Chronique de Concert
Brother Junior / Rival Karma / Film Noir - La Ginguette Sonore
Mon premier est un petit vin blanc aigrelet passablement vert et pas bien cher qu'on venait boire en banlieue parisienne après avoir remonté la chaussée de Mesnil-Montant jusqu'à de petites gargotes en plein air où il était servi en abondance, et dont la vertu principale -outre son prix- était de mettre assez vite le diable aux jambes des bonshommes, qui faisaient alors virevolter les filles dont la tête tournait dans leurs bras endiablés au son grinçaillant du "piano des pauvres" ;
Mon second est ce qui est propre à émettre des sons, à rendre un son, qui est émis avec une grande puissance, intense, parfois harmonieux, agréable, éclatant, qui a une bonne acoustique, qui résonne, ou de la nature du son en tant que phénomène physique ou sensation auditive. On considère généralement qu'un son musical correspond de façon adéquate à une note de musique, satisfaire à cette définition impliquant néanmoins que ledit son doive avoir une hauteur fixe, une intensité et une durée, et que son timbre, qui regroupe certaines propriétés harmoniques et d'enveloppe sonore, lui donne un caractère reconnaissable..
Mon Tout est la Guinguette Sonore, Indoor volume 3.
Pour ceux qui n'auraient pas suivi, la Guinguette sonore, c'est le résultat de quelques années d'activisme de l'Oreille En Face des Trous, une bande de passionnés entraînée dans le sillage de l'érudit-rock Sebastien "Cali" Dreyer (manager successif, entre autres, de Opossum, Bishop, ou Nacimiento) dans l'organisation d'un festival atypique dressé désormais depuis 5 ans sur la plage de la Romaniquette à Istres. En déclinant cette année son concept (une programmation pointue de découvertes internationales et nationales faisant la part belle à ce que la scène rock locale a de plus prometteur) le long de trois rendez-vous hors-sol, l'équipe du festival se frotte donc à "l'indoor". Cet épisode est le dernier d'une triplette ayant précédemment investi l'Usine et le 6Mic avec 2 autres plateaux de 3 groupes .
Bon, okay, nous ne sommes pas à Mesnil-Montant, même pas à Paris, et à peu près 160 ans plus tard. Mais il faut quand même monter la longue allée jouxtant le long bâtiment du Moulin (à la façade tout récemment customisée par les équipes de l'Artmada avec son logo géant répliqué en anamorphose) pour atteindre la gargote éphémère improvisée sur le bitume (comme la célèbre partie de foot d'Akhenaton) dans l'arrière cour du 47bd Perrin pour y goûter non pas du "Clos Guinguet", mais fierté locale oblige, plutôt du pastis "Mon Vier", probablement aussi redoutable pour faire tourner les têtes que son ancêtre viticole parisien. D'autant qu'un ciel bleu immaculé, et l'éloignement paresseux de la température tropicale qui a frappé tout le jour, participent d'une délicieuse tombée de soir. On ne dansera pas java, tango ni musette, c'est vrai ; mais des dizaines de bonshommes et de brins de filles - et même quelques bambins- qui se tapent dans le dos, courent, rient, trinquent, s'interpellent et se chahutent dans les roses et les parmes d'un coucher de soleil lointain autour de tonneaux renversés, dans une chaise longue ou un fauteuil de jardin devant cette planche servant de comptoir surmontée de guirlandes rondouillardes et auréolée de bols à glaçons, caressés par un gazouillis sonore aussi léger qu'un alizée en Denim, c'est carrément Guinguette, n'en déplaise aux puristes.
Quant au sonore, dès que le signal de la redescente est donnée pour que ces apéritistes bien mis en jambes rejoignent enfin le Club carrossé du Moulin, il se matérialise instantanément dans le power-trio de Brother Junior, probablement la prochaine sensation rock du territoire ; car si le bonhomme qui se cache derrière ce patronyme est loin d'être un inconnu pour les aficionados de décibels (qui l'ont découvert dans feu The Host), les chercheurs de pépite (qui le retrouvent aux côtés du brillantissime Lekø), où les attentifs aux nouvelles sensations (qui l'ont évidemment repéré dans le trio January Sons en pleine ascension nationale), ce "solo project" déjà impressionnant sur ce "Beginner's Luck" sorti en 2019 s'était quelque peu effacé du paysage. Ce retour sur scène (en attendant la sortie annoncée d'un tout nouvel opus pour l'automne) de Brother Junior n'est donc encore, pour la plupart, qu'anonyme, voire une émergence : ce malentendu inutile est dissipé en une poignée de secondes, le temps qu'il faut pour Jullien Arniaud, accompagné ce soir d'une batteuse phénoménale et d'un bassiste redoutable , de faire déferler sa maîtrise sidérante d'un demi-siècle d'histoire du rock, de la folk électrique californienne 70's à la néo brit-pop des 20's en passant par l'alternatif américain des 90's, puis des 00's tout en survolant le tout de touches Lennon. Des riffs touffus, des accords graisseux, des ballades scintillantes, des love-song classieuses, des arpèges tremblants, des harmonies vocales à couper le souffle, des envolées paroxystiques, et l'émotion avouée à voix haute de jouer ce projet à Marseille devant les 2 muses qui l'ont inspiré, font de ce gig un moment d'intensité qui ne trompe personne, en témoignent les hourras, sifflets et applaudissements fournis que lui envoie le public local à chaque fin de titre, pourtant d'habitude assez avare de démonstrations empathiques.
Sonore, vous avez dit ? Pas de meilleur qualificatif pour dépeindre l'explosion de décibels produite ensuite par le duo Rival Karma, le franco-américain Martin Roux (sorte de Connor McGregor enfermé dans une combinaison blanche patchée digne d'un Sting époque early-Police), et l'italien Piergiorgio "PJ" Ciarla (mélange de gansgter latino-cubain en bermuda baggy et chemisette à flanelle et de séducteur siffleur de fille avec anneau à l'oreille) s'étant libérés de leurs précédents acolytes pour piloter désormais à deux, le premier au chant et à la guitare, le second derrière une rangée de fûts, ce qu'ils qualifient eux-mêmes de "ninja-rock" : autant dire un déferlement d'accords ravageurs assortis de katas improbables, de sauts improvisés et de harangues survoltées, propulsés par des rafales de patterns assénés sur un kit de batterie ressemblant soudainement à un jouet entre les mains d'un catcheur en surchauffe. Rival Karma, c'est un afflux d'énergie ininterrompu, une succession de killer-riffs, un tsunami de testostérone et surtout, une marée de bonne humeur. Ca laisse forcément groggy mais en même temps, tant de bienveillance, de sourires et de plaisir offert à bras ouverts, comment ne pas y succomber en souriant ?
Sonore enfin, quand le quintet de Film Noir emplit soudainement entièrement l'ancien terrain de jeu de Rival Karma pour installer, comme sous l'effet d'un charme, un décor instantané d'une intensité palpable. Le combo emporté par les De la Baume, Alexandre aux claviers entouré d'un guitariste longiligne habité, d'un bassiste portant haut et d'un batteur mécanique à souhait, ouvre alors les vannes d'un univers tout droit sorti d'une toile de Francis Danby à la fois saisissant, puissant et magistral où se succèdent en ordre serré, entre les lèvres de Joséphine de la Baume (moulée dans une combinaison pailletée glamourissime), la grande galerie des prêtresses 80's, de Nina Hagen à Anja Huwe puis d'Elizabeth Frazer à Siouxsie Sioux, avec de langoureux détours du côté d'Els Pynoo et de Lana Del Rey. Dans un voyage lyrique et théâtral au cur des limbes retro-pop, Film Noir déroule la pellicule d'une odyssée goth rock, cold wave, synth-pop et rock anglais : portée de main de maître par un quartet soudé comme un fragment de basalte, cette nouvelle icône post-pop rend alors sous nos yeux à la langue de Molière, maniée sans la moindre faute de goût, toute la texture, la vibration et l'élégance du romantisme anglais : on n'avait plus vu ça depuis Daniel Darc et Lescop.
Dehors, la nuit de mai s'est abattue sur la rue. Quelque part de l'autre côté de la méditerranée, la canicule guette déjà le prochain lever de soleil. J'ai les genoux en coton et mes oreilles bourdonnent, il faut dire que je l'ai dansée, cette guinguette. Sans retenue. Demain midi, je m'ouvrirai un petit blanc aigrelet bien vert ; je claquerai la langue en chaussant des lunettes de soleil épaisses, et je me dirai pour moi-même bon sang, c'était bien, en essayant d'oublier la chaleur qui s'abat sur la ville.
Photos live par Anne-Lise Lesueur, photo posée Chloé Mangin
Critique écrite le 21 mai 2022 par Kouros Kourosgali
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