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Chronique de concert Arno le chanteur français, L'ombre de la souris dans la deuxième lune, La diagonale du fou
Mercredi 25 décembre 2024 : 6829 concerts, 27255 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.
Chronique de Concert
Arno le chanteur français, L'ombre de la souris dans la deuxième lune, La diagonale du fou
Arno le chanteur français, c'est Arno Lehmann, sans Aido Music System, sans acteur, sans slip, avec juste une chemise de nuit, rose, des courts poèmes absurdes et c'est très drôle.
Reims
Ville bougie
Ville où je vis ma vie.
Pour cette apparition, il était accompagné d'un compagnon en caleçon avec de petits boîtiers, Lapin, pour créer des effets terrifiants sur la voix. Il m'avait dit, puisqu'on se connaît, qu'il avait écrit de nouveaux morceaux de manière à pouvoir tenir une demi-heure. Il m'avait parlé de guitare. Cela promettait d'être tordant. J'attendais ça avec impatience. J'étais même le seul dans la salle au moment de son entrée en scène. Tous les autres préféraient s'échanger des nuages de fumée devant le bar.
Arno, aussi, sait donner dans le fumant. Entre ses mains, un rouleau en carton avec un joint collé dessus. Il paraît que ça donne plus d'effet à la drogue.
Rheims in my brain
Rheims under rain
Il se passe quelque chose de très intéressant entre Arno qui dit ses textes, se contorsionne, se répand sur le sol et Lapin, sage comme un enfant de chur, concentré sur ses deux-trois boutons. C'est improvisé. Et pourtant, on croirait que cela a été répété. La voix d'Arno se métamorphose en hydre sonore. Elle rebondit sur les murs jusqu'à retomber sur lui recroquevillé au sol, au milieu de la pièce.
Il est 14 heures.
Tu n'es toujours pas levé.
Il est 14 heures.
Tu ferais bien de te réveiller.
Il est 18 heures.
Faudrait bien te réveiller.
C'est tout le temps pareil
Je ne sais pas ce que je veux
Ca c'est Indécision. Je l'avais déjà entendu lorsque Aido avait joué avec Miss Hélium, en novembre dernier. Grâce, à Lapin et à l'humeur du moment d'Arno, la complainte prend un tout autre aspect. D'absurde, elle devient désespérée, monstrueuse.
Arno est un écorché. C'est un moustique qui se cogne contre une vitre. Qui sait qu'il se cogne contre un vitre. Mais qui veut malgré tout aller de l'autre côté. Les probabilités sont plus fortes qu'on vienne l'écraser plutôt que le libérer. Il le sait aussi. Il ferait mieux de quitter cette paroi s'il ne veut pas se faire remarquer, puis écraser, mais malgré tout il continue à s'abîmer les ailes contre la vitre. Parce que voilà. Il y a un ailleurs. C'est certain. Il le voit. Et il se refuse à y renoncer.
Là réside tout son honneur, toute sa détresse et toute la violence de cette performance.
Arno, lui-même, en parle assez bien. Voilà ce qu'il a écrit sur son blog, deux jours plus tard :
"J'avais prévu quelque chose de très punk, très crétin, j'avais prévu de me mettre nu, j'avais prévu d'observer les réactions du public forcément différentes des concerts de black métal où j'officie habituellement, j'avais prévu de chanter de nouvelles chansons, et d'arracher quelques sourires mais il y avait mon Lapin, ses delays et ses distos et puis il y avait Reims et les mots me sont revenus dans mon corps et dans ma tête, de plus en plus fort, et je me suis expulsé hors de moi, j'ai souffert et j'ai hurlé ma souffrance, j'espère que les gens présents ont pu s'en servir pour expulser leurs maux, et puis j'ai dû arrêter brutalement, ce n'est pas à cause des gens présents comme je l'ai entendu mais pour me préserver, c'est égoïste et je m'en excuse. "
Commencée si fort, la soirée ne pouvait que baisser d'intensité. Et il valait mieux. Il valait mieux rassembler tous nos esprits, ramasser tous ces débris dégoûtants et reprendre calmement notre respiration.
La suite ressembla d'ailleurs à un exercice de relaxation et commença sur une série de tintements de clochettes.
A vrai dire, j'ai plus à raconter sur le nom de deux groupes suivants que sur leur musique...
L'Ombre de la Souris dans la Deuxième Lune est une référence à Dune, le roman de science-fiction (Frank Herbert). Le héros se choisit un nom en demandant à aux membres d'une tribu quel est le nom de l'ombre de la souris dans la lune. On lui répond alors Muadib.
La diagonale du fou est le titre du premier film de Richard Dembo, un thriller psychologique. Il raconte un championnat du monde d'échec où le tenant du titre, Michel Piccoli, affronte son disciple.
L'Ombre de la Souris dans la Deuxième Lune et la Diagonale du fou, ne se résument pas à leurs seuls noms. Ils ne sont ni nuls, ni inintéressants. Mais je ne peux pas faire comme si je n'avais jamais écouté Don Caballero, des Américains, qui semblent avoir profondément inspiré ces deux formations post-rock.
Et le problème avec le post-rock, c'est que comme il n'y a pas de chanteur, pas de paroles, on ressent plus fortement les influences.
Don Caballero existe depuis 1991. C'est instrumental. C'est jazz. C'est metal. C'est un trio.
L'Ombre de la Souris dans la Deuxième Lune (de Reims) en propose une version progressive, beaucoup de pédales, beaucoup d'effets, des morceaux assez longs, le même motif répété et étiré jusqu'à de brèves explosions de cymbales. Ce n'est pas trépidant mais les trois Ombres sont élégantes. Elles ont de la prestance et de la grâce.
La Diagonale (de Paris), elle, est moins gracieuse, plus appliquée, plus fidèle aux parrains de Pittsburgh. La basse tricote. La guitare tricote. Et le batteur bastonne, bien en avant. C'est lourd, puissant, métallique. C'est épuisant sur la longueur, mais ça tasse bien, ça pilonne bien les neurones. Sans méchanceté, avec méthode. Histoire d'oublier, les souffrances, les moustiques et les vitres.
Reims
Ville bougie
Ville où je vis ma vie.
Pour cette apparition, il était accompagné d'un compagnon en caleçon avec de petits boîtiers, Lapin, pour créer des effets terrifiants sur la voix. Il m'avait dit, puisqu'on se connaît, qu'il avait écrit de nouveaux morceaux de manière à pouvoir tenir une demi-heure. Il m'avait parlé de guitare. Cela promettait d'être tordant. J'attendais ça avec impatience. J'étais même le seul dans la salle au moment de son entrée en scène. Tous les autres préféraient s'échanger des nuages de fumée devant le bar.
Arno, aussi, sait donner dans le fumant. Entre ses mains, un rouleau en carton avec un joint collé dessus. Il paraît que ça donne plus d'effet à la drogue.
Rheims in my brain
Rheims under rain
Il se passe quelque chose de très intéressant entre Arno qui dit ses textes, se contorsionne, se répand sur le sol et Lapin, sage comme un enfant de chur, concentré sur ses deux-trois boutons. C'est improvisé. Et pourtant, on croirait que cela a été répété. La voix d'Arno se métamorphose en hydre sonore. Elle rebondit sur les murs jusqu'à retomber sur lui recroquevillé au sol, au milieu de la pièce.
Il est 14 heures.
Tu n'es toujours pas levé.
Il est 14 heures.
Tu ferais bien de te réveiller.
Il est 18 heures.
Faudrait bien te réveiller.
C'est tout le temps pareil
Je ne sais pas ce que je veux
Ca c'est Indécision. Je l'avais déjà entendu lorsque Aido avait joué avec Miss Hélium, en novembre dernier. Grâce, à Lapin et à l'humeur du moment d'Arno, la complainte prend un tout autre aspect. D'absurde, elle devient désespérée, monstrueuse.
Arno est un écorché. C'est un moustique qui se cogne contre une vitre. Qui sait qu'il se cogne contre un vitre. Mais qui veut malgré tout aller de l'autre côté. Les probabilités sont plus fortes qu'on vienne l'écraser plutôt que le libérer. Il le sait aussi. Il ferait mieux de quitter cette paroi s'il ne veut pas se faire remarquer, puis écraser, mais malgré tout il continue à s'abîmer les ailes contre la vitre. Parce que voilà. Il y a un ailleurs. C'est certain. Il le voit. Et il se refuse à y renoncer.
Là réside tout son honneur, toute sa détresse et toute la violence de cette performance.
Arno, lui-même, en parle assez bien. Voilà ce qu'il a écrit sur son blog, deux jours plus tard :
"J'avais prévu quelque chose de très punk, très crétin, j'avais prévu de me mettre nu, j'avais prévu d'observer les réactions du public forcément différentes des concerts de black métal où j'officie habituellement, j'avais prévu de chanter de nouvelles chansons, et d'arracher quelques sourires mais il y avait mon Lapin, ses delays et ses distos et puis il y avait Reims et les mots me sont revenus dans mon corps et dans ma tête, de plus en plus fort, et je me suis expulsé hors de moi, j'ai souffert et j'ai hurlé ma souffrance, j'espère que les gens présents ont pu s'en servir pour expulser leurs maux, et puis j'ai dû arrêter brutalement, ce n'est pas à cause des gens présents comme je l'ai entendu mais pour me préserver, c'est égoïste et je m'en excuse. "
Commencée si fort, la soirée ne pouvait que baisser d'intensité. Et il valait mieux. Il valait mieux rassembler tous nos esprits, ramasser tous ces débris dégoûtants et reprendre calmement notre respiration.
La suite ressembla d'ailleurs à un exercice de relaxation et commença sur une série de tintements de clochettes.
A vrai dire, j'ai plus à raconter sur le nom de deux groupes suivants que sur leur musique...
L'Ombre de la Souris dans la Deuxième Lune est une référence à Dune, le roman de science-fiction (Frank Herbert). Le héros se choisit un nom en demandant à aux membres d'une tribu quel est le nom de l'ombre de la souris dans la lune. On lui répond alors Muadib.
La diagonale du fou est le titre du premier film de Richard Dembo, un thriller psychologique. Il raconte un championnat du monde d'échec où le tenant du titre, Michel Piccoli, affronte son disciple.
L'Ombre de la Souris dans la Deuxième Lune et la Diagonale du fou, ne se résument pas à leurs seuls noms. Ils ne sont ni nuls, ni inintéressants. Mais je ne peux pas faire comme si je n'avais jamais écouté Don Caballero, des Américains, qui semblent avoir profondément inspiré ces deux formations post-rock.
Et le problème avec le post-rock, c'est que comme il n'y a pas de chanteur, pas de paroles, on ressent plus fortement les influences.
Don Caballero existe depuis 1991. C'est instrumental. C'est jazz. C'est metal. C'est un trio.
L'Ombre de la Souris dans la Deuxième Lune (de Reims) en propose une version progressive, beaucoup de pédales, beaucoup d'effets, des morceaux assez longs, le même motif répété et étiré jusqu'à de brèves explosions de cymbales. Ce n'est pas trépidant mais les trois Ombres sont élégantes. Elles ont de la prestance et de la grâce.
La Diagonale (de Paris), elle, est moins gracieuse, plus appliquée, plus fidèle aux parrains de Pittsburgh. La basse tricote. La guitare tricote. Et le batteur bastonne, bien en avant. C'est lourd, puissant, métallique. C'est épuisant sur la longueur, mais ça tasse bien, ça pilonne bien les neurones. Sans méchanceté, avec méthode. Histoire d'oublier, les souffrances, les moustiques et les vitres.
Critique écrite le 22 janvier 2007 par Bertrand Lasseguette