Chronique de Concert
Pavement + The National
The National
Dans un Zénith qui commence tout juste à se remplir, le groupe The National arrive sur la pointe des pieds, sans doute impressionné de devoir jouer dans une si grande salle en première partie de ses héros de Pavement. Le son est approximatif, ça sature et l'on se demande si les New-Yorkais vont réussir à se mettre dans le bain assez rapidement pour séduire le public et le faire réagir. Fin du suspens dès le deuxième morceau, l'un des meilleurs de High Violet, Anyone Ghost, qui provoque les premiers frissons d'une soirée qui en comptera un nombre remarquable.
Ouf ! Matt Berninger a toujours sa voix de stentor désespéré, son combo (renforcé par les claviers, les churs et le divin violon de Padma Newsome et deux cuivres) est toujours armé pour affronter les mers agitées de sentiments troubles. Rapidement, The National recueille fort justement de très chaleureuses ovations à la fin de ses morceaux ; le public est donc bel et bien venu pour voir Pavement ET The National, qui aura droit à une heure de show. Yeah ! Merci à la tête d'affiche et aux organisateurs pour ce très beau cadeau ! Car ainsi, les récents auteurs d'"High Violet" peuvent faire feu de tout bois pour ensorceler leur public avec leurs titres phares - "Mistaken For Strangers", "Squalor Victoria", "Mr November"... - et leurs derniers nés - "Bloodbuzz Ohio", "Afraid Of Everyone", "Little Faith", "Terrible Love".
S'il y a encore des améliorations à apporter et si les conditions sont sans doute trop peu intimistes pour cette musique si personnelle et fine, on constate avec joie que le combo évoluant dans une veine psyché pop / post punk teintée de folk, de country et de post rock a toujours la grande classe sur scène. Tout le monde est au taquet ! Affublé d'un bandeau digne de Björn Borg à Rolland Garros, le batteur Bryan Devendorf démontre une fois de plus ses immenses talents de pourvoyeur de rythmes saisissants, son frère Scott tient la baraque avec fermeté à la basse, les frères Aaron et Bryce Dessner ferraillent joliment sur leurs six cordes, Padma Newsome est impérial et Matt Berninger est en grande forme, que ce soit dans les instants poignants de mélancolie et de gravité ou dans les furieuses décharges de violence cathartique. Il s'autorisera même une petite visite dans le public pour aller à la rencontre de sa mère et de sa sur, toutes les deux présentes ce soir. Vivement la suite pour The National : la sortie de l'album "High Violet", le 11 mai, et la tournée française en tête d'affiche !
Pavement
Juste après cette heure passée en compagnie d'un des tout meilleurs groupes actuels, place aux revenants de Pavement, toujours aussi nonchalants, bruitistes, ironiques et doués pour trousser des pop songs hyper décalées. C'est dans un zénith désormais plein à craquer de nostalgiques des années 90 (c'était quand même autre chose que les infectes années 80, non ?) que le longiligne et très pimpant Stephen Malkmus débarque en compagnie des ses quatre acolytes, Mark Ibold - bassiste de son état, revenu de son escapade chez Sonic Youth -, Bob Nastanovich, Scott Kannberg et Steve West. D'entrée de jeu, c'est une plongée dans le bonheur le plus total : sous de clignotantes guirlandes, la troupe démarre sur les chapeaux de roues avec le lancinant et débraillé Silence Kit, l'imparablement dissonant In the Mouth a Desert et le tubesque et jouissif Stereo. "I'm on the stereo, STEREOOOOOOO !" Signe que cette musique est intemporelle et furieusement actuelle, ces titres font sauter de joie et briller les yeux de la jolie petite brune placée juste devant nous dans la fosse. Comment en effet ne pas être littéralement électrisé par le son de Pavement, intact, toujours aussi pertinent et plus que jamais marquant en 2010 ? Cerise sur le gâteau, ce mélange inspiré et branleur entre Sonic Youth, The Fall, Dinosaur Jr, Echo And The Bunnymen, Pixies et The Replacements est une friandise auditive servie par des slackers contents de se retrouver pour faire du bruit et toujours aussi je-m'en-foutistes.
Qu'il chante avec une voix étranglée dérayant génialement dans les aigus ou qu'il fasse hurler sa guitare ("Hu hu hu, huhuhu, Crrrrrrrrrrr Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!!!") avec jubilation tout en faisant de grands moulinets - pour montrer qu'il s'en fout quand même un peu -, ou qu'il laisse le devant de la scène et le micro à son collègue chanteur/guitariste, Scott Kannenberg, ou au percussionniste/chanteur fou Bob Nastanovich, Stephen Malkmus garde des côtés lunaire, altier et étranger au monde qui font tout son charme. Looké tel un Kurt Cobain en goguette à Paris, France (chemise à carreaux de bûcheron etc.), le leader de Pavement et ses camarades de jeu provoquent des frissons de joie à chaque nouveau hit interprété : la poignante ballade countrysante Father to a Sister of Thought, le hit single planétaire Shady Lane, l'élégiaque Gold Soundz, l'ensorcelant Groundeed, le génialement corrosif Range Life (deux jours après, on le chantonne encore !), le décoiffant et festif Cut Your hair, le très rock 'n roll Date W/ Ikea, le mythique Summer babe ou le très punk Debris Slide.
1h45 et deux généreux rappels plus tard, on se dit que l'on vient d'assister à un épique et mémorable concert de pop 'n country folk punk qui fera date. Car Pavement a su garder la fraîcheur d'un groupe d'adolescents doués (au point de louper plusieurs intros de manière retentissante !) en proposant une set list spéciale Best of lors d'une soirée jubilatoire. Il faut dire que peu de groupes savent composer d'aussi parfaites pop songs sauvagement plongées dans le bruit ou d'aussi marquantes odes noisy lardées de country pop. Ces extra-terrestres qui savent jouer admirablement mal (ce qui fait maronner les fans de branlage de manche pyrotechnique et propre) sont décidément uniques ! C'est sûr à 100% : on gardera longtemps en tête cette soirée parfaite passée en la compagnie d'immenses artistes joyeusement borderline.
Liens : www.americanmary.com, www.myspace.com/thenational, www.myspace.com/pavement, www.matadorrecords.com/pavement, www.radical-production.fr.
Photos : Robert Gil, www.photosconcerts.com
Critique écrite le 10 mai 2010 par pierre
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