Chronique de Concert
Chilly Gonzales + Ana Carla Maza (Marseille Jazz des Cinq Continents)
D'habitude quand je viens en vélo je passe par le pharo et je prends tout le haut de la Corniche jusqu'au théâtre Silvain. Cette fois j'ai essayé de voir si ça allait plus vite en "coupant" par la rue d'Endoume. Erreur, ça ne raccourcit pas tant que ça et ça fatigue beaucoup plus. Échappé un peu tard du showcase de Louis l'Insolence (voir chronique par ici) j'arrive alors que le concert de Ana Carla Maza a déjà commencé. Je ne perds pas de temps à chercher une place sur les barrières du parking à velo désormais sous dimensionné (ce qui est plutôt bon signe) et m'accroche au même arbre que lorsque je suis venu voir Bertrand Belin (voir chronique par ici).
Je récupère mon accrédite, rencontre Pascal mon interlocuteur presse et file devant la scène où finalement Ana Carla Maza dont Sami nous avait dit le plus grand bien de son passage au Babel Med (voir chronique par ici) semble attaquer à peine. Je suis un peu surpris de la voir seule (ce qui était pourtant bien indiqué sur le programme).
Je suis aussi surpris de voir qu'il y a des chaises dans une bonne partie de la "fosse". Du coup je me cale sur le côté pour prendre quelques photos sans gêner avant de trouver une petite place dans les gradins en pierre (par un heureux hasard je me retrouve juste devant Henri), juste à côté du passage, où il est interdit de s'asseoir. Le service d'ordre est assez strict avec ça : interdit de rester debout en bas (sauf pour faire la queue au bar) et interdit de s'asseoir dans le passage. Du coup les gens sont obligés de monter là où le public est moins attentif et plus bavard.
Sur scène je regarde et écoute ce petit bout de femme (c'est l'impression qu'elle donne, seule sur l'immense scène) et son violoncelle. Elle joue, chante (en espagnol mais aussi en français) et parle pas mal entre les morceaux (en français). Très enthousiaste, très souriante, elle en fait un peu trop pour moi. Cette façon de toujours lever le bras en l'air et de faire un peu des grimaces lorsqu'elle s'excite sur son violoncelle ont plutôt tendance à m'empêcher de me laisser embarquer.
Ajoutez à cela que je ne suis pas spécialement porter sur la musique cubaine et vous comprendrez que j'aurais préféré laisser la parole à Sami pour qu'il nous dise ce qu'il avait pensé de sa performance solo. Si au début je lui ai trouvé un petit côté Lhasa cela n'a pas duré, l'accent étant souvent plus mis sur l'instrument que le chant, ce qui est un peu inévitable dans cette configuration.
Par moment elle joue de son violoncelle comme d'une guitare. J'imagine qu'elle jouera des morceaux de ces 2 albums Flor (le premier) et Bahia (le deuxième) - tous deux en écoute sur son bandcamp - dont La Habana, Bahia, Astor Piazolla (un tango en hommage à ce dernier) et A Tomar Café qui aura beaucoup de succès. Elle quittera la scène et reviendra plusieurs fois jusqu'à la dernière où elle finira par jouer debout avant de nous inviter à la rejoindre après le concert "Je vous retrouve pour la signature d'album".
Invitation de renouvellera Hugues le directeur du festival avant de nous inviter à aller acheter des cartes postales de Squaaly toujours venus au profit de SOS Méditerranée mais aussi à profiter de la pause pour faire le plein au bar car à la demande de l'artiste qui va suivre celui-ci sera fermé dès que le concert commencera. Gloups. Pas bon signe ça ... outre le fait que ce n'est pas sympa pour les organisateurs, on peut se demander s'il ne serait pas devenu un peu capricieux. Comme pour les consignes photos : pas pendant le solo du départ (qui peut durer une bonne vingtaine de minutes) mais que pendant les 2 morceaux suivants et le rappel ...
Pendant la pause je repère quelques connaissances, en intercepte quelques-unes et surtout écoute Henri me raconter ses 3 dernières rencontres avec l'ami Claude Norbert qui après tant d'années de bons et loyaux services au jazz a fini par quitter son enveloppe terrestre et rejoindre tous ses idoles (en tout cas je lui souhaite). Pour moi il restera la première personne que j'ai vu en rentrant au Roll'Studio et que je m'étais justement inquiété de ne pas voir la dernière fois que je suis venu pour le concert de Christophe Leloil & Rob Clearfield (lire par ici). J'avoue que cette discussion avec Henri me l'a fait revivre de la plus belle manière.
Après la nouvelle annonce de Hugues Kieffer et une double écoute du jingle signé Romain Morello, le maestro fait son entrée à 21h52. Il est vêtu (comme souvent) d'une robe de chambre ouverte qui laisse apparaitre un bermuda blanc, un marcel d'où dépasse, sa grosse chaine autour du cou et au pieds des claquettes vertes. Cheveux tirés en arrière, sourire charmeur. Il s'installe au piano. A côté de lui 4 musiciens : Stella Le Page au violoncelle, Joe Flory à la batterie (tous deux étaient déjà là au concert de 2019), Yannick Hiwat au violon et clavier et Taylor Savvy à la contrebasse.
Je n'étais pas venu en 2019 contrairement à Sami (lire sa chronique par ici) mais je l'avais vu au variétés en solo en 2011 (lire la chronique par ici) et je l'avais aussi vu en 2006 à Aix avec Sami (lire sa chronique par ici) à l'époque où il avait commencé à se filmer les mains (pianovision) et avant cela 2 fois au Poste à Galène en 2002 accompagné de celle qui allait devenir Feist (lire la chronique par ici) et en 2001 (lire sa chronique par ici)
Mes voisines de gradin viennent de revenir des stands avec des nems pour leur copine qui était restée là à garder les places. Un souffle dans les baffles, Chilly Gonzales s'arrête et attend. Le souffle aussi. Il peut reprendre. Perturbé par la présence des musiciens je me demande s'il n'y a pas un changement de programme. Je reste à ma place et fais bien puisqu'il jouera dans un silence quasi religieux tout un tas de morceaux, avec peut être de l'impro - je n'en sais rien je n'ai qu'un vieux disque de lui - plutôt calme, mais avec quelques passages plus speed. Le solo dure avec les 3 (ou 4) musiciens figés (à ce stade je n'avais pas encore aperçu le batteur). C'est tellement calme qu'on entend la soufflerie du bar.
Et puis sur ce qui s'avèrera être la fin de ce très beaux solo, la violoncelliste commencera à l'accompagner, puis le bassiste et violoniste. S'il sourit entre les morceaux, en revanche lorsqu'il joue il parait très concentré. Les musiciens aussi. On a l'impression qu'ils le regardent avec une certaine inquiétude sinon en tout cas attention. Difficile de trouver un angle sympa où je n'ai pas un spot dans la tronche ou je ne gêne personne. En tout cas ça joue de plus en plus décontracté.
La première vraie prise de parole de Chilly sera pour nous dire sa joie d'être là, qu'il garde un très bon souvenir de son passage en 2019, qu'il se doute que les gens qui le connaissent ont une "attente haute" et que les gens qui ne le connaissent pas si ce n'est de réputation doivent aussi avoir une attente haute et qu'au final lui aussi. Il nous parlera aussi du fait que le plus dur pendant le COVID en dehors de ne plus gagner d'argent aura été de ne plus pouvoir faire des concerts et se mettre la pression comme en venant jouer devant nous ce soir ...
Tout cela dans un français presque parfait. Il nous parlera aussi de son rapport à la France, comme celui à un père distant et sévère, et des premiers morceaux qu'il a écrit en français, depuis qu'il est installé en France ; il habite à Paris sur l'île Saint Louis : "oui c'est pas dégueux" ; toujours ce mélange de (fausse ?) prétention et provoc'. Il attaque avec ce morceau dans lequel il sample Claude Debussy qui a été accusé d'avoir tué sa femme ("c'est vrai, google it !")
Et c'est reparti (par rapport au début du concert plus classique) en hip hop : "Je vous french kiss, avec la langue de Molière, ça vous excite quand je vous baise à l'oreille" ... "je suis trop fier de parler la langue de Voltaire, de Flaubert, Baudelaire et Banglater" Malin de sa part de les mettre au même niveau !
Sur la suivante ça monte d'un cran avec ce Coucou, puis la chanson qu'il a écrite en se demandant ce que ça faisait d'avoir son propre piano à Paris. Sur celle-ci il est accompagné au chant par un Norma tout de rose vêtue. Il sera ensuite question de Quasimodo et de l'incendie de Notre Dame. Et puis Norma s'en va.
Sur la suivante il s'amusera après nous avoir parlé de l'âge d'or du jazz dans les années 50 où on pouvait entendre des morceaux de jazz à la radio sans texte et parfois même à 5 temps comme le Take 5 de David Brubeck et son solo de batterie qui d'après lui ne pourrait plus voir le jour (ou en totu cas passer à la radion où tout est à 4 temps). Et de s'amuser après en avoir jouer un bout normalement à le jouer à 4 temps (Take 4) et même à 3 temps (Take 3). Drôle et adroit. "People ar fucking stupid !"
Suivra un gros morceau bien pêchu et puissant qui me fera penser tout à la fois à l' Ensemble 4'33 de Alexei Aigui, à Jean Michel Jarre (si je ne l'avais pas noté sur le coup e me dirais que ma mémoire me joue des tours) et Elton John (ça j'ai moins de mal à le concevoir vu son adresse au piano). Plus le concert avance plus je regrette que Svet ne soit pas là pour voir ça ...
A un moment il part sur un morceau hip hop en anglais et nous rappelle le contrat passer en début de concert et invite ceux qui le veulent à danser. Il ne faudra que quelques minutes pour que la fausse se retrouve envahie. Je n'y suis pas allé tout de suite, histoire de respecter les consignes photos même si ça me démange fortement. Et puis je finis par répondre à son appel moi aussi. Et puis je suis bien là pour montrer ce qui a lieu et que tous les gens présents captent aussi.
A partir de là le concert basculera dans quelque que chose de plus joyeux, plus souriant (même chez les musiciens), plus fou, sans retenue. De la sueur, des cheveux en pétard, des cris de joie dans le public jusqu'à ce moment où les escaliers de fortune construits en flycases que j'avais complètement oublié prennent tout leur sens. Norma est revenue, Chilly descend dans le public pour taper dans les mains (à vrai dire je ne me souviens plus s'il parlait ou chantait), pour monter sur une des chaises de la fosse et s'adresser au public qui exulte.
Il ira jusqu'à se coucher sur la foule et à se faire porter en chantant sous l'il inquiet de la sécurité mais pour le plus grand bonheur de tout. Le public le redéposera en douceur sur les flycases en question et il pourra rejoindre son piano sain et sauf pour finir le morceau en cours ; s'agissait-il de Take me to broadway ou Wonderfoule ou d'une autre ? aucune idée. Et c'est devant un public en délire que les 6 artistes de la soirée salueront le public avant de s'éclipser.
Et si quelques-uns commenceront à se diriger vers la sortie, ceux qui étaient restés et demandaient à grand cris leur retour auront gain de cause. Ils reviendront toujours aussi vénères pour un dernier morceau pour lequel il nous fera chanter et un final grandiose digne d'un Jerry Lee Lewis. Quelle soirée !! Après ce tourbillon (qui contraste un peu avec les limites imposées au bar par exemple) je rentrerai chez moi enchanté, avec encore tous plein de trucs à faire (pour préparer notre départ en vacances le lendemain) avant d'aller me coucher, mais j'aurai toutes celles-ci pour me reposer !
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Critique écrite le 24 juillet 2023 par Pirlouiiiit
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