Chronique de Concert
Brother Junior
Hier soir, c'est dans cette ambiance de canicule post-apocalyptique digne d'une fin juillet 2040 qu'il offre donc de découvrir Brother Junior en formule "folk" (comprenez en solo) dans les murs du remarquable disquaire marseillais Lollipop (dont les rayonnages sont garnis, une fois de plus, d'une impressionnante quantité de pépites sonores en tout genre) ; si on a l'impression de se liquéfier à l'intérieur du shop, sortir naïvement en quête d'air ramène vite à la funeste réalité d'un monde en fin de course : passée la porte, dans un soleil gris bleu d'une fin de journée écrasante, la chaleur est tout simplement palpable, ondulant par vagues sur le trottoir élargi du cours Lieutaud. Le premier accord de guitare résonne à l'intérieur peu avant 20h dans une drôle d'atmosphère studieuse, où la petite dizaine de spectateurs que nous sommes, abrutis de chaleur, fait cercle.
En fait de folk, c'est plutôt dans un set "à la Dylan" que nous serons embarqués : de folk il n'y a que cette guitare, car amplifiée à fort volume, et le chant n'ayant rien à lui envier, le répertoire mêlant d'ancien titres de l'excellent "Beginner's Luck" aux nouveaux constituant un E.P à paraître à l'automne reste résolument rock. Pas de volonté donc, ce soir, de défendre une éventuelle version acoustico-intime de Brother Junior (à laquelle on s'attendait vu le cadre, et la capacité du garçon à faire frissonner son auditoire en quelques secondes à peine, juste à cappella et une 6 cordes unplugged entre les mains), mais une évidente détermination à livrer intact l'état d'esprit farouche, franc et engagé de ce projet solo jusqu'ici délivré tous amplis dehors. Les amateurs d'acoustique et d'échos naturels en seront donc pour leurs frais au point qu'on se demande presque, titre après titre, si ce parti-pris n'aurait pas gagné à être carrément assumé à la Stratocaster, version electric Loner. Quoi qu'il en soit, s'il n'économise ni les accords, ni les refrains chantés à pleins poumons, la structure, l'ossature et la qualité des compositions sont quand même sérieusement dévoilées, mises en évidence par cette nudité électrique faisant la part belle aux instants de grâce qui font la marque de fabrique de Brother Junior, qui vise l'équilibre parfait entre early-stoner, folk électrique, rock anglais et indie-rock dirty .
On en est là de la réflexion quand Rahewl (pseudo sous lequel se range un autre projet solo : celui de Léo, membre éminent de Avenoir et Technopolice) est invité à rejoindre Brother Junior pour une reprise que l'on devine assez improvisée de Dylan (tiens tiens...) qu'ils partageront de façon foutraque mais joliment complice, la spontanéité des quelques fausses notes seyant plutôt pas mal, ils le rappellent eux-mêmes avec assez d'autodérision, au répertoire du "Rimbaud du rock".
Voir ces deux générations (et oui, déjà : un flyer-souvenir trouvé au hasard du comptoir rappelle très à propos que Jullien Arniaud se produisait déjà dans ce même record-shop 12 ans plus tôt avec The Host, le même trimestre que Kid Francescoli et Oh! Tiger Mountain) créer cette passerelle autour d'un god-father est un moment touchant, où peu de gens réunis partagent soudainement beaucoup de sentiments entremêlés : que ce soit la barbe brune drue de l'un ou le look peroxydé/lunettes "à la Lou Reed" de l'autre, ces deux bonshommes transpirent l'amour d'une même musique puisée à des sources bien éloignées de leur propre époque, et bizarrement, ce sera le moment le plus "folk" depuis le début de ce show-case.
D'autres obligations de vendredi soir m'obligeront à quitter ce décor prématurément avec un poil de frustration ; bah, pas de panique : Brother Junior sera sur la scène de l'American Fair le 12 juin prochain (qui accueillera aussi d'ailleurs Cherry Blossom, le early country-project de Lekø) en attendant cet E.P prévu à l'automne...si le ciel ne s'est pas définitivement embrasé d'ici là en nous réduisant en torches.
photos JA's phone
Critique écrite le 28 mai 2022 par Kouros
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