Chronique de Concert
Bernard Lavilliers
La Coopérative de Mai, Clermont-Ferrand 2 mars 2002
Critique écrite le 04 mars 2002 par Pierre Andrieu
Le noir se fait et une silhouette menaçante nous fredonne la première chanson en fond de scène, derrière les musiciens. De loin, il a l'air encore plus méchant que sur les photos, à l'idée qu'il se rapproche, je tremble dans mon pantalon. Au milieu du morceau, il s'avance sous les vivas des sexagénaires qui ont fait le déplacement en nombre (1500 ?). Je suis méchant : j'aperçois ici, un quinquagénaire et là, un teenager pris en otage par ses parents. Le pauvre gosse a l'air de passer la pire soirée de sa courte vie, encore une jeunesse brisée ! Nanar est à 10 mètres de moi et là, j'ai une vision : mais, mais... c'est Tom Jones qui se recycle dans la chanson française. "The french sex bomb" a un double menton et il est plus que massif, c'est un colosse aux pieds de béton. Bien sûr, comme il se doit, il arbore un ensemble en cuir moulant du plus bel effet, sa traditionnelle boucle d'oreille, son bronzage réalisé entièrement en salle avec des UV, et sa coiffure improbable.
Le son de l'orchestre est assez classique, on ne s'éloigne pas de la variété française middle of the road, le guitariste n'appuie que très rarement sur sa pédale de distorsion. Une petite surprise : la relecture de "Traffic" avec des sons électroniques pas très heureux en fond sonore, mais "ou veux-tu que je sois dans cette société-là, ou veux-tu que je vive, dans la radioactive ?" La question reste posée en tout cas. Bernard a l'air un peu content mais reste ténébreux, pour l'image. Il parle beaucoup entre les morceaux, mais j'ai tout oublié, il faut dire que ses propos n'étaient pas décisifs pour la suite de ma vie... Dans ses chorégraphies, Bernard fait le méchant : il fera semblant de mettre un coup de couteau une dizaine de fois, il nous visera avec un flingue ou un pistolet imaginaire le même nombre de fois. Mais pourquoi êtes-vous si méchant M. Lavilliers? Ah oui, vous êtes un mauvais garçon, j'oubliais. Je reconnais avec joie "Pigalle la blanche" mais mon morceau préféré est joué plus tard : le stéphanois de Santiago du Chili empoigne une guitare sèche et nous joue "On the road again" tout seul. Contrairement à Thiéfaine, il a le courage de jouer un titre seul, les gens reprennent en chur, c'est convivial. Ah, si tous les gros bras du monde voulaient bien se donner la main...
En ce qui concerne les chorégraphies, le Che Guevara de la Loire nous fait des pas de danse assez lourdauds (il doit bien peser ses 110 kg, le bougre !), exécute des pas de salsa catégorie poids lourd, mais le bouquet arrive au quatrième ou cinquième morceau. Il fait chaud, il décide donc d'enlever son blouson en cuir puis il le jette négligemment à son roadie qui le rattrape à la volée. Ils ont du répéter ce moment d'anthologie, c'est trop parfait ! Je regarde ses bras puis les miens et je me dis qu'il faut impérativement que je m'inscrive dans une salle de muscu. Il a des biceps gros comme mes cuisses, l'animal, il peut étouffer à mains nues un boa dans la jungle birmane, j'en suis convaincu. Pendant "San Salvador", Il présente les musiciens, c'est d'un chiant, mais d'un chiant : ça dure 10 minutes, chacun y va de son solo, un incommensurable calvaire ! Pas mécontent de son effet, Lavilliers nous présente un morceau nommé "Solidaritude", il avait besoin d'une rime riche en "ude", et c'est pas la langue française et les académiciens qui vont le faire chier : comme dans la vie, il décide de passer en force dans les textes. Nous avons droit ensuite à un petit hommage à Philippe Léotard, avec qui il avait passé quelques soirées prolongées riches en discussions de comptoir.
Pour les rappels, il commence par "Mélodie, tempo, harmonie" son duo commercial avec Jimmy Cliff (qui s'est fait excuser) et enchaîne avec "Stand the ghetto". Après un tonnerre d'applaudissements et une petite bière dans les loges (voire plus si affinités), il revient avec "Noir et blanc" et conclut par "Est-ce ainsi que les hommes ?", un joli poème d'Aragon mis en musique par Léo Ferré. En conclusion, je vous laisse méditer ce vers : "De n'importe quel pays, de n'importe quelle couleur, la musique est un cri qui vient de l'intérieur." Puissant...
Critique écrite le 04 mars 2002 par Pierre Andrieu
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