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Chronique de Concert

Bernard Lavilliers

Zénith de Paris 13 mars 2008

Critique écrite le par

Jeudi 13 mars 2008. Bernard Lavilliers au Zénith de Paris. Le retour attendu d'un éveilleur de conscience. Carnet de bord d'un chanteur atypique du paysage français.


C'est en ombre chinoise que débute le concert. Des ombres fantomatiques de musiciens naissant du bruit des rues de Beyrouth. Le drapé blanc laisse apparaître des morceaux d'hommes. Une contrebasse seule puis accompagnée par d'autres notes sonne le retour d'un homme à la conscience éveillée, fan de Ferré.

Lavilliers voyage. Une évasion volontaire pour s'arracher du pays natal et rapporter de nouvelles couleurs. Un geste pour imaginer et modifier sa pensée. Du recul pour frapper là où ça fait mal. Il est là, avec l'énergie paradoxale qu'on lui connaît. Des rythmes chaleureux pour dénoncer l'indicible. Le rideau tombe. L'orchestre est au complet. Fanfant à la basse, Tribolet au clavier, Gimenez à la batterie, Faucher à la guitare, Dominique au Banjo, au trombone et au violon.

Sur scène le corps est souvent sur la pointe des pieds. Une grâce qui navigue entre légèreté et volonté de ralentir l'instant et le monde pour mieux s'en saisir. La main cisèle, illustre souvent les textes mais si les mains s'élèvent vers le ciel, elles se referment souvent sur le poing. Le poing du coup. Le poing du refus.

Difficile alors de rester insensible aux phrases lancées à Monsieur Sarkozy. Travailler plus pour gagner plus est comparé à un slogan publicitaire digne d'Edouard Leclerc et dans la chanson "Troisièmes couteaux", ceux qui sont prêts à tout sont bons à rien comme l'expliquait sa grand-mère. Les phrases fusent. Dans le public, ça siffle fort. "Carla, c'est cher" lance Lavilliers et mon voisin commente : "Il y va fort quand même". Hortefeux sera le plat du jour du samedi apprendrai-je plus tard. Moi je souris devant ce public partagé qui n'est peut-être plus habitué à entendre des artistes penser à voix haute entre les chansons.

Lavilliers avait pourtant prévenu en début de concert, en rendant hommage à son père de 91 ans résistant communiste dans le Vercors. "Mon père m'a dit que le contexte actuel ressemblait étrangement à celui desannées 30 quand on faisait la chasse aux communistes, aux juifs, aux homosexuels(...) juste avant la montée d'Hitler." Des propos cinglants. Lavilliers aime le risque et la liberté.

Les chansons du stéphanois sont comme ses propos. Une douceur mélodique contenant un texte qui ne veut pas se laisser faire et se débat pour exprimer une pensée choquée. "C'est toujours un grand mystère, un secret pesant, tout ce que l'homme peut faire, tout l'acharnement, pour éliminer ses frères, radical et sanguinaire, il a besoin de tout son talent." clame-t-il dans "Solitaire".

Si la parole politique jaillit ce n'est jamais gratuit. Lavilliers est du parti-pris de l'émotion. Lavilliers chante le splendide "Petit" sur ces enfants nicaraguayens jouant avec des Kalachnikovs, on pense alors aux récents succès de Lord of War au cinéma ou à Blood Diamond. Le public ouvre les yeux en 2007 sur ces enfants-chair-à-canon. Lavilliers a écrit cette chanson en 1988... 30 ans... Le public se tait et écoute. Les musiciens planent, en rond, en clan. Un recueillement. Une version acoustique guitare violoncelle plus grave qui fait mouche. Difficile de repartir après ce texte, mais ça repart.

Le concert suit son cours. Avec la joie de retrouver un artiste qui parle loin devant les soupes populaires de l'audimat. Ce soir c'est lui qui régale. La première partie a attaqué en Killer des thèmes durs entre reggae et soul. Il danse, Lavilliers, il s'amuse. Libre de pouvoir chanter tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. "Bosse" repris dans une version plus rapide que l'album sort du lot. Le public en redemande et c'est avec plaisir qu'il reprend ces tubes qui ont traversé finalement 40 ans de notre conscience. "Pigalle La Blanche", "Question de peau", magnifique "Fortaleza" en solo acoustique, "On the road again". "Petit" puis une setlist plus légère mais toujours les succès, "Les mains d'or", "Stand the ghetto", "La Salsa".

La voix s'est faite crocodile mais le verbe et la poésie ne changent pas. Une poésie du poing pour clamer simplement l'étonnement d'un artiste devant la cruauté de l'homme. Reste une question, pourquoi les textes raisonnent-ils encore plus aujourd'hui qu'il y a 40 ans ? Lavilliers sortira de scène après trois rappels, seul, levant le poing : "Ne vous faites pas avoir !"



© Etat-critique.com

 Critique écrite le 19 mars 2008 par Sébastien Mounié


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