Accueil Chronique de concert Cate Le Bon, Lee Ranaldo et Yuri Landman, Caroline (Festival Les Indisciplinées 2022)
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Chronique de Concert

Cate Le Bon, Lee Ranaldo et Yuri Landman, Caroline (Festival Les Indisciplinées 2022)

Cate Le Bon, Lee Ranaldo et Yuri Landman, Caroline (Festival Les Indisciplinées 2022) en concert

Hydrophone, Lorient 9 novembre 2022

Critique écrite le par

Le festival des Indisciplinées à Lorient rentre dans sa deuxième semaine ce mercredi 3 novembre, et l'on regagne avec toujours autant de plaisir la chaleureuse salle de l'Hydrophone à Lorient pour une soirée intrigante : la magnifique Cate Le Bon partage l'affiche avec Lee Ranaldo - accompagné pour l'occasion de Yuri Landman - et les Londoniens de Caroline. On ne louera jamais assez l'audace et le bon goût des organisateurs et programmateurs de cet événement automnal, et l'on militerait bien volontiers pour réclamer une augmentation plus que significative de leurs salaires pour service rendu à la nation ! Ce soir, très clairement, on sortira des sentiers battus du mainstream et des évidences commerciales pour se confronter à la liberté artistique totale - qui ne va jamais sans risque- de jeunes et de moins jeunes créateurs et créatrices.


Caroline

En pénétrant dans la salle, première surprise de la soirée, les Anglais de Caroline ont disposé leur matériel non pas sur la scène mais devant celle-ci, le public étant invité à entourer le groupe, qui jouera en cercle. Les belles harmonies vocales de "BRJ", le titre accompagnant leur single de 2020 "Dark Blue" résonnent, émouvantes et délicates, et le recueillement du groupe produit son effet sur le public qui, lui-même très concentré, laisse les musiciens espacer les quelques notes qui composent ce morceau où les silences ont toute leur place.



Le post rock de cette formation de huit jeunes musiciens, dont beaucoup sont multi-instrumentistes, repose sur un minimalisme musical associé à des envolées free qui ne sont pas toujours très faciles à suivre mais qui ont le mérite d'être aventureuses. Parfois, quelques morceaux plus mélodiques où les voix font leur retour dans un style qui évoque de loin Fleet Foxes, permettent aux auditeurs de se retrouver dans des contrées plus familières, mais globalement le groupe s'ingénie à pratiquer la dissonance, le refus de la facilité, la concentration sur des effets sonores rudimentaires joués à l'économie et résonnant longtemps dans le silence de la salle.



On peut être perplexe face à cette démarche, comme on peut trouver cela courageux et émouvant, à la manière de nombreuses personnes dans le public ce soir.


Lee Ranaldo

A la suite des Londoniens, Lee Ranaldo et l'éclectique artiste néerlandais Yuri Landman (luthier expérimental, musicien, auteur de BD...) rentrent discrètement sur scène pour offrir une prestation encore plus radicale et expérimentale que leurs prédécesseurs. Ils ne joueront qu'une seule pièce musicale d'environ 45 minutes, au cours de laquelle ils testeront tous deux différentes manières de produire des sons divers, mais sans jamais être incohérents, ennuyeux ou arbitraires dans leurs propositions artistiques. La finalité s'inscrit dans la perspective de l'art moderne mais également de l'art contemporain : interroger les conditions de production d'un art, et cela revient, pour nos deux musiciens, à questionner non seulement la nature et les différentes modulations du son mais également les possibilités techniques de le produire.



Lee Ranaldo commence en manipulant une petite boîte en métal sur laquelle sont fixées deux tiges de fer, le tout branché à un ampli et à des pédales d'effets. L'ancien guitariste de Sonic Youth, muni de baguettes à tête en feutre, frappe sur ladite boîte ainsi que sur les tiges et fait parfois coulisser celles-ci quand il ne les traîne pas par terre, ce qui produit des vibrations sonores métalliques plutôt délicates. Pendant ce temps, son acolyte génère lui aussi des sons assez curieux avec des objets que l'on ne perçoit pas toujours puisqu'ils sont situés sur une grande table haute ; mais l'on distingue des bouteilles de Coca Cola de différentes tailles, une vieille poupée et autres ustensiles variés. Le flux sonore est continu, mais diversifié et enveloppant, et lorsque Ranaldo s'empare de sa guitare, non pas pour en jouer, mais pour la malmener en tout sens (elle raclera le sol, sera frappée par un archet et des baguettes ou agitée dans les airs), il acquiert une dimension plus puissante et agressive, jusqu'à un final, assez paroxystique. Tout cela fût sans concession, évidemment, mais qu'attendre d'autre d'un artiste qui a légitimement conquis le droit de tester librement des formules esthétiques nouvelles ?


Cate Le Bon

Cate Le Bon n'a jamais été en reste, elle-même, en terme d'expérimentation ; ce dont témoigne une discographie dont l'évolution a toujours été marquée par son désir de trouver sa voie en épousant des formes musicales variées. Mais elle semble avoir trouvé une certaine stabilité avec ses deux derniers albums, le magnifique "Reward" (2019) et le splendide "Pompeii" (2022), qui la voit s'adonner à une pop très stylisée, faisant un usage élégant de synthétiseurs vintage, tout en saupoudrant le tout d'une dose de funk glacé, typique des années 80. On change donc de perspective pour apprécier une musique, certes exigeante, mais néanmoins plus accessible. L'entrée sur scène de la chanteuse et de son groupe permet déjà d'apprécier la mise en scène  : Euan Hinshelwood, guitariste/saxophoniste/claviériste à gauche ; Alex Morrison, claviériste/guitariste au centre ; Dylan Hadley, la batteuse et Toko Yasuda, la bassiste, au second plan, sur une plate-forme.



Cate Le bon, elle, apparaît sur une estrade placée à droite et, dans sa robe noire d'inspiration Montana, avec ses cheveux décolorés blonds plaqués en arrière et son verre de vin blanc, est un croisement entre une icône punk sortie du Palace et une vierge peinte par Botticelli. Intemporelle et profondément actuelle. Le contraste est assez saisissant entre ses poses hiératiques, qui lui font ressembler à une sculpture de la renaissance, et les délicates nuances de sa voix qui rendent sa prestation aérienne. Parlons en, de cette voix : capable d'alterner de façon réjouissante les notes les plus hautes et les plus graves, elle ne cède jamais à la démonstration de sa technicité, pour imposer son élégance glacée. Il y a une certaine froideur, en effet, chez Cate Le Bon, mais qui a pour fonction de ciseler de la façon la plus précise qui soit la mélodie, afin que l'émotion puisse s'en dégager avec le maximum de justesse. C'est ce qui rend l'artiste précieuse : nulle racolage chez elle, mais un souci constant de s'adresser à la sensibilité de l'auditeur autant qu'à son intelligence.



La section rythmique, exclusivement féminine, est redoutable d'efficacité - avec mention spéciale pour la bassiste qui impose son groove moelleux sans brutalité mais avec fermeté - et ancre la musique au niveau des corps alors que les nappes synthétiques et les mélodies vocales imposent une attitude plus contemplative. La setlist se concentre sur les deux derniers albums de l'artiste, excepté "Rock Pool", extrait de son EP éponyme de 2017, ce qui donne une grande cohérence à la prestation. L'entrée en matière, avec "Miami", est d'une classe folle, les synthés vaporeux étant sans cesse ramenés sur terre par un saxophone économe mais ultra pertinent, ce qui donne à Cate Le Bon, juchée sur son piédestal, le statut d'une Sybille pop conduisant son auditoire tantôt vers des satisfactions sensibles, tantôt du côté de nourritures plus spirituelles. "French Boys" suit et séduit instantanément, avec ce va et vient permanent de la voix entre les aigus et les graves, entre la naïveté et l'ironie, et toujours cette basse d'une rondeur irrésistible. Le reste du show enchaîne avec fluidité les tubes ("Daylight Matters", "Moderation", "Home to you", imparables, avec ce subtil mélange de légèreté et de gravité), les moments de quiétude ("Sad Nudes", d'une beauté renversante, plus éthérée que sur album) et se termine avec "Remembering Me" et son ambiance de club select du début des eighties. On aurait peut-être souhaité un peu plus de connivence entre l'artiste et son public, mais celui-ci était sans doute trop clairsemé, ce soir de milieu de semaine, pour la rendre possible, ce qui n'a pas empêché la performance d'être authentiquement fascinante.

Photos : Titouan Massé titouanmassephoto.com, www.instagram.com/tmphotograph, www.facebook.com/titouanmassephoto, twitter.com/titouanbzh




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