 15 ans...c'est loin !) et un premier clip déjanté venu de nulle part, diffusé en boucle sur cette chaîne : La bombe "Smells like teen spirit" est lancée. Et la face du monde musical de changer pour une année...
Tout de suite, on est happé, scotché devant notre télé. Neil Armstrong a marché sur la lune devant des millions de téléspectateurs médusés, il en va de même à cet instant pour Nirvana qui piétine sans vergogne la si tranquille planète musicale de l'époque. Comme si des extra-terrestres surdoués (mais vraiment mal peignés) revisitaient tout en leur donnant un sacré coup de jeune, les rites coutumiers du si vieillot rock'n'roll. Le choc visuel passé, celui des corps à la dérive, de ces attitudes désinvoltes, c'est le son, novateur et dévastateur, vous prenant à rebrousse poils et électrifiant les molécules de votre corps (vos tripes quoi !!!), enrobé d'une voix plaintive et puissante qui émerveille et réveille nos sens endormis jusqu'alors par les musiques d'époques (d'ambiances diront certains...).
C'est une nouvelle percée dans l'histoire du rock. Comme une voie lactée ou plutôt une comète que rien ne pourra arrêter. Le groupe est en route pour la gloire. En quelques mois, la déferlante Nirvana atteint toute la planète et déteint sur l'aspect vestimentaire de bon nombre d'adolescents de la planète. "On aura jamais vendu autant de chemises de bûcherons que cette année" diront certains commerçants, depuis longtemps expatriés dans un paradis fiscal dont nous tairons le nom ici, évidemment. Quant aux coiffeurs, c'est l'année zéro côté recette... Ce nouveau son et cette nouvelle attitude rock, volontairement nonchalante, tout en marquant le retour du "rock avec des poils", signaient la première (et principale) salve fédératrice d'un mouvement conduit à disparaître une fois que Nirvana ne serait plus de ce monde (n'omettons pas Pearl Jam of course...) que l'on nommera plus tard le grunge. Ensuite les singles : "Come as you are", "Something in the way" et "Lithium" font le tour de la terre en un éclair. Nirvana est partout, diffusé sur toutes les radios, présent dans toutes les émissions musicales et en couverture de tous les magazines musicaux. Nirvana, en quelques mois, est au paradis des idoles musicales, a touché des doigts l'éden rêvé de tout musiciens. Reconnaissance, gloire, argent et donc... acceptation au patrimoine mondial musical de l'Humanité. Cette célébrité fulgurante et prégnante, qui s'avérera insurmontable et oppressante pour le leader du groupe par la suite, aura des conséquences irréversibles sur le devenir du groupe, via son compositeur et interprète unique, le "charismatique malgré-lui" Kurt Cobain.
Mais, pour ce second album, derrière la beauté des compositions de Kurt Cobain, les riffs de guitares entêtants de Kris Novoselic, le jeu de batterie martial de Dave Grohl et les mélodies rock imparables, se cache un obscur et inévitable ingénieur du son : Butch Vig. Le son de Nevermind, c'est lui. Et peut-être bien aussi la réussite tout court de Nirvana... Car, qu'aurait été le destin de Nirvana sans Nevermind ? Un peu, comme de nos jours, Radiohead sans les étapes Kid A et Amnesiac, ou Noir Désir sans son Tostaky "Soyons désinvoltes n'ayons l'air de rien" disaient-ils... Un bien simple et commun groupe de rock. Aujourd'hui pilier, fondateur et dépositaire du son de Garbage (et membre à part entière), Butch Vig était jusque-là un producteur assez discret. Avec son coéquipier Andy Wallace ceux-ci métamorphose la musique du groupe en la rendant plus synthétique et en lui apportant par la même son caractère universel. Celle-ci devient plus abordable qu'un son rock brut de décoffrage et surtout, est plus en phase avec une époque dominée par les machines. Nevermind, c'est un peu le croisement impensable entre la fièvre désorganisée de certains groupes mythiques et électriques des années 70 et la synthétique fougue électronique (si si, c'est possible) de certains groupes des années 80 (le Suicide d'Alan Vega par exemple). Ça paraît un peu invraisemblable, dit comme cela, comme de vous vanter la réussite de la greffe de la tête d'un chien (à poil long...) sur un surpuissant aspirateur Philips, mais c'est pourtant vrai, Nevermind c'est l'avènement du branchement électrique maîtrisé, de la pose rock planifiée et d'un "certain son électronique". Cet album touche dans le mille en répondant parfaitement aux attentes de tous les amoureux de la musique de l'époque (et les autres aussi...) : Un son rock à la violence méthodiquement dosée, animale, fauve et organique, mais aussi parfaitement encadré, muselé, par des gardiens synthétiques. Esprit qui trouvera à nouveau son écho vers la fin des années 90 avec les albums "Fat of the land" de Prodigy, "Dig your own hole" des Chemical Brothers ou "Vanishing point" et "Xtrmntr" de Primal Scream par exemple.
Et les Pixies dans tout ça me direz-vous ? Eh bien...On y pense, on y réfléchit. Comme le disait très justement David Bowie dans une interview donnée en 1993 dans le magazine les Inrockuptibles (encore véritablement underground à cette époque-là), "ce son-là, celui de Nirvana, c'est les Pixies mais 5 ans plus tôt". Oui Mr David Bowie, des Pixies à Nirvana, il n'y a qu'un pas... Les mêmes sonorités, de semblables digressions rythmiques et le même son. Oui. Mais entre 1989 date du meilleur album des Pixies (Doolitle) et Nevermind en 1991, deux années se sont écoulées, autant dire une éternité, au vu de la vitesse à laquelle défile l'histoire de la musique Rock et l'Histoire tout court. Et c'est là que se joue toute la différence, dans ce temps qui passe, c'est la musique qui vieillit à la vitesse de la lumière, le mur du son est continuellement dépassé et subjugué par des personnalités aux désirs et aspirations bien différentes. D'un côté Franck Black
et sa musique de petite entreprise propre à la fin des 80'S, puis de l'autre Kurt Cobain à la fougue malchanceuse, et la main heureuse, du début des 90'S.
Mais il serait aussi mal convenu de disserter plus longuement sur la musique "Nirvanesque" en omettant la personnalité de son chanteur Kurt Cobain, que de regarder un vidéo-gag sans Bernard Montiel, par exemple. Vraiment mal convenu... Depuis ses premières compositions, où apparaisse un véritable mal de vivre, depuis ses premières interviews et déclarations publiques, où transparaissent un évident blues, pas seulement musical, ses paroles dépeignent un intérieur en même temps terriblement riche et ouvert sur le monde mais complètement démuni face à la reconnaissance publique. Parallèlement à l'actualité discographique de son groupe, c'est aussi sa vie sentimentale qui est dévorée par la presse et les médias d'ici-bas. Piètre contrée. L'amalgame entre sa musique, le cirque de cette vie non (ou mal ?) désirée de rock star, ce destin de pantin et sa vie de couple avec Courtney Love (pour qui la reconnaissance viendra aussi quelques années plus tard avec The Hole), tout cela est rendu public. Pour un homme pudique, cela semble difficilement gérable.
C'est ainsi qu'en 1992 sort le troisième album du groupe, "Incesticide". Faisant suite au multi-platiné Nevermind, celui-ci, contre toute attente, passera quasiment inaperçu. Et pour cause, pratiquement aucune nouvelle composition, des reprises folk, un son et des chansons globalement et véritablement désinvoltes... Après le mur du son, des ventes d'albums à profusion, rupture du cordon électrique. Panne d'électricité à Détroit. Tout juste si l'on ne ferme pas la boutique "Chez Nirvana" : "Bon allez, c'était bien gentil tout ce barouf, mais maintenant on n'en a assez, on se casse". L'effet recherché par le groupe, celui de disparaître un temps (pour mieux renaître ?) est réussi. Autant tout le monde aura pensé, transpiré, discuté, rêver et écouter Nirvana en 1991, les mêmes personnes les auront snobés, et, par la même, gobés leur tentative de disparition, bien ficelée, l'année suivante.
On se retrouve donc en 1993, où plus personne n'attend quelque choses de Nirvana. On se dit (moi le premier), que nombreux auront été ces groupes comètes, ces étoiles filantes, qui, par définition, n'auront fait que traverser brièvement l'histoire de la musique rock. Mais, c'est là que le destin allait frapper une seconde fois à la porte du groupe. Quelques mois après la sortie, relativement confidentielle, du quatrième et dernier album-studio du groupe "In utero", une "sacré nouvelle" tombe : Kurt Cobain n'est plus. Les médias ne parlent, subitement plus que d'une seule voix pour apprendre au monde le suicide de Kurt Cobain : "Leader du groupe Nirvana ... figure du grunge ... l'album Nevermind ... paradis ... idole des jeunes ... destin brisé ... " et bla et bla et bla. Ou comment les médias vous résume, vous compresse et formate une vie d'être humain pour la faire rentrer (de force) dans la conscience collective et l'histoire avec un grand "H", sans vous demander votre avis. Vous connaissez l'histoire... ? Celle du bébé devant qui l'on place un billet d'un dollar pour le faire avancer... Le bambin qui n'a pas d'autre choix que de faire la chasse au billet de banque (la pochette de Nevermind) sinon...mourir. C'est le monde dans lequel on vit. (Heureusement qu'il y a l'amour...)
Autant les ventes de "In utero" avait du mal a décoller du vivant de Cobain, celles-ci , quelques jours plus tard redémarrent avec l'annonce de son décès ... Les morceaux "Rape me" et "All apologies", dans une vaine plus polissée et docile sont relayés par toutes les radios nationales. À noter également qu'ils sont parmi les titres les plus calmes et apaisés de l'album de loin le plus rugueux et violent de la discographie du groupe. (Sans doute plus acceptable de la part d'un moribond, des morceaux calmes et mélodieux). La légende est en route. Avec "In utero" on est aux antipodes de la violence maîtrisé de Nevermind. Ici tout est fureur crue, barbarie en boutonnière, rage à fleur de peau et sauvagerie mal arrangée. Pour s'en convaincre, il suffit de réécouter les morceaux "Radio friendly unit shifter" et "Tourette's". Album dérangé et habité par des âmes consentantes à vivre avec leur personnalité...dérangées. Cette fois-ci, Butch Vig n'a pas été convié au festin... Du bonheur brut à l'état pur, sans retouche sonore. Un régal, et peut-être l'album le plus épuré, le plus "véritable" et "franc" de leur discographie. À l'évidence le plus proche de l'état d'esprit du groupe.
Mais les carnivores assoiffés de légendes que nous sommes ne pouvaient décemment pas se contenter d'un seul album entier, "Nevermind", et de quelques compositions de "In utero". Donc, pour contenter tout le monde, paraît en 1994 le magistral "Unplugged in New-York", commandé par MTV qui achève d'asseoir le statut de groupe-culte de Nirvana. Cette parution posthume d'un concert acoustique va dans le sens du mouvement musical souhaité par les "nouveaux" fanatiques, ceux qui se sont découvert une passion subite pour ce groupe suite à l'annonce de la mort inattendue du maître a penser du groupe. Pour ce concert en catimini, débranchement pur et simple de la guitare électrique et champ libre au tout acoustique : Guitare sèche, batterie pépère et même...accordéon. Certaines compostions gagnent en intensité et en intimité. La magnifique reprise du "The man who sold the world" de David Bowie fait merveille. Nirvana dévoile sa seconde face, celle d'un groupe faisant fit de toutes les étiquettes, changeant de casquettes comme bon lui semble, jonglant aisément avec les plus bruyantes sirènes hurlantes du rock'n'roll pur et dur, et pouvant opérer un dépouillement mélodique parfaitement maîtriser de ses mêmes compostions. Sublime et renversant. Un peu la renaissance d'un groupe mort avant même d'être né, ayant vécu ou ayant été trop vite absorbé par la dévoreuse histoire du Rock'n'roll.
La prochaine compilation à venir au printemps (Normalement...Courtney Love est en procès avec les deux ex-membres du groupe à ce sujet) "Introduction to Nirvana" ne devrait que renforcer la légitimité de ce groupe culte. Un groupe s'autodétruisant au fur et mesure que sa légende s'écrivait. Très rock'n'roll tout ça isn't it ?
Critique écrite le 21 janvier 2002 par LaurentM
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