Chronique de Concert
Arno
Arno honore Marseille de fréquentes visites, il était récemment au Dock Des Suds, mais revient le plus souvent dans ce même lieu : c'est un habitué de L'Espace Julien, je l'y avais vu il y a très très longtemps.
J'adore Arno, son personnage, sa musique, ses textes et les propositions qui émanent de tout cela. Je crois que c'est avec lui que j'ai pour la première fois entendu le terme de 'rock européen', et à l'entendre encore aujourd'hui, il est évident que s'il n'est pas le créateur de ce concept (mais il l'est peut-être), il en est certainement un des plus éminents représentants, pour ne pas dire le porte-drapeau. A entendre sa musique, on comprend la pertinence de cette étiquette qui le place dans une famille où -c'est le privilège des grands artistes- il énonce toute sa personnalité, sa singularité.
La salle est pleine, configuration debout jusqu'au fond. Les petites marches de la partie haute et reculée permettent au nabot que je suis de bien voir tout le concert, sans être trop éloigné. Génial.
Les chansons sont issues du dernier album Future Vintage et beaucoup d'autres sont d'anciens titres. La plus ancienne remonte au TC Matic des années 80, puis on a droit, entre autres et dans le désordre à Putain, Putain, Vive Ma Liberté, Bathroom Singer, Die Lie, Black Dog Day, Je Veux Nager, With You, I Don't Believe, Quand les Bonbons Parlent, Ratata, Oh La La, Show Of Life, Comme à Ostende (de Ferré / Caussimon), Les Yeux De Ma Mère, Lola, Etc (dédiée à sa grand mère), Elle Pense Quand Elle Danse (dédiée à une ex-copine branchée de son fils).
Les chansons interprétées sont courtes (entre 3 et 4 minutes en moyenne). Leur brièveté ajoute à leur intensité. Ça instaure un rythme qui est ponctué par une chanson calme pour trois pêchues, qui envoient. Rythme nécessaire au chanteur, certainement, mais aussi très agréable pour le public.
Les arrangements sont top et dégagent une énergie incroyable, qu'Arno impulse et rythme avec son chant, ses saccades nerveuses et ses cris de rouille ivre et agonisante. Il orne deux titres de son harmonica, et l'on constate qu'il est aussi un souffleur inspiré, habile et blueseux. Certains titres ont l'allure déglingué d'un vieux cirque ambulant, de Tod Browning sans aucun doute, dont il serait le Monsieur Loyal : il nous livre un jeu de cymbales sur Bathroom Singer, lors du rappel, aux allures superbes et décadentes de monstrueuse parade. D'autres morceaux ont la teneur d'un rock apocalyptique.
Je reconnais Serge Feys, le compagnon compositeur de la première heure, aux claviers, Le bassiste gaucher au nom yougoslave et le jeune batteur sont excellents aussi. Qu'ils me pardonnent de ne pas pouvoir honorer ce texte de leurs noms, l'un des revers de la voix d'Arno étant qu'on ne saisit pas tout, encore moins les noms yougoslaves à rallonge.
Les textes sont riches, aux phrases courtes, laconiques, aux images décalées qui laissent à l'auditeur une grande marge d'interprétation. Arno sous de fausses allures de philosophe de comptoir, est un poète du quotidien, observateur sensible, tel Francis Ponge, qui au lieu de poétiser sur les choses, le ferait sur les gens. Un sarcasme courtois, et même affectueux transparaît dans beaucoup de ses textes. A d'autres moments, il me semble y voir aussi une parenté avec une certaine facette du regretté Nino Ferrer.
Entre deux, Arno discute, prend son temps, cabotine et nous fait savourer son accent et sa diction si caractéristiques. Il est comédien autant que chanteur. Son personnage était déjà en place il y a une vingtaine d'années, il l'a peaufiné en préservant l'impression d'authenticité. Après tout, peut-être est-il réellement comme ça dans la vie. Il est question de belle-fille potentielle amatrice de macrobiotique, du rayon yaourts du supermarché, de bières évidemment mais aussi de thé au lait, de sa grand-mère, d'instants volés comme la conversation de deux épouses discutant de leurs amants respectifs, de Johnny Vacances et Mireille Mathieu et ses capacités de stimulation, et plus souvent du bordel généralisé dans laquelle nous évoluons actuellement.
Son rock a des allures déclamatoires : cri énergique, vital, pavé dans la mare, désir de se battre, besoin de hurler générés par ce monde de merde. Ses chansons plus calmes sont le territoire du sensible, du refuge, de la résignation, de tout ce qui lui sert de mythe de survie.
Arno se pose en héritier du siècle passé, en porteur, ou portefaix, de celui qui vient. Le titre de son dernier album Future Vintage en atteste. Et dans quelques autres siècles, les scientifiques retrouveront son ADN au fond d'une chope de bière. Ils pourront reconstituer l'un des plus beaux fleurons/archétype de la société contemporaine.
Critique écrite le 17 décembre 2012 par Mardal
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> Réponse le 24 avril 2022, par MAR c DAL laporta
Bye Bye Arno, tu vas manquer au monde, au rock, et à moi Réagir
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