Chronique de Concert
Arcade Fire + Preservation Hall Jazz Band (Infinite Content Tour 2018)
Été 2017, après une absence de quatre ans, le groupe américano-canadien Arcade Fire revenait aux affaires avec la sortie d'un nouvel album à l'accueil critique dithyrambique et d'une pré-tournée triomphale (dont un passage exceptionnel aux Nuits de Fourvière). Ni une, ni deux, une véritable tournée mondiale s'organisait dans la lancée, autour d'un concept de scène centrale, particulièrement adaptée à la dynamique d'un groupe dans lequel les postes musicaux ne sont pas définitivement fixés, et dont les instruments tournent littéralement durant tout le concert parmi les membres. Cette fois c'était sûr, Arcade Fire allait recevoir enfin l'accueil populaire qui l'attend depuis son émergence en 2003. Car ne peut-on pas envisager l'idée qu'il y ait un "problème Arcade Fire" ?
Dès la sortie du premier album "Funeral", c'est comme si toutes les bonnes fées de la musique s'étaient penchées sur le berceau du groupe fondé à Montréal autour du couple formé par le Texan Win Butler et la canado-haïtienne Régine Chassagne. Ce premier album a en effet mis tout ceux qui comptent dans le monde de la musique à genoux. La presse musicale dans son intégralité, David Bowie (qui fera une de ses dernières apparitions sur scène avec eux), U2 (qui utilisera leur morceau "Wake Up" comme intro de ses concerts), mais aussi tous ceux comme Coldplay qui reprendront leur sonorités pour leurs albums du mi-temps des années 2000.
Depuis, Arcade Fire n'a que rarement déçu. Pour leurs disques ils ont toujours su s'entourer de bonnes équipes (dont James Murphy de LCD Soundsystem) pour produire une musique en perpétuelle évolution, et c'est un groupe connu pour donner des concerts généreux, puissants, le fait qu'ils soient assez nombreux sur scène pouvant induire une certaine filiation avec les E Street Band (filiation qui me semble encore plus évidente quand j'entends un morceau comme "Antichrist Television Blues"). Néanmoins, contrairement à certains de ses contemporains, Arcade Fire n'a jamais franchi le cap du grand public. Faites l'expérience autour de vous, sorti du cercle des amateurs de rock, c'est un groupe totalement inconnu. Les experts prévoyaient donc du changement pour la sortie de "Everything Now" et la tournée qui suivit. Ça y est, Arcade Fire allait devenir un phénomène populaire...
Las, les premiers échos avaient encore une fois l'apparence de la douche froide. Pour les grosses dates de la tournée (du type capitales européennes) les salles avaient été réservées pour des doubles voire triples dates. Et vu que les jauges se sont remplies à la vitesse d'un escargot en balade, les idées de dates doublées ou triplées se sont vite évaporées, et les rumeurs de la tournée américaine faisaient échos de salles sonnant assez creux. C'est le sentiment qui nous a assailli lorsque nous sommes arrivés vers 18 heures devant le Palau San Jordi, à peine quelques dizaines de personnes faisant gentiment la queue sur une esplanade gigantesque. L'avantage c'est que du coup l'entrée dans la salle a été assez rapide. Et c'est vrai que cette scène centrale est assez jolie, avec des structures et des éclairages assez spectaculaire.
C'est le groupe dixieland New Orleans Preservation Hall Jazz Band qui a ouvert dans une salle aux trois-quart vide. En vrai fan de cette musique j'ai passé un très bon moment, me croyant par moment dans un épisode de la fantastique série "Tremé".
La salle s'est remplie petit à petit, et quand Arcade Fire est arrivé sur scène les tribunes étaient bien garnies, et l'ambiance bien présente. Une superbe entrée d'ailleurs, en mode "championnat du monde de boxe", sur une scène mise en place comme un ring. Le groupe a commencé pied au plancher avec le single éponyme du dernier album "Everything Now", suivi de l'épique "Rebellion (Lies)" et du dantesque "Here Comes The Night Time". Autant ne pas ménager mes effets : ce concert a été une claque magistrale. C'était la quatrième fois que je les voyais, y compris un concert un peu moyen au Dôme de Marseille en 2010, et si Fourvière 2017 avait été fantastique, je crois que cette fois, un sommet a été atteint. Par rapport au concert de Lyon de l'an dernier, il y avait en plus une dimension visuellement grandiose par la beauté de la mise en scène, mais, grâce à la scène centrale sans jamais perdre la proximité avec le public.
En terme d'énergie, j'ai rarement vu ça, l'enchaînement de la setlist n'a occasionné absolument aucun temps mort, le public a été embarqué à chaque chanson (ce qui peut être gênant quand on attend le bon moment pour aller recharger le stock de bières). J'ai fait des centaines de concerts depuis 25 ans, je pense avoir vu tous les "gros" artistes populaires internationaux, et j'ai rarement vu de concert de cette intensité. Des tas de groupes portent le statut de "culte" sans jamais avoir été à ce niveau d'excellence et de générosité. Les chansons sont tour à tour hyper dansantes, puis totalement héroïques, rocks, pop, parsemées d'envolées instrumentales ou électroniques, tout y passe. Le public, de plus en plus hystérique ne s'y trompe pas : il est en train de vivre un très grand moment.
Deux heures et demi de show, terminées avec le retour des cuivres du New Orleans Preservation Hall Jazz Band pour clôturer avec un "Wake up" d'anthologie, et d'un départ de la salle, par le public, et littéralement en fanfare. La question qui a hanté toute notre petite équipe après le concert était la même : ou est le problème ? Défiance du grand public pour ce qui est promu par la presse ? Manque de sex-appeal du couple Butler-Chassagne ? Image trop cérébrale ? C'est dommage, peu de groupes aujourd'hui proposent un tel mélange d'accessibilité, d'exigence et de modernité dans leur musique, et autant de générosité et de proximité sur scène. Dans un univers parallèle, Arcade Fire est en boucle sur les radios, enchaîne des stades de France et Vélodrome, et le public se jette sur les places comme la vérole sur le bas-clergé breton. Dans le nôtre, en 2018 le plus grand groupe du monde s'appelle Arcade Fire, mais le monde ne le sait pas encore...
Setlist :
Everything Now
Rebellion (Lies)
Here Comes the Night Time
No Cars Go
Electric Blue
Put Your Money on Me
It's Never Over (Oh Orpheus)
My Body Is a Cage
Neighborhood #1 (Tunnels)
The Suburbs
The Suburbs (Continued)
Ready to Start
Sprawl II (Mountains Beyond Mountains)
Reflektor
Afterlife (with New Order's "Temptation" snippet as outro)
We Exist
Creature Comfort
Neighborhood #3 (Power Out)
Encore:
We Don't Deserve Love
Everything Now (Continued)
Wake Up
Photos : Matthieu Narbonne
Critique écrite le 23 avril 2018 par Fred Boyer
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> Réponse le 27 avril 2018, par MC FRABS
[Palau Sant Jordi - Barcelone - 26 AVRIL 2018] Là ou j'étais placé le son était vraiment très moyen, système mal calé (pas de sub et medium brouillon et agressif) et le mix très approximatif... Impossible de distinguer certains instruments (le violon, entre autre). Dans ces conditions, difficile de profiter complètement du concert... Dommage ! Réagir
> Réponse le 06 mai 2018, par Brunp
Concert au Zénith de Nantes le 26 Avril 2018 : 9000 personnes ! Concert survitaminé où le groupe a joué 2 heures durant sans 1 seul temps mort. Belle communion avec le public, show original en terme d'effets de lumières. Seul bémol, un son réglé trop fort comme malheureusement dans tous les concerts... Réagir
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