Chronique de Concert
CharlElie
Annoncé comme une sorte de Tour de Chauffe, avant tournée prévue dès la rentrée prochaine dans la foulée de la sortie d'un attendu ImMortel réalisé par Benjamin Biolay - dont l'uvre personnelle me laisse généralement froid, en bordure d'irritation ou de bâillements, c'est selon ! - cette courte suite de dates hexagonales permet avant tout de renouer avec le plaisir de mirer le gars de très près, quasi au toucher, en l'intimité baignée de fumée du PAG.
Pour le reste, l'homme n'étant pas adepte des conventions ou trajectoires rectilignes - sa carrière et choix personnels (ou artistiques) en témoignent amplement ! - autant se laisser guider ici par le ressentir avant tout, par l'envie de mêler nos souvenirs émus à cet effeuillage voluptueux d'un soir émanant d'un catalogue riche et abouti : en marge d'une Chanson Française généralement consanguine et plutôt empreinte à courir de longue après sa queue de passé pour la mordre d'envie ou regrets...
Tandis que le quatuor qui l'accompagne se laisse aller de phalanges expertes sur les premières mesures, du plus que pertinent Appel à L'aide (Les Peurs) - monument de paranoïa humaine contemporaine boostée au/en cur par nos perfides instances dirigeantes et l'ensemble de leurs fidèles canins de Medias aux "ordres" - LA voix (si) particulière de nôtre Born Again NY se fait soudainement entendre depuis les toutes proches coulisses du lieu : "Pneumopathie ou tueur en série / Arme chimiques ou mondialisme / Peur des sectes et du terrorisme / Ou retour de l'antisémitisme...". Après un court sitting derrière les touches N&B de son vertical compagnon de jeux préféré, le voici qui se redresse quasi illico pour rejoindre le micro central et y happer une guitare en mode Boogie !
Malgré une annonce précisant les enjeux du soir - beaucoup de nouveaux morceaux, la tournée et l'album à venir, leur volonté de "bien s'amuser ensemble !" - c'est bel et bien le très Bluesy La Musique des Villes (< i>Casque Nu/1997) qui se présente à nos pavillons réjouis ; une version revisitée du rythme, mais point du sens, qui ne peut que faire écho à nos âmes en souffrance de citadins Massiliens : "Symphonie de bruits / Là, où je vis / À l'écoute, aux aguets / Cette musique me plaît... / Les villes sont / Remplies de sons / Confondus entre mille / C'est la musique des villes !". Après une courte suite de soli (guitares + claviers) aboutis, c'est le retour annoncé des bonimenteurs en chef. Le portrait aigre-doux d'un Menteur de Métier qui ne peut que réveiller en nous les remugles nauséabonds et fantômes (trop) bien vivants d'une classe politique qui en est par ailleurs totalement dénuée : parce que désormais prête à tout pour conserver son rang, ses privilèges et sa main mise sur nos têtes de lambdas en mode acceptance perpétuelle. Spéciale dédicace à tous les terriens Tricolores de type Woerth, Hortefeux, Cahuzac, Copé, Sarkozy, Taubira, et... cons(orts) ! (pour une liste exhaustive, faites donc appel à vos neurones de concours avant que d'aller vous plonger de devoir, sans déraper pour autant d'"extrêmes", dans la bouillante urne à illusions...).
Les morceaux s'enchaînant, sans temps morts, l'on se surprend alors à rêver que cela dure jusqu'à ce que le temps ne suspende son vol - "c'est une histoire qui s'achève en même temps que l'aube se lève..." - avant que de plonger la tête dans le guidon à sa suite, aspirés que nous sommes par le son compact ventilé depuis la scène et les parties de guitares "Hendrixiennes" très senties du sieur Karim Attoumane ! "Nous sommes tous des artistes !", lance-t-il alors fiévreusement à l'adresse de premiers rangs conquis et en perpétuel mouvement. Moment idéal pour nous gratifier d'un extrait de la bande originale de Tchao Pantin(1983) : Quand Les Nuits Sont Trop Longues, qui a pour effet de réveiller en nous les images poignantes et autres fantômes contestataires, du sieur Colucci Michel, dont la voix paillarde et la gouaille inimitable ferait encore du bien à nos âmes en peine du moment ; quoique, aujourd'hui, entre réseaux sociaux omnipotents et envahissants, émissions télé vides de sens et multiples cirages de pompes cathodiques, quel poids peut bien encore porter la voix d'un humoriste engagé du propos, au sein de ce bain débordant de cynisme acide et corrosif ? Mystère...
Au tout début des années 90, nôtre homme s'est subitement pris de passion pour les fascinantes et lointaines terres Australes (sa faune étrange, ses rites ancestraux et richesse picturale) ; de quoi trousser une trilogie plutôt aventureuse, chiadée et réussie - Melbourne Aussie (90), Victoria Spirit (91), Souvenirs Live w/ The Flying Wombats (93) - remise au goût du jour ce soir à l'aide de La Vague, durant laquelle la section rythmique se dispute ardemment les divers satisfecit du soir, l'homme "fûts" Denis Benarrosh, notamment (déjà aperçu chez Cabrel, Souchon ou Benjamin Biolay) : impeccable et précis, puissant et fin à la fois. Figure de proue du très fouillé Solo Boys(1988), Keep On Moving (Esmeralda 2nd), épouse ce soir les atours d'une rythmique très Nouvelle-Orléans que ne renierait aucunement ce cher Dr. John : autre pianiste défricheur au long cours et porteur de hauts de forme et couvre-chefs de qualité. Une version originale familière d'une large partie de l'assistance du soir, parce que se situant pour une belle part entre quarante et cinquante-cinq ans d'âge : une tranche d'humains fidèles (pour une grande majorité) chantonnant la quasi totalité des textes en même temps que leur auteur et se réjouissant de la part belle allouée céans au "Back Catalogue" du NancéenYorcur (New Nancéen, ça l'faisait décidément pas...).
C'est paradoxalement le moment qu'il choisit pour lancer le, un rien "décalé" : "Encore une nouvelle !", avant de se lancer de bondissant dans une autre de ses habituelles obsessions, le Reggae ! Pas pour rien que l'homme avait initialement été signé chez Mr Blackwell et Island, à l'époque du séminal Pochette Surprise ; ce qui se sera traduit par une longue série de morceaux "marqués" du sceau rythmique Jamaïcain : Jacky, Parallèles, Pochette Surprise, Le Chant de La Coline, Denie, Elle M'a Écrit Des Lettres, T'inquiète Pas Pour Moi, etc. Ce pourquoi celle-ci sonne illico très familière ? (dans le moule de tant d'autres ?). Tandis qu'il s'échine à nous convaincre, que la "dernière heure peut durer une éternité !", on sent que son fidèle bras droit à six cordes, calé de ferme sous ses dreadlocks (à ses côtés depuis près de dix années) se verrait bien jouer les Al Anderson le temps de quelques mesures déliées dédiées au fameux Jah de la fable Rastafari...
Une seconde incursion Down Under, poursuivie un peu plus loin à l'aide du jouissif et mélodieux Under Control (TC Brother), semble également faire bien des heureux, ici et là, tout autour. Pendant qu'il descend le très lointain et toujours fringuant Oublier, je tente de faire contre mauvaises pupilles, bon cur, face aux épaisses nappes de fumée qui s'avancent sur nous comme les funestes gaz sur les Poilus en "17" ! Je ne sais si cette hideuse cigarette électronique fumée en sus par un voisin de show (si vous voulez avoir du style ou vous donner un genre, optez plutôt pour les antiques fume-cigarettes !) est dangereuse, mais j'avoue que je cours immédiatement me réfugier au fond pour échapper à cette double horreur artificielle sans nom : yeux rougis au supplice et poings serrés d'irritation.
La fin du show sera, quant à elle, majoritairement dédiée à ce sommet de Rock issu des années 80, qu'est Poèmes Rock. Le Loup Dans La Bergerie, tout d'abord (une version très "dense", axée sur toms et peaux bondissants) son texte ciselé, réaliste et précis, porteur d'une vision acérée de cette réalité sociale et prolétaire, en voie de disparition pure et simple aujourd'hui, puis l'incontournable et "hexagonal" : Comme Un Avion Sans Elle, durant laquelle Karim Attoumane prend l'audacieux pari (gagnant) de ne surtout pas marcher sur les plates bandes éclairées du séminal Alice Botté, pour délivrer un solo inspiré et mélodieux se démarquant franchement du mythique gravé à l'époque sur disque. Bon choix ! "C'est grâce à elle que j'me retrouve encore ici trente années plus tard ! L'inspiration est une toute petite chose... je ne me suis pas rendu compte tout de suite de ce que ça allait devenir... pour nous, elles sont toutes semblables, sur le moment..." (dixit Charlélie au piano, qui l'introduit d'émotion).
Facile de voir alors celles et ceux qui se seront croisés, attirés ou dragués, sur ces arpèges familiers ; ceux qui auront "poursuivi", lié, fait l'amour ou enfantés "dessus"... dessous ! En effet, il y a ceux qui se regardent et se sourient, ceux qui s'embrassent (et vont sans doute remettre "ça" une fois rentrés chez-eux), ceux qui dansent, tendrement enlacés, ceux qui se souviennent d'un passé reluisant ou ceux qui pleurent de silence une aventure oubliée ou une liaison aujourd'hui défunte. Une part d'histoires et trajectoires humaines croisées qui empli soudainement l'espace d'une dose de phéromones, larmes salées et effluves chargées de nostalgie. Parfois, en écrivant un simple thème, on peut influer sans le savoir sur le devenir de ses frères de race jusqu'à en bouleverser les rites et jeux en quelques notes enchaînées de talent ? C'est un fait. Le talent est (aussi) fait de cela : de ces communions populaires parties de rien et toujours vivaces, quelques décennies plus loin.
Impression confirmée d'avec cette très belle version, du tout aussi important La Ballade du Mois D'Août 75 : concluant ainsi en beauté un passage apprécié qui ne peut que nous pousser à attendre d'envie sa prochaine "actu" (album + tournée) et regretter d'autant que l'homme ait décidé, depuis quelques années, d'aller vivre et exploiter toutes les facettes de son talent unique (musique, peinture, écriture, photo) en la lointaine et hautaine Amérique : loin des rivages balisés de nôtre bel hexagone par trop rétif et peu enclin à faire une place de choix aux artistes de talent "inclassables", aux "marginaux", aux "différents", aux "singuliers", aux "multi cartes", pour ouvrir ses bras dorés et mieux accepter les endives chantantes, interprètes lambda ou héritiers autoproclamés d'une longue tradition de sous-produits "lisses" de la forme, et du propos...
"On s'aperçoit qu'on s'aimait / Quand on se sépare / On s'aperçoit qu'on s'aime / Quand il est trop tard..." (Un Dernier Regard/Quoi Faire-1982).
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Critique écrite le 04 mai 2014 par Jacques 2 Chabannes
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