Chronique de Concert
5 ans du Lollipop Music Store (feat. The Mockers & DJ Maki)
5 ans déjà. 5 putain d'année qu'on a inauguré cet endroit. L'endroit d'une aventure qui semblait pourtant promise au fameux crash-économique-de-80-%-des-jeunes-entreprises-à-la-fin-des-aides-à-la-création ! A la base, un local d'allure assez moyenne, bas de plafond, pas génialement situé : un tout petit peu trop loin des bobos acheteurs de musiques sur support analogique, et un tout petit peu trop près des beaufs acheteurs de quads multicolores... Sur une des avenues objectivement les plus détestables de Marseille, ce putain de Cours Lieutaud puant et bruyant, dévoré par les miasmes de la religion du diesel et squatté par les tas de ferraille encombrante de ses fidèles.
Et pour y vendre quoi, hein ? Un truc totalement démodé en 2006, année d'apparition de Myspace, en l'an 2 ou 3 avant Face de Book. Un objet impraticable, fragile, un machin que des générations de lombaires de déménageurs professionnels ou amateurs maudissent, un bidule dont une étagère entière peut être avantageusement remplacée par un simple baladeur mp3 de chez Pomme : du disque vinyle, des putains de galettes noires de 180 grammes de polychlorure de vinyle encartonnées ! Et pour corser le tout, pour y vendre aussi des CD, ces machins en polycarbonate dont plus personne ne voulait ou presque. Et même d'épais bouquins où des pseudo-intellos à demi-oubliés genre Greil Marcus ou Lester Bangs, enculent les mouches sur des dizaines de pages en vantant les mérites comparés des chansons des Sex Pistols ou de Van Morrison.
Et tant qu'on y était, pour y ouvrir un bar associatif, au même endroit, au risque de se ramasser tous les paumés du quartier, de se taper tous les jours tous les potes inactifs, mais surtout ces pathétiques collectionneurs de disques rares, les cheveux gras et les lunettes opaques, ceux que le livre/film High Fidelity a si bien montrés ! Oui, Là comme ça, en pleine déconfiture de l'industrie de la musique, en pleine crise (financière, immobilière, you name it !), au moment où l'avant-dernier disquaire du nom, le Kaléidoscope, venait de fermer à 500 mètres de là, Stéphane "Steph Lollipop" et Paul "Sonic Polo" ont décidé de transformer un local chelou du Cours Lieutaud en un magasin de disques vinyles avec bar associatif, et l'ont appelé le Lollipop Music Store ...
Des malades mentaux donc, à l'évidence. Mais qui nous ont offert le 9 décembre 2006 une putain de belle fête avec un rockeur local mythique pour l'inauguration, histoire sans doute de ne rien avoir à regretter plus tard. Cela dit le punk qui les a interviewés pour LiveinMarseille après un an d'existence, même animé de sa propre foi communiste inébranlable, n'aurait peut-être pas parié sur leur survie à moyen terme. Pas plus que le jeune trentenaire que j'étais, bien décidé à se constituer ici (après 15 ans d'interruption) une collection de vinyles présentable, histoire d'écoper comme il pouvait la cale de ce rafiot promis à un naufrage quasi-certain...
Et pourtant putain, 5 ans après, nous sommes là. Ou presque tous là. Inexplicablement le chanteur le plus crétin de la place de Marseille, activiste de la scène punqueroque et pilier notoire du lieu, est absent, et quelques autres avec lui. Mais sinon, tout le monde est là. Les occasionnels et les réguliers, les geek et les cool, les hip et les square, les légendes du rock local et les gratteurs du dimanche, les garçons stoner, les branleurs, les rockeurs, les filles à frange et à pois, les fatales et les hippies... Un paquet de gens qu'avant l'an 1 de Lollipop, on ne faisait que croiser dans des salles de concert, pas toujours adaptées pour entamer la discussion et se parler vraiment. Des gens qui, c'est un point de vue personnel, se sont avérés biens plus intéressants et sympathiques que leur vernis de "poseurs" (ou d'autistes) pouvait parfois le laisser croire.
Des gens qui fonctionnaient en petites bandes d'affinités anciennes et que la fréquentation du LMS a contribué à éclater joyeusement en une tribu plus large. Ouais. Les 2 activistes ont tenu la baraque, ont ramé à contre-courant et ne se sont largement pas payés tous les mois, mais leur Lollipop Music Store nous a donné ça, un lieu de rencontre pour parler musique - voire le contraire, un lieu de musique pour parler rencontre. Un havre de paix pour fin de journées merdiques où l'on est sûr de trouver quelqu'un à qui payer un coup à boire, pour passer à autre chose qu'à son taf. D'une certaine façon, une communauté. N'oublions jamais à quel point c'est précieux, une communauté (fut-elle reliée par une simple affinité avec un endroit), à l'époque de l'individualisme le plus effréné...
Ah au fait ! Le groupe qui joue ce soir, car évidemment il en fallait un, ce sont les The Mockers, déjà appréciés tout récemment en première partie de The Love Me Nots. J'apprendrai un peu par hasard la signification de leur nom : pas "ceux qui se moquent", mais une contraction de mods & rockers... Pourquoi pas, ça a du sens pour un groupe qui ne joue que du rock mod 60's, avec un son à peine gonflé... Comme d'habitude le groupe joue exclusivement de ce genre peu représenté ici (la scène marseillaise est généralement pauvre en groupes "revivalistes", mis à part sur la tranche "punk-rock 77", sur-représentée...)
Ca joue par ailleurs des titres en anglais et d'autres en français (le Dutronc des années Vogue n'est jamais loin). Et certains des Mockers portent des pantalons et des chemises qui semblent avoir été achetés à Carnaby Street en 1965... mention spéciale à celui du chanteur, de tricot, particulièrement gratiné. Et comme d'habitude à la fin de son set vigoureux et plaisant, le groupe sort de son chapeau une reprise de classique absolu de l'époque... des Kinks donc (groupe dont ils semblent connaître une partie du répertoire) : aujourd'hui ce sera I Need You , pour changer.
Et plus tard dans la soirée, après notre départ, d'autres épisodes pas vus mais que je pourrais presque raconter tant ils sont devenus familiers pour la petite galaxie rock de Marseille, et pour les heureux habitués du lieu et de ses apéros japonais réputés : DJ Maki a passé pendant des heures ses cultissimes tubes de rock garage nippons aux platines - les sushis apportés pour l'anniversaire par ses cuisinières de chic et choc, eux, n'ont pas survécu plus de 5 minutes. Et les Mockers s'en sont allés ouvrir le bal avant la tornade Keith Richards Overdose à la Machine. Sans y être allé, je peux affirmer que ça a été un excellent concert (à moins que les KRO n'aient du annuler, bien sûr...).
Bref, on va pas s'étendre davantage, ce qu'on a a dire collectivement au Lollipop Music Store Crew, c'est juste MERCI. Puisse ce mode de vie et de convivialité que le lieu a contribué à créer et à ancrer avec une belle ténacité, durer encore pendant de longues années...
Et donc, rendez-vous en 2016 pour les 10 ans, puisque finalement, pour faire écho à notre première chronique ici :
- en 2011 comme en 2006, ni Lemmy Kilmister, ni Iggy Pop, ni Mick Jones, ni même Jerry Lee Lewis ou Chuck Berry n'ont avalé leur bulletin de naissance, et encore moins arrêté de tourner...
- en 2011 comme en 2006, chaque année vomit son lot de jeunes cons anglophones de Liverpool ou Cardiff, qui s'imaginent devenir des stars et réinventer la musique binaire, ou le rock symphonique de stade, et y arrivent même parfois ;
- en 2011 comme en 2006, chaque mois voit apparaître une nouvelle formation consanguine de jeunes cons yaourtophones de l'Estaque ou de Malmousque, bien décidée à conquérir les salles de Marseille-centre, voire pour les plus ambitieux à faire une tournée triomphale dans toutes les caves humides de Bavière et de Navarre ;
- en 2011 comme en 2006, il y a encore et toujours des chroniqueurs motivés (il y en a peut-être même davantage), pour écrire cette petite Histoire qui semble bel et bien en train de se faire, quelque part par ici ;
- en 2011 comme en 2006, des gens croient toujours en l'avenir du vinyle, voire du disque - un autre lieu chouette en devenir a même réouvert à 500 mètres d'ici et commencé une nouvelle histoire, le Massilia Records ;
... Puisque finalement, comme on l'avait rêvé le 9 décembre 2006, le rock et le Lollipop Music Store avaient bien un avenir !!
Photos : j'avais prévenu qu'elles étaient ratées (il n'est pas trop tard pour m'en fournir des mieux !)
Une Vidéo des Mockers, ici !
Critique écrite le 20 décembre 2011 par Philippe
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