Chronique de Concert
Détroit + Forabandit
(François says :) À l'origine là uniquement pour ramener quelques paquets de pixel pour illustrer la prose de l'ami Philippe, en raison d'un retard de la SNCF je me colle aussi à la chronique concernant Forabandit. En effet c'est le trio turco-provençal qui a l'honneur, la chance ou la lourde tâche (selon comment on voit les choses) d'ouvrir pour le groupe de Bertrand Cantat et Pascal Humbert au Moulin ce soir.
Ce ne sont pas tout à fait des inconnus à Marseille ville dans laquelle Sam Karpienia et Bijan Chemirani sévissent régulièrement et depuis longtemps au sein de plusieurs formations dont les énormes (à mon sens) Dupain. Ce soir il s'agit du trio "célébrant la poésie libertaire d'Occitanie et d'Anatolie" : Sam Karpienia - Ulas Özdemir - Bijan Chemirani.
À 20h30 les 3 musiciens prennent place au centre de la scène (un peu trop au fond à mon goût mais ça permet ainsi de ne pas trop tout desinstaller et réinstaller tout entre les deux groupes). Sam fait rapidement les présentations et c'est parti pour une demi douzaine de morceau finalement assez sobrement enchaînés.
Départ en douceur, Ulas et Sam se relaient au chant ... Leurs voix et leurs textes dont ont apprécie le grain et la complémentarité sans pour autant comprendre un traitre mot de ce qu'ils racontent se répondent ... et pendant ce temps dans le public tout le monde écoute.
C'est ce qui m'a finalement le plus frappé (au moins sur les premiers rangs) : ce silence quasi religieux qui régnait dans la salle. Comme Si le public retenait son souffle avant des retrouvailles forcément particulières. Malgré la différence de style le public est donc à l'écoute et saute sur la moindre accélération de mandole pour se manifester. Chaque fin de morceau est d'ailleurs copieusement applaudie.
Le son est bon et bien dosé (pour preuve il faudra quelques morceaux pour que je réalise que je n'ai pas mis mes bouchons en entrant). Si les musiciens ont l'air d'être chacun dans leur monde / bulle, on surprend quand même quelques sourires regards en coin ou sourcils relevés. Il manquait peut être un quart d'heure pour qu'ils se lâchent un peu plus.
À 21h pétantes, après 30 minutes d'un set parfois peut être un poil trop discipliné (pour ceux qui ont déjà vu Sam dans un concert de Dupain par exemple), mais qui a rencontré semble t il l'adhésion d'un Moulin désormais bondé. Un Moulin qui attendra une demi heure de plus pour voir et entendre enfin Detroit, nom de groupe derrière lequel se cachent Pascal Humbert et surtout Betrand Cantat ...
(Philippe says :) Bertrand Cantat, idole romantique et rock d'une génération : la mienne ! A bercé mon adolescence et mes années étudiantes, représentait tout ce que j'aimais : voix écorchée et puissante, texte inspirés et souvent assez cryptiques pour résister à un grand nombre d'écoutes, engagement citoyen irréprochable, et d'abord un putain de groupe de rock qui poussait au cul ! Je crois avoir vu jusqu'à 4 fois Noir Désir la même année en 1997 (dont une aux Eurocks), quand ils sont notamment venus remonter le moral aux Vitrollais tombés dans les pattes du FN.
L'histoire s'est suspendue pour moi, comme pour tout le monde, après un magnifique concert à Istres en 2002 (peu avant que je commence à écrire sur Concertandco), avec tout juste un petit rappel sous forme de disque En Public, abouti et assez poignant, sorti en 2005. Et quelques magnifiques concerts de Zone Libre d'autre part, mais qui seraient ici plutôt hors sujet... Ensuite, a suivi ce qui a suivi en 2003, et qui n'a pas manqué de me poser assez longtemps, comme à beaucoup je crois, pas mal de questions existentielles.
Oui, bien après la retombée de l'écume médiatique (provoquée pour sa plus grande partie par des gens que je méprise) et surtout, le choc et la sidération devant un truc aussi bouleversant et difficile à croire, toutes proportions gardées, que le 11 septembre 2001... Même après le chagrin, et la pitié. Oui, même bien après tout ça ! Questions existentielles que j'ai finalement résolues ainsi : on peut aller voir un artiste qu'on aime, sans cautionner tout ce qu'il est, d'une part. Et surtout, en plusieurs milliers de concert j'ai sûrement du applaudir, parmi la gent artistique, pas mal d'autres hommes (et quelques femmes ?) coupables occasionnels de violences conjugales, simplement un peu plus "chanceux" que lui, d'autre part.
Fin du cas de conscience donc : mon sentiment dominant ce soir est d'abord une très grosse envie et même, vraiment, de la joie de le revoir enfin, Bertrand Cantat, encouragé par des chroniques assez enthousiastes des premières dates de Détroit. Un TGV espiègle m'a hélas privé de la première partie, un compagnon de route fidèle en la personne de Sam Karpienia et son nouveau Forabandit - ça sera pour la prochaine fois ! Quand le concert commence enfin, à 21 h 30, il est plus que temps, la salle est chauffée à blanc : le très grand et beau sourire chaleureux du chanteur donne la tonalité de la soirée : plaisir de retrouvailles, et bonne humeur. Un premier gargouillis raté dans le micro trahit sans doute un peu d'émotion, chez lui aussi.
En terme de bonne humeur, ce sera même plus que dans mon souvenir : s'il y a quelque chose de changé chez Bertrand Cantat c'est peut-être dans sa façon d'être, sans doute plus simple et directe qu'autrefois. Il n'y a plus trace de ce côté un peu ombrageux... Tout au long du concert, une fois passées les chansons les plus récentes et les plus habitées, il n'aura pas peur d'insister sur son plaisir à être là, d'enchaîner les vannes, pour certaines vraiment foireuses, comme une dédicace goguenarde au gardien blessé de l'OM ou un hommage à une chanson crétine de Quartiers Nords. L'impression fugace de retrouver un vieux pote "adorable et toujours aussi concon" est assez touchante...
Ce qui n'a pas changé en outre, ou à la limite, presque en mieux, c'est sa voix, toujours parfaitement posée, métallique et chaleureuse, poignante à l'occasion, et pour toutes ces raisons, durablement fascinante ! "Magnétique" tant pis si c'est cliché, on a pas mieux. Notamment sur les chants intimes que lui a inspiré, enfin on peut l'imaginer, la décennie passée : Ma Muse qui ouvre le concert et des futurs possibles, Horizons qui tente de percer les murs d'une prison par la force de la pensée. Et bien sûr la touchante Dors, Mon Ange, qui a bien sûr une résonance particulière...
Les 4 musiciens qui l'accompagnent sont plutôt bons, en tout cas dans ces arrangements dont ils sont co-auteurs, c'est-à-dire ceux qu'ils n'ont pas à réinvestir après d'autres (pour le reste, on y reviendra). Les lumières soignées et les vidéos sobres et jolies donnent au tout une aspect visuel vraiment esthétiques et même poétique. Pour ma part je suis vraiment touché par ces chansons-là, sur l'album de Detroit, et ému par la très humble Droit dans le Soleil aussi (jouée presque a capella, avec guitare sèche et cello électrique).
Bien plus que par des titres rock convenus et un peu daté (Le Creux de ta Main, Glimmer in your eye). N'oublions pas que le sieur Cantat est l'un des plus fiers représentants du "frènche axante" : l'avantage est qu'on comprend généralement bien son anglais ... l'inconvénient est qu'il n'est jamais aussi exotique qu'on le voudrait. Bien moins par exemple que la toxique Sa Majesté et ses images troublantes, dans la langue de Molière, mais certainement capable de perturber efficacement un anglophone. En tout cas à mon goût, l'un des pics du concert d'autant plus que j'étais franchement passé à côté sur disque...
De toutes façons pour ce son-là, celui dit du "rock français", rien ne remplace les titres "originaux" de Noir Désir, qui seront nombreux ce soir, comme Lazy (idéale pour jouer avec le public), Le Fleuve (avec un grand numéro d'harmonica équilibristre), Des visages des Figures (où Pascal Humbert, décidément le meilleur avec lui, vient efficacement le seconder sur les voix)... La toujours "agressive" (selon ses mots, jouissive selon moi) Lolita Nie en Bloc, très bien exécutée, et la toujours émouvante A ton Etoile : "Ça m'a manqué, tout ça", là, ça résonne un peu particulièrement aussi...
Et en fin de première partie, Le Vent nous portera qui, bonne nouvelle, me permet toujours encore d'aller au bar, comme au bon vieux temps. "Je n'ai pas peur de la route"... ce titre-là était déjà plaisant et anodin à la fois à sa sortie, il n'a pas changé ! Par contre, puisque l'on a entamé les vacheries : une impression désagréable commence à me venir sur Fin de Siècle : une impression d'incongruité due au fait, je le comprendrai ensuite, que ce vivant groupe-ci est assez peu qualifié pour jouer les chansons les plus puissantes de ce défunt groupe-là.
Le guitariste est surement un brave gars mais il est infoutu de jouer correctement le riff de Tostaky, le batteur est Canadien mais il ne tient tout simplement pas le rythme de Comme elle Vient. C'est rétrospectivement donc que je réalise à quel point le Noirdèz' tenait aussi la route grâce à Serge Teyssot-Gay (pourtant bien plus technique en solo) et par Denis Barthe (pourtant bien placide en apparence). Et le problème évidemment, quand les rythmiques et les riffs sont imprécis, c'est que le chant en pâtit forcément aussi.
Pas en puissance, mais en précision. Horreur suprême, j'ai pensé quelques instants à Commandante, la parodie qu'avaient fait les Fatals Picards ("alors je chante en espagnol !"). Bref, sur ces titres-là, qui ont peut-être bien un peu (mal) vieilli par eux-même aussi, ils ne sont pas dedans, et il faut vraiment toute l'énorme ambiance dans la salle pour parvenir à passer outre... Paradoxalement, les 3 titres les plus connus, ceux que Cantat a sans doute prévu dans sa set-list pour faire le plus plaisir aux fans, s'avèrent donc pour moi les moments les moins convaincants, allez, disons-le, je les trouve même un peu embarrassants !
Heureusement - je ne sais pas si c'était prévu, mais quelqu'un l'a demandé - voici en fin de set, un titre qui va me remettre en train et en émotion : Des Armes, dont les deux premières minutes sont toujours aussi bouleversantes (et parfaitement chantées), même si la suite est inutilement étirée. Ces deux minutes-là valaient bien trois chansons inutiles ! Et, comme déjà dit, après des présentations de rigueur, un Comme Elle Vient à l'avenant conclut efficacement, avant un très long et joli salut de tout le groupe, une prestation de deux bonnes heures !
L'impression générale est d'avoir retrouvé un grand artiste, parfaitement bien dans ses pompes, en paix avec lui-même au moins pendant le temps de la scène, accompagné d'un groupe qui lui permet d'explorer un nouveau répertoire : quelques magnifiques chansons, et quelques moins intéressantes. Et de revisiter l'ancien, avec pareillement du très bon, et quelques moments vraiment moyens. Mais le tout étant servi généreusement, splendidement mis en image et en son, ce concert de Detroit restera globalement un très bon souvenir, qu'à quelques petits détails près, on peut recommander sans réserves ! Ça tombe bien, une longue et grande tournée commence, qui repassera même par ici... Bonne route messieurs.
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Bonus video :
Critique écrite le 20 mai 2014 par Philippe
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> Réponse le 28 mai 2014, par l'homme pressé
Une chronique à la bonne distance : ni pathos et morale (hors sujet), ni déni de la réalité (un peu trop facile), à l'équilibre entre l'idolâtrie et la critique. J'irai voir aussi, merci ! Réagir
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