Chronique de Concert
Brigitte Fontaine + L
Et pourtant si, ça en conserve, car (au-delà du fait idiot que j'avais déjà commencé à écrire la chronique) un tel concert n'était pas anodin et mérite d'être rapporté.
Puis Brigitte Fontaine à Vauvert (11.000 habitants), je ne dirai pas que ça aura été probablement la première et la dernière fois, mais qu'a minima, ce n'est pas demain la veille qu'on reverra ça a priori !
Bien sûr, certains ont râlé qu'elle ne choisisse pas plutôt Montpellier ou Nîmes. Mais c'est au contraire une très bonne chose de ne pas concentrer les pointures dans les mêmes salles. Surtout quand on sait les efforts que font les organisateurs de concerts passionnés dans les petites villes et les villages, comme ceux de cette association Courant Scène de Vauvert.
Ils démontrèrent d'ailleurs à double titre leur bon goût, en programmant une première partie inattendue d'excellente facture, se réduisant à une simple lettre. Non, il ne s'agissait ni du collègue à Brigitte M(athieu Chedid), ni de (Dominique) A ou (Arthur) H en invités surprise. Z(orro), avec son fier étalon et son accent espagnol, aurait presque fait couleur locale, mais non, il s'agissait de L ! Vous ne connaissez pas ?
Alors faites comme moi, découvrez !* Car elle est vraiment sympathique. Je parle de la chanteuse, auteur-compositeur en action sur les planches depuis quelques années (mais n'ayant pas encore enregistré), mais sans oublier ses deux acolytes musiciens, une pianiste (Donia Berriri) et un violoncelliste-bassiste.
Une musique et un chant beaux et simples, un peu étranges et subtils (beaucoup de jeux d'harmoniques par exemple) et mélangeant les influences, sans le moindre artifice rythmique autre que ceux des voix, parfois entremêlées sous forme de chuchotements ou de soupirs cadencés, me rappelant un peu certains jeux vocaux de Kate Bush.
Des paroles limpides et engagées, une voix chaude.
Et une présence d'ensemble très forte. En tout cas moi je n'ai pas décroché jusqu'à la dernière note, et c'est rare pour une première partie. Je vais guetter avec attention la sortie de son premier disque !
Du coup l'attente de Brigitte fut réduite au seul petit moment de séparation technique permettant l'installation du matériel de son groupe.
Celui-ci entra bientôt sur une scène illuminée d'un bleu émanant de sports et de sous quelques parapluies installés sur la scène : un guitariste filiforme au cheveux longs, un batteur, un bassiste, un claviériste officiant alternativement sur le piano et un petit synthé et, flamboyant dans son costume et son chapeau rouge, Areski Belkacem : le génial compagnon de route de Brigitte, co-auteur de la plupart de ses musiques depuis vingt ans et donc co-responsable du vif intérêt que je porte depuis à peu près la même durée à la dame ! Il va officier dans un premier temps au tambourin.
Puis, là voilà qui apparaît, d'un pas traînant, un chouilla voûtée comme une vieille dame (en rajouterait-elle ?)... mais hallucinante : air figé, casque d'aviateur en cuir, jupe courte et bas résilles, menottes ouvertes au bras. Saluant non les Vauverdois et les Gardians, mais les "vauriens et les vauriennes, les gardiens et les gardiennes, les zoulous et les zouloutes" (... et "aussi les cons" ; c'est vrai que statistiquement il n'y avait aucune raison que cette catégorie là ne soit pas représentée dans la salle !).
Sont enchaînés, pour lancer le concert, les deux premiers très bons titres du dernier album Prohibition, qui signe son retour dans le registre contestataire (qu'elle n'a jamais vraiment quitté, mais qui était resté longtemps un peu en veilleuse). Dura Lex (j'adore comment elle balance haché menu son "Major anxiety attack"), et surtout Entre guillemets, titre très marrant sur l'hypocrisie au sein des couples (sans les choeurs de Jeanne Cherhal comme sur l'album, bien sûr).
Le reste de l'album sera bien entendu correctement représenté pendant le concert.
Notamment avec Prohibition, son nouvel hymne à la liberté. "Les vieux sont jetés aux orties à l'asile aux châteaux d'oublis. ... J'ai d'autres projets vous voyez, je vais baiser boire et fumer...".
Ou encore le triste et beau Harem, avec un simple accompagnement au piano, évoquant la vie de lux(ur)e et d'esclavage des filles que l'on y trouvait jadis.
Les innombrables autres albums de Brigitte seront représentés par quelques titres (dont deux que je ne connaissais pas). Mention particulière pour la chanson qui m'a fait découvrir la dame : Le nougat (de l'album French Corazon). Une merveille d'humour absurde et de musique orientale, dans une version géniale plus mauresque que montélimaresque, où le héros est cette fois le loukoum ! Un régal aussi (même si ce n'est pas le dessert oriental que je préfère ☺).
Mais l'un des "vieux" albums aura été mieux représenté que les autres : Genre Humain, de 1995 ; Sa carrière ayant commencé dans les Sixties, finalement c'est tout récent !
Avec Genre humain d'abord, une perle de texte sur les difficultés d'adaptation à notre étrange société d'une "visiteuse", dès le 3e morceau du concert. Dans une version à la rythmique plus directe qu'en studio, seulement gâchée par un chant trop monocorde voire "craché" lors du refrain.
Comme à la radio ensuite, dans une version très allongée par des phases instrumentales assez hypnotiques.
Et le monument d'autodérision sublime que constitue le titre Conne. Dont la musique a été composée par les comparses Etienne Daho et Arnold Turboust (Brigitte ayant écrit elle-même des paroles pour des titres pour Daho, dont les géniaux Dommage que tu sois mort ou encore Jungle Pulse). Mais ce sont surtout les paroles qui sont extraordinaires. "[...] Je suis passée à côté de l'amuuur. Quand il s'est présenté à moi avec sa Mercedes rose bonbon et sa poitrine nue et dorée. Je l'ai laissé sur le bord de la route et je suis montée dans une 2CV pourrie... Où y'avait un chien qui puaaait !!! [...]" Bon, et c'est surtout extraordinaire quand elle le chante, là comme ça par écrit, hem.
Au milieu du concert, Brigitte s'éclipse, et voilà que nous avons la surprise de voir Areski prendre la vedette, en se mettant à chanter des titres à lui. Sa voix est simple et assez agréable à mon goût, et ses chansons dédiées à l'amour, bienvenues. Il s'accompagne au tambour lors du premier et dynamique titre.
Le second est plus calme et assez coquin. Et après les premiers couplets du troisième, très fleur bleu et un peu mou, voilà que Brigitte parsème la prestation, depuis l'arrière-scène, d'interventions taquines et poilantes sur ce qu'il chante et lui-même ("C'est un bon coup !"). Areski ne se démonte nullement et continue comme si de rien n'était, jusqu'à ce qu'elle réapparaisse, menottes-moumoute rose à la place des menottes d'acier qu'elle arborait auparavant, sous les vivats d'une salle de plus en plus chauffée. Dès Le noug... loukoum, des gens ont commencé à abandonner leurs sages chaises en plastique souple pour s'agglutiner devant la scène, et là une véritable hémorragie du public vers l'aimant-Fontaine va commencer et ne plus finir jusqu'à la fin du concert.
Le dernier titre de la soirée, extrait du dernier album, Soufi, signera l'apothéose de ce superbe concert. Sans la voix très particulière de Grace Jones et sans le beat puissant de la version studio, le titre reste quand même très bon, et particulièrement adapté à une conclusion, avec sa montée en puissance progressive. Une bonne partie de la salle finira debout à chanter en chur "Salam salam salam", le joli refrain.
Et Brigitte de sourire de contentement !
"Très bientôt musique amour poésie seront interdits par tous ces maudits."
Bon, ça va ce n'est pas encore le cas et je pense qu'il y a un peu de marge quand même. En tout cas au moins tant que Brigitte Fontaine saura nous faire décoller !
Merci à Jean-Paul Sposito, qui a pris tellement de bonnes photos que j'ai eu du mal à faire mon choix, pour l'Association Courant Scène (https://www.myspace.com/courantscene).
Les infos sur L ne sont pas évidentes à trouver, alors je vous y aide : https://www.myspace.com/lmusique et https://lmusique.blogspot.com/
Critique écrite le 25 mai 2010 par Floribur
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