Chronique de Concert
Bill Deraime feat. Tryo, Kad Merad
Ouf il était moins une. Ceux qui me connaissent bien vous diront que j'ai une vision assez personnelle de l'écoulement du temps et de combien de temps à l'avance il faut partir pour (par exemple) prendre un train. Ainsi pour un train partant à 9h06 j'avais décidé de partir de chez moi à 8h45 (l'avantage du vélo et des jambes c'est que la durée du trajet ne dépend vraiment que de soi). Ainsi, bien que je ne me sois souvenu que l'horloge de ma cuisine retardait de 5 minutes qu'à l'heure de partir et bien que la vision terrible d'un nième arbre se faisant "transplanter" sur la Plaine m'ait ralenti je suis arrivé à temps. Rien ne pouvait donc plus m'empêcher d'atteindre mon but : le Trianon.
C'est donc un concert parisien qui me fait m'échapper de ma routine scientifique marseillaise en ce vendredi matin. Une date que j'avais notée dans mon calendrier dès qu'elle a été annoncée au moment de la sortie de son Nouvel Horizon, je parle bien sûr du héraut du blues français : Bill Deraime (and guests) au Trianon. A vrai dire je crois que c'est la première fois que je fais une telle entorse à mon critère de choix de concerts qui consiste à n'aller voir quasiment que des concerts "locaux" c'est-à-dire auxquels je peux aller à pied ou en vélo par rapport à là où je me trouve. Mais ceux qui lisent un peu régulièrement ce que j'ai pu écrire depuis maintenant un peu plus de 20 ans savent tout le bien que je pense de cet artiste hors normes.
Si d'habitude je reste strictement côté public, cette fois cela risque de ne pas être le cas car, arrivant à Paris à midi j'ai proposé à Florentine de leur filer un coup de main avant le concert, espérant un peu documenter cette date un peu spéciale. Concert dans une belle et grande salle parisienne où (c'est l'avantage des concerts dans la capitale) on se doute qu'il y aura quelques invités (on murmure les noms de Tryo, Kad Merard, ....). Après un trajet sans encombre où j'ai perdu de vue le ciel peu après Avignon, et après avoir acheté un sandwich poulet curry qui s'est avéré être un kebab, Flo me récupère devant le Trianon pour me faire rentrer par derrière.
Je découvre ainsi l'envers du décor ... l'Elysée Montmartre et Le Trianon qui communiquent, les loges de la taille d'appartements, toute l'équipe de Bill musiciens et technique, le producteur de la date, les invités qui arrivent au fur et à mesure, les frigos dans lesquelles on peut se servir, les balances, les plateaux de fromages / charcuterie signés Saison, les ouvriers qui font des travaux sur place, ... je vous passe les détails mais il règne ce soir une atmosphère de franche camaraderie (peut être que le terme de "fraternité" est plus approprié) fédérée par le respect que tout le monde semble avoir pour Bill.
C'est aussi l'occasion de voir que Kad (en pause de la promo de son nouveau film avec Julie Gayet) est exactement comme je l'imaginais tout le temps à fond, conscient de sa notoriété, extrêmement bienveillant avec Bill et, comme on dit, "force de proposition" dès qu'il s'agit de déconner (dans les loges "dès qu'y a des twix et des kitekat ...", au moment de monter sur scène "vous voulez que je monte sur scène pour l'annoncer ?", pendant les balances "C'est du live, tu sais ce que c'est ...", ...). Touché aussi par les gars de Tryo (qui m'ont renvoyé à mes années Cachan) tout aussi fans de Bill que Kad.
Bref ce soir l'ex cinéma dans lequel Florentine et Bill (qui ont toujours habité le quartier), mais aussi d'autres grands artistes comme Jacques Brel, venaient se réchauffer les après-midi d'hiver, et désormais salle de spectacle, affiche complet (pratiquement 1000 personnes en configuration assise). Beau théâtre ancien (pour les balcons) et à l'ancienne (pour le rez de chaussée refait à l'identique) dont j'ai eu le temps de faire le tour dans l'après-midi. Tout est réuni pour passer une belle soirée. Et effectivement ce sera le cas.
(j'hésite toujours à utiliser le présent ou le passé quand j'écris une chronique et là je bascule au futur ?!?). Le concert commencera en douceur par Teddy Be Cool avec Bill accompagné de Philippe Draï que j'ai surement du croiser par le passé puisqu'il a accompagné des artistes comme Alain Bashung ou Renaud (c'est aussi un des fondateurs de Kassav). Début plutôt intimiste du coup devant la grande salle bien pleine ...
Sur le second morceau ils seront rejoints par le reste de la troupe, à savoir Florian Robin aux claviers, Pascal Baco Mikaelian à l'harmonica (tous deux déjà présents sur le très bien nommé Nouvel Horizon) et depuis quelques mois par Pierre Elgrishi à la basse.
J'avais déjà pu voir au cours de l'après-midi que les musiciens avaient l'air de bien s'entendre, mais j'avoue que je suis émerveillé par l'entente musicale ce soir. Que le morceau soit blues, reggae, rock (car oui la musique de Bill Deraime c'est tout ça et même plus) ça joue bien, juste, ensemble ... on dirait qu'ils se connaissent depuis toujours, tellement tout parait naturel.
Je n'ai pas pris autant de note que d'habitude mais quand même quelques unes ... c'est lorsqu'à la fin d'un morceau il a dit qu'il posait "Excalibur aux cordes si dures" pour prendre "Géraldine aux cordes cristallines" (cela devait être entre Chanteur Maudit et Dimanche Après Midi) que j'ai compris que la Géraldine qui hai-hai-meu tant dans ses chansons était une de ses guitares (tu parles d'un fan !).
Entre les morceaux je retrouve ses traditionnels "Meeeerci les amis !" et cette façon de se lancer dans de longues petites intros semi improvisées (en tout cas sans notes) aussi tristement justes que drôlement dites. Pour le reste il a fait l'acquisition d'une tablette sur laquelle défilent les textes (comme la plupart des chanteurs à textes) ce qui fait qu'il n'y aura presque plus de ces petits trous de mémoires que j'ai toujours trouvés, côté public, attachantq puisqu'ils rendent l'artiste encore plus humain.
Tous les morceaux ce soir sonnent justes et vrais, les plus calmes comme Dimanche après-midi ou Seul avec toi-même (qui parle de la solitude du fêtard) dont on écoute (et comprend) les paroles religieusement (puisqu'il a eu la bonne idée de chanter en français), comme les morceaux aux rythmes plus enlevés comme Encore bouger qu'il dédiera au collectif Les Morts de la Rue.
C'est avec ce morceau que se terminera le premier set dont le seul bémol est qu'il m'aura paru un peu court (il s'avèrera qu'ils ont sauté accidentellement Faut que j'me tire ailleurs). Dans ce grand et beau théâtre le rideau ne se fermant pas les musiciens quitteront la scène en même temps que le public invité à aller se rafraichir au bar et faire connaissance ...
Au retour de l'entracte avant de re-attaquer en douceur avec Nouvel horizon avec Philippe à la derbouka, Bill demandera aux gens dans le public s'ils ont bien profité de la pause pour discuter entre eux. Le suivant sera l'occasion d'accueillir le premier invité, Kad Merad pour Assis sur le Bord de la Route (comme sur le disque et sur les quelques plateaux télé qu'ils ont fait ensemble). Touchant, avec ce côté décalé entre le sage et le clown (rien de péjoratif là-dedans) pour un morceau tout aussi beau en français que ne l'était l'original en anglais.
Le prochain ("sur l'amour conjugale") il le dédiera à Florentine qu'il appellera des noms de tout ce qu'elle est pour lui sa copine, sa sur, sa compagne, son épouse, sa squaw et d'enchainer qu'il y a quelque chose de résolument indien dans le rythme de cette magnifique déclaration d'amour qui dure Moi sans toi. En coulisse je remarque du coin de l'il que je ne suis pas le seul à danser ...
Ils enchaineront ensuite avec Je rêve véritable prière dub qu'il introduira en citant Brel qui disait que ce n'est pas l'homme qui fait des rêves mais le rêve qui fait l'homme (ou un truc comme ça). Tout le monde en coulisses comme dans la salle est transporté par la musique comme par le propos ...
C'est ici, si je me souviens bien, qu'ils attaqueront par un des grands classiques de Bill : ce fameux Faut que j'me tire ailleurs qui est un de ces morceaux qui me suit depuis aussi longtemps que j'ai des souvenirs (dans le salon aux murs tapissés du 28 rue de Bruys) et qui avait été oublié en première partie.
Suivra, après un de ce petit discours sur la "croissance consumériste fratricide" dont seul l'amour libérateur pourra nous sauver. Le clavier qui nous a déjà offert quelques soli ravageurs se fait maintenant reggae comme jamais pour un Mon obsession d'anthologie. Je crois que c'est en reconnaissant quelques camarades de classe qu'il fera allusion à cette année au lycée de Chantilly devenu mixte pour la première année où le taux de réussite au bac avait du coup chuté de 30% ...
Du coup Manu de Tryo rentrera en douce sur la scène pour accompagner le reste du groupe à la guitare sur Entre deux haut solo et duel guitare / harmonica avec Bako. Long juste ce qu'il faut. Le groupe se fait plaisir et c'est communicatif. Ce long morceau sera d'ailleurs l'occasion d'un nouveau solo de clavier et de quelques échanges avec le public à coup de Obladi Oblada.
Manu sera ensuite rejoint par Guizmo, Daniel et Christophe pour une version sans faute (contrairement aux balances) de Babylone tu déconnes dans laquelle les 4 membres de Tryo mettront, chacun dans son style, toute l'énergie qu'un morceau aussi emblématique que celui-ci mérite. Grosse ambiance au Trianon même si on devine que le concert touche à sa fin. En tout cas là aussi le groupe sonne, c'est cohérent, homogène, parfaitement huilé, le son est bon, le jeu de lumière aussi !
C'est en effet déjà le moment du Dernier blues que Kad peut revenir chanter (en l'absence de Florent Pagny) ... final en douceur avec ce morceau chanté en chur par tous les membres du public quel que soit leur âge. A la fin du morceau Kad en ambianceur hors pair et en fan ultime fera hurler le nom de Bill Deraime au public qui ne se fera pas prier. Lui (avec la mains partant du bas qui montent dans les airs) : "Biiiiiiiill" et le public de répondre "DERAIME !!!!" sans se faire prier.
Du coup, même si le dernier morceau de la setlist de ce soir est passé, il était juste impossible pour le groupe de ne pas revenir. Amusant de voir Kad et Manu retenir Bill pour pas qu'il ne remonte sur scène trop vite et se laisse un peu désirer. C'est donc par l'emblématique J'me sentais mal qu'il finira ce concert en beauté, avant d'être rejoint par tous les musiciens de la soirée pour un dernier salut devant un public qui avait enfin quitté ses fauteuils pour se masser au pied de la scène.
Bêtement je reste un peu sur scène histoire m'assurer que la gopro que j'ai laissée en mode timelapse ne se fasse pas embarquée au démontage, plutôt que d'immortaliser la sortie de scène. Tout ce beau petit monde se retrouvera derrière autour des plateaux de fromage et charcuterie et de quelques bouteilles de vin, avant de redescendre échanger avec quelques fans et certains de se prêter au jeu d'une interview radiophonique.
Je vous passe les détails de la fin de soirée : démontage de la scène, rangement des affaires, évacuations des lieux ... mais je retiendrai de cette date (qu'un producteur enthousiaste qualifiera de "pierre blanche" annonceur d'une inévitable tournée à venir) l'immense naturel et la fraternité évidente qui s'en dégageait. Le contraste aussi entre Bill à la ville, plutôt introverti et réservé, et le Bill sur scène loquace, rayonnant et plaisantant de ses difficultés (comme lorsqu'il énumère tout un tas de chose en bi- pour finir par bi-polaire).
Bref, j'ai toujours beaucoup aimé la musique de Bill Deraime, ses textes, son propos ; j'ai toujours assisté à ses concerts avec un mélange de respect, de tendresse et de plaisir, mais ce soir (en dehors du fait que j'y assistais dans des conditions pour le moins inhabituelles) j'ai vraiment senti qu'il se passait quelque chose de spécial. Et franchement avec le retour aux choses simples et vraies, le retour de l'authentique (du bio au vintage en passant par le recyclage), Bill qui fêtait ce soir ses 50 ans de scène devrait assez logiquement toucher (encore une fois par sa musique variée mais sans artifices et ses textes qui parlent autant au cur qu'à la tête) un public encore plus nombreux.
En tout cas ce soir tout le monde était sur un petit nuage, moi le premier !
Set list : Teddy B / S'coue toi / Avant la paix / Chanteur Maudit / Dimanche après-midi / Seul avec toi-même / Encore Bouger - entracte - Nouvel Horizon / Sur le Bord de la Route (avec Kad Merad) / Moi sans toi / Je rêve / Faut que j'me tire ailleurs / Mon obsession / Entre deux eaux (avec Manu de Tryo) / Babylone tu déconnes (avec Tryo) / Dernier Blues (avec Kad Merad) - rappel : Je m'sentais mal
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Critique écrite le 19 novembre 2018 par Pirlouiiiit
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