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Chronique de concert 22 Pistepirkko
Jeudi 21 novembre 2024 : 6751 concerts, 27228 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.
Chronique de Concert
22 Pistepirkko
Sabotage ?
Programmer deux groupes cultes comme 22 Pistepirkko et The Wedding Present le même jour à la même heure dans deux villes aussi proches (15 minutes) que Riom et Clermont-Ferrand est un véritable crime... Les deux formations ayant quasiment le même public, on se demande si l'on n'a pas affaire ici à un sabotage visant à provoquer des crises de nerf en série chez les fans de pop/rock indé. Ceux-ci doivent en effet effectuer un choix cornélien entre l'Espace Couriat et la Coopérative de Mai. Quel dommage quand on sait que, proposées à quelques jours d'intervalle, les deux soirées auraient pu afficher complet et envoyer le public au paradis. Si l'on pense à toutes les soirées où en cherchant sur les divers agendas concerts on ne trouve qu'un groupe de heavy metal progressif, un combo de punk français merdique, de la chanson moisie, du ska festif ridicule, de la pop FM, du rock sudiste de sinistre mémoire ou une star de la six cordes et ses solos casse bonbons, il y a vraiment de quoi enrager ! Ayant fort heureusement assisté au brillant retour scénique du Wedding Present au cours de l'été 2005 (à Sédières et Saint-Malo), nous décidons de nous rendre à l'Espace Couriat, non sans avoir jeté une oreille attentive en début de soirée aux bonnes prestations de Troy Von Balthazar et Piers Faccini à la Coopérative de Mai. La seule vue de David Gedge en train de regarder "travailler" son collègue Troy Von Balthazar nous provoque des palpitations : putain, le Wedding Present va jouer à Clermont-Ferrand, sans nous. Oh la la, que c'est exaspérant ça ! Mais il faut se raisonner : le groupe 22 Pistepirkko, plutôt rare dans les parages, nous attend non loin de là, pour un très bon concert dont il a le secret...
Rumble city, LaLa land
En une heure dix, le trio finlandais a fait un brillant étalage de sa classe scénique. Ultra marquant sur disque, le mélange très original provoqué par la collision entre les influences du groupe est encore plus impressionnant sur scène : Bo Diddley, Link Wray, les Kinks et les Troggs percutent violemment les Ramones, le Velvet Underground et les Stooges tandis que Neil Young, Hank Williams et... Suicide veillent au grain. Même fatigué par une mauvaise grippe, et d'humeur aussi peu communicative qu'un vieil ours renfrogné, P-K, le leader du groupe chante divinement (avec une voix de bluesman adolescent ayant un gros chat dans la gorge... ) et gratifie le public de son jeu de guitare inimitable. L'homme, assez terrifiant avec son physique de killer à la Frankenstein, possède un jeu ultra racé entre blues, folk, rock, punk et surf ; cela ne peut qu'envoyer au septième ciel (voire au LaLa land) les fans de ces styles musicaux, nombreux dans la salle. Pour éviter le drame (une date annulée le lendemain à cause d'un extinction de voix), 22 Pistepirkko se lance dans une série de morceaux instrumentaux psycho surf tout simplement géniaux : parmi eux, le superbe Hawk Walk mais surtout le génial Rumble de Link Wray viennent chatouiller délicieusement le système auditif du public, éberlué par tant de savoir faire. Devant les absences vocales de son frère aîné, Asko se voit obliger de faire le spectacle. Comme il ressemble physiquement au formidable Didier Wampas, c'est facile pour lui : il martyrise donc son orgue, torture sa basse, grimpe sur les amplis et joue au monsieur Loyal entre les morceaux. Toujours placide, Espe, l'excellent batteur délivre, quant à lui, un beat parfait pour les compositions quasi tribales du groupe (à l'instar du tubesque Texacoson) ; comme à chaque fois, il se permet même de chanter deux morceaux (dont un Tired of being drunk qui sent le vécu) dans son style si caractéristique...
Toute la musique que j'aime
Ce qu'il y a de bien chez 22 Pisterpirkko c'est que nos trois Finlandais savent transcender et faire subir les derniers outrages à leurs influences classieuses... Pas une seule seconde, ils n'hésitent à jouer très fort en s'aventurant non loin des frontières du heavy blues. Au risque de choquer le puriste fan de pop, ce qui est fort appréciable, vous en conviendrez. Et oui, à force de lire Magic et Télérama, ces snobinards en oublieraient presque que toute la musique qu'ils aiment, au départ, elle vient de là, elle vient du blues. Certains grimacent donc un peu quand sur One man down, mais surtout sur Rat king et Space Riding, 22 Pistepirkko sonne comme un genre de ZZ Top, mais sobre, non lourdingue et qui prendrait soin d'éviter de se produire dans les rassemblements de hard rockers républicains. Ahhh, cette guitare qui sonne comme dans un rêve humide fait de distorsion crade et de larsens grinçants, c'est foutrement jouissif ! Cependant, si l'on n'est parfois pas très très loin du son de guitare de Billy Gibbons, on est quand même surtout très proche de celui de Neil Young & Crazy Horse, et c'est quand même mieux comme ça, il faut bien l'avouer ! S'il se révèle parfois surpuissant, le trio sait aussi se faire plus calme : par exemple, avec un passage solo acoustique où P-K interprète la très jolie folk song Horses & cards. Seuls les distraits ne le savent pas, les dérapages électroniques font aussi partie intégrante du son Pisterpirkko, au même titre que le folk blues étrange, les interventions de claviers aigrelets et les voix bizarres. Sur le bluffant morceau Sad lake city, on a donc la troublante impression de se retrouver à bord d'un hélicoptère balançant des tonnes de napalm au dessus du nord Vietnam, en 1969. C'est carrément un remake d'Apocalypse now... Vraiment terrifiantes, ces machines infernales qui produisent un dangereux bruit d'hélice ! C'est si extrémiste qu'on jurerait que c'est Martin Rev (Suicide) lui-même qui a désappris à Asko à utiliser son instrument fétiche.
The end
Après un rappel, le concert se finit bien trop tôt à notre goût, mais le groupe a semble-t-il donné tout ce qu'il avait dans le ventre ce soir-là. On repart, très enjoué, les oreilles en feu (c'est plutôt normal avec le napalm), en se disant qu'on a peut-être manqué un concert du Wedding Present mais qu'à la place on a eu le privilège d'assister au show d'un groupe mixant dans son shaker sonique Bo Diddley, Link Wray, The Kinks, Hank Williams, The Troggs, The Ramones, The Stooges, Neil Young, The Velvet Underground, Suicide et... un très léger soupçon de ZZ Top. Qui dit mieux ?
Photo : Ben Kaila
Critique écrite le 31 octobre 2005 par Pierre Andrieu
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