Chronique de Concert
Arthur H + Nevchehirlian
Frédéric Nevchehirlian n'est pas un total inconnu de passage à Martigues. Il se trouve en terrain conquis. Artiste-Associé de la scène du Théâtre des Salin de Martigues, Nevchehirlian intervient fréquemment ici cette saison, que ce soit avec des performances spécifiques (celle qui nous intéresse ici ou celle des 20 et 21 avril prochains avec un projet de travail slam/poésie sur des textes de Jacques Prévert), ou avec des stages découverte de slam qu'il organise, notamment à la fin du mois (27 et 28 mars), épaulé par sa consoeur Clara Le Picard. De là à penser que la majeure partie du public venu ce soir là était composée d'inconditionnels de ce véritable artiste en devenir...
Ce n'est pas exactement mon cas.
Si je n'ignore pas le travail de Frédéric Nevchehirlian, son parcours (Vibrion), ou son actualité (l'album "Monde Nouveau Monde Ancien" tourne fréquemment sur ma platine et mes gadgets mp3esques...), je dois confesser que je suis par contre complètement ignare en ce qui concerne ses performances scéniques, que ce soit seul ou en formation réduite (comme ici), ou bien en formation complète ("à 5 sur scène", son trip du moment, comme il aimera à nous le préciser en fin de soirée). J'avais en effet raté (ou négligé, c'est selon) jusque-là les différentes dates de Nevchehirlian dans la région... Je sais, il faut quand même le faire !
Ma venue au théâtre des Salins est donc double : découvrir (enfin) Nevchehirlian sur scène et voir (enfin également) Arthur H en live, ... sans compter le réel bonheur de vous retranscrire mon expérience via cette chronique, bien entendu (arffff !).
Nevchehirlian apparaît sur scène en compagnie du contrebassiste Didier Levallet. Il débute le set par un texte sur La Roue ("la roue c'est parfait ... la roue c'est comme l'homme, mais en mieux") avec des intonations et une interprétation teintée d'humour en introduction. Nevchehirlian scande, les textes à la main, à bout de bras.
Le second texte, avec tout autant d'humour subtil, tourne autour de lettres laissées par un adepte du suicide, à chacune de ses différentes tentatives... Nevchehirlian ponctuant celles-ci en jetant chacune de ces lettres dans son dos. L'humour prend visiblement avec le public, malgré un exercice délicat compte tenu de la performance intrinsèque de l'artiste (l'art de Nevchehirlian nécessite quand même, sinon de connaître préalablement son travail, au moins une certaine assiduité et concentration pendant sa performance, afin de rentrer pleinement dans l'exercice) et du thème abordé par les lettres, même sur le ton de l'humour.
Suivent un texte de Patti Smith ("...une pluie qui n'était pas la pluie, des larmes qui n'en étaient pas..." où pleuvent littéralement les passés simples), puis deux textes de Jack Spicer, ainsi qu'un texte de Frederico Garcia Lorca (?) ("La chanson que jamais je ne dirai / s'est endormie à mes lèvres / La chanson que jamais je ne dirai"), sur lequel on sent Nevchehirlian comme danser imperceptiblement sur le bout des pieds, la pointe des doigts en avant, comme soulignant délicatement le rythme du texte, sous une lumière plus chaude que jusqu'alors ...
Vient enfin, Dans Le Stade, que l'on retrouve dans son album "Monde Nouveau Monde Ancien" , texte scandé de manière extrêmement rythmée (bien plus que sur l'album), saccadée, tout en tension ("Je le sens, je les sens qui sont là / tout autour / qui sont prêts à jaillir / pour nous enlever le sang du cou" ... "J'ai peur qu'ils me prennent tout"... "le ballon file le long de la ligne de but / qui reprend le ballon de la tête"... ), sous une lumière aux reflets un peu plus métalliques.
Nevchehirlian nous gratifie enfin d'une reprise, Aucun Express, d'Alain Bashung, déclamée (curieusement au premier abord) tout en objectivité, presque sans intonation, sans vie, à la limite de la diction factuelle, tel la lecture froide d'un compte-rendu, d'un procès-verbal, seule la ligne de contrebasse un peu plus mélodique distillant une semblant de vie sur ce texte. Mais au fur et à mesure, le côté impersonnel du phrasé et de la diction nous pousse à observer un peu plus Nevchehirlian : c'est plus dans son attitude que transpire la poésie, la profondeur, l'intensité du texte. Un peu comme si cette interprétation décalée renforçait le texte pour le mettre encore plus en avant. Et comme si toute autre interprétation subjective aurait dévoyé le texte... Un très beau moment.
Le set de Nevchehirlian se termine avec un texte plus léger, tout en humour, La Danse du Rat (?), sur lequel l'artiste fera participer le public.
En ce qui concerne Arthur H, l'annonce initiale du spectacle d'Arthur H par le Théâtre des Salins permettait toutes les suppositions : "On ne sait encore quel sera le climat de ce moment rare, ni quel Arthur H sera sur le plateau du Théâtre des Salins...". D'ailleurs je n'avais que très peu d'informations circulant sur ce nouveau spectacle, si ce n'est que ce serait une tournée piano/voix. Premier réflexe (stupide, comme tout réflexe) de ma part : le type de récital que tout artiste français semble devoir offrir à son public, comme une reconnaissance, le couronnement d'une carrière, blabla blabla, ... Et puis, cette tournée s'annonça plus récemment au final comme le préambule à la sortie d'un nouvel album solo "Mystic Rumba", tout aussi dépouillé, l'album de la "consécration", etc, etc, ... rien que le tire semblait être tout un programme !
La salle du Théâtre des Salins est comble ; le public visiblement conquis à l'avance.
La mise en place, à la suite de Frédéric Nevchehirlian n'en est que plus rapide, puisque le gigantesque rideau du théâtre laisse place à une scène vide, au milieu de laquelle trône un superbe piano noir. Monsieur Arthur H ne se fait désirer qu'une poignée de secondes, entre sur scène, se présente face au public (costume anthracite, chemise blanche, boots noirs, cheveux légèrement en bataille, un rien sérieux... je suis loin de l'image de trublion pop que je me faisais de cet artiste), salut, avant de s'installer rapidement au clavier.
Le ton semble immédiatement donné. Bo Derec, puis Lady of Shangaï, interprétés de manière lente, solennelle, classique... une atmosphère de club jazzy s'installe rapidement. On est alors loin de la folie, de l'excès, de l'extravagance faussement attendue par votre serviteur à l'écoute des albums.
Mais grand dieu, quelle voix ! Aucun enregistrement ou album ne saura rendre fidèlement ce que j'ai entendu ce soir là. Une voix éraillée à souhait, dense, profonde par instant, cette voix joue, vit les textes, plus qu'elle ne les interprète. Que ce soit dans les chants, mais également dans les chorus qu'il entonne à certains moments du concert pour s'accompagner lui-même... Suivent Le Baiser de la Lune, Adieu Tristesse, Luna Park. Dès le troisième morceau, le public est enthousiaste et le fait savoir...
On monte alors imperceptiblement d'un cran lorsque Arthur H nous présente "son ami" de scène ("... quand on se sent trop seul comme ici sur scène, il est utile de s'inventer un "ami"...), une sorte de sculpture-robot-lumineux, le trainant lui-même sur scène, à bout de bras (comme on trainerait un chariot-hémisphère sur une plage de sable...) la plaçant à volonté à proximité du piano, ou plus tard, sur le devant de la scène avec lui. Cet objet tantôt bizarre, tantôt subtilement artistique, découpé à contrejour par des reflets dorés sous l'impact des lumières de scène, renforcera la puissance poétique du concert. Sous ce nouvel avatar lumineux, Kevin B, Ma Dernière Nuit à New York City, prennent alors une dimension plus pop. Le spectacle quitte son aspect classique, son côté club jazzy, sombre et enfumé. Le faux semblant de costume austère que semblait porter Arthur H se pare alors, d'une manière tout aussi subtile, des couleurs qui tomberont délicatement des lumières de scène, ici ambre, là doré, ailleurs bleuté ou magenta. Ma Dernière Nuit à New York City, sera souligné, en plus de notre ami-robot lumineux veillant sur Arthur H, par un cordon de diodes luminescentes courant au-dessus du clavier, inondant de lumière les mains de l'artiste...
Si j'en crois les vibrations que je sens circuler dans la salle, Arthur H nous achève alors de sa poésie: avec L'Abondance et Cosmonaute Père & Fils, passé le dernier excès d'humour (la dépose d'un célèbre smart-phone sur le clavier en mode "métronome" sur Abondance), la salle est alors subjuguée par l'interprétation, la profondeur des textes, les superbes arrangements. Interprétés seul au piano, avec cette superbe voix et ce don de l'interprétation, ces morceaux se retrouvent alors dépouillés de tout artifice pop, électronique ou rythmique. Ils se réduisent à l'essentiel, à l'évidence de la simple poésie du texte et de la mélodie. Seul sur scène, Arthur H incarne ces morceaux avec une densité et une magie fantastique.
Serait-ce offense, envers Monsieur Arthur H, de dire qu'à cet instant, il s'est réduit, il a diminué, s'est progressivement évaporé, comme un fondu en cinémascope, il a disparu de ma vue, pour laisser place à cette énorme scène vide qui s'est alors progressivement emplie d'images de toutes sortes, de fusées et de galaxies, d'images de voyages et de timbres poste étrangers, de pavés new-yorkais sous la pluie et de nuit de pleine lune, de parcs d'attractions multicolores et d'épices, de blondes et de brunes, d'asiatiques ou de slaves... Je jure, porté par la mélodie, les textes qui trouvent un écho rapide à notre imagination, et cette superbe voix, je jure m'être trouvé pendant un instant, transporté dans un ailleurs, surpeuplé d'images et de sons, d'odeurs et de couleurs.
Même sensation avec Le Chercheur d'Or, à titre d'exemple dans la suite du répertoire, et qui donne la chair de poule ("Oh Marie, si tu savais, j'ai creusé le roc, comme à main nue / entouré de misérables, de polonais, et aussi quelques français..."), et qui nous achèvera à nouveau... frissons et silence respectueux.
Les différents "retours sur terre" se feront, par le biais de l'humour, de la légèreté et de la désinvolture caractérisant l'artiste, avec notamment Nancy et Tarzan ou Anabelle, les deux morceaux peut-être les moins puissants du répertoire de la soirée, quoique superbement interprétés (c'est dire la qualité du spectacle !). Le summum de la dérision (et de l'auto-dérision également : "si vous voulez, comme moi, vous aussi, allez vous balader en Camargue, achetez-vous, vous aussi, des boots de gitan ... et puis faîtes vous décoller les oreilles, pendant que vous y êtes" ... ovation du public) et du loufoque sera atteint avec l'un des morceaux inédits qui figureront sur le prochain album : Les Trois Petits Nains ("chacun a un petit nain en soi qui doit s'épanouir et prendre toute son ampleur..." déclare-t-il), narrant le voyage initiatique de ces trois petits aventuriers surréalistes... morceau dont on a vu tourner le teaser sur la toile.
La première partie se clôturera avec les deux fantastiques Raïssa et Mystic Rumba, avant la première série de rappels qui renoue, dans cette parenthèse de deux morceaux, avec le pop délirant et l'extravagance de l'artiste : Est-ce que tu aimes et Idiot. Arthur H délaisse alors son piano classique pour un style de clavier électronique qu'il vient déposer lui-même sur le devant de la scène. Sans dévoiler le secret, disons que ces deux morceaux seront les objets de délire absolu : tentative d'accompagnement par le public, d'humour débridé ou de provocations ("...c'est fantastique ! vous êtes en train d'inventer des rythmes jusque là inconnu ! ...", "...je ne sais même plus comment terminer ce morceau...", etc...) ou de descente parmi le public...
La nouvelle série de rappels, Marylin Kaddish et Le Jardin des Délices termineront enfin, à nouveau seul au piano, ce concert avec ces deux morceaux à nouveau dépouillés.
Je ne saurais dire si les tarifs des places était donnés ou onéreux ; chacun, seul, peut juger pour soi.
Mais je jure qu'en ce qui me concerne, j'aurais, ce soir là, selon le style de Arthur H, "fait le tour du monde avec une poignée de dollars"...
Critique écrite le 05 mars 2010 par flag
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> Réponse le 07 mars 2010, par Nadège
Première partie par le slammeur NEVCHEHIRLIAN, seul accompagné d'un contrebassite. une belle voix, une belle présence mais un concert assez inégal. Les premiers morceaux sont surprenants, beaux. La suite m'a un peu déçue: manque de rythme, long, sans émotion. La reprise de Bashung, aucun express manquait vraiment d'âme. Mais le morceaux de fin m'a redonné la pèche, speed, un flot de paroles drôles, génial! En tout cas, une présence charismatique, une voix délicieuse. Artiste à suivre... Puis, arrive ARTHUR H sous un tonnerre d'applaudissement (il s'est un peu fait prier le bougre!!). Un concert intimiste, juste piano et voix. Arthur H revisite son répertoire afin de mettre les textes en valeur des chansons qu'il aime. C'est bougrement réussi!! Il y a des choix sur tous les albums, du... La suite | Réagir
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