Chronique de Concert
Détroit
Avant toute chose, pour ceux qui liront ce billet, je tiens à préciser que tout ce qui va suivre est du domaine du PERSONNEL. Je me contrefous de dire que les éclairages étaient magnifiques, la salle comble, qu'il n'y a pas eu de pains, que les gens applaudissaient. Aussi ne venez pas me reprocher mon manque d'objectivité, je n'en ai jamais rien eu à foutre, d'autres le feront d'ailleurs bien mieux que moi.
Ce point étant éclairci, allons-y pour mon compte-rendu.
Parce que cela fait plus de dix ans que je traine mes pieds à des tonnes de concerts dans des salles associatives, j'ai totalement perdu l'habitude d'arriver à l'heure indiquée. Le temps de ravitailler le falafel syndical avec ma gonzesse, et nous voici parachutés par le tram aux Docks des Suds vers 21h, l'organisateur ayant mentionné l'ouverture de Sam Ka (alias Sam Karpiena, très connu des noctambules amateurs de concerts marseillais) à 20h, il était absolument certain que je ne le verrais pas dans ce lieu immense. Pas grave, les occasions de le recroiser dans des lieux plus intimistes seront légions j'en suis certain.
Le public a pris de l'âge. Une moyenne estimée à la quarantaine haute, finalement ceux qui étaient ado à l'âge d'or de qui-vous-savez. Ca sera d'ailleurs je pense le problème dans l'analyse qui suit... Pour ma part, je suis venu voir Détroit, le nouveau groupe de Bertrand Cantat, donc. Je trouve l'album superbe, une sorte de Rock français de superbe facture, dans une veine très Des visages, des figures, moins sombre, plus douce. Et c'est justement avec Ma muse, puis Horizon (je crois, de mémoire) qu'attaque le combo.
Je ne peux vous dire le sentiment qui est mien, ce vendredi soir, d'enfin voir Bertrand Cantat devant moi. L'impression de retrouver un ami si longtemps disparu, quelqu'un qui m'a tant touché dans mon adolescence (et après), celui à qui j'accorde le plus d'admiration, avec un Kurt Cobain, héros aux ailes brisées.
Et là, bim, Ernestine. Ah ben merde, ça me touche direct, et ma moitié verse sa larme, encore plus émue que moi qu'elle était. " C'est bizarre, tu trouves pas ? " me glisse-t-elle...
Et c'est parti pour un medley Noir Désir / Détroit. Et c'est là que j'ai sombré dans une profonde tristesse, et mélancolie. Je n'ai RIEN contre ses musiciens, mais hier soir, j'ai vu Détroit jouer un tribute Noir Désir. De bons gars, très bons musiciens (Horizons est magnifique je le répète), reprendre Lazy en version bluesy, encourager un public avide de ça à taper dans ses mains (sérieux bordel...), faire une reprise molle au possible des Stooges...
Ca a acté quelque chose de dur pour moi : Noir Désir est mort et enterré, depuis longtemps, et j'ai encaissé cette info pleins fers, hier soir. Il y a un aspect purement pathétique, à voir ainsi Cantat, souriant, entouré d'un groupe de Rock, reprendre ses " plus grand succès "... Mais quitte à les reprendre, où est passée la colère, bordel ? Noir Désir c'était la révolte, c'était joué dans l'urgence, une facette Punk sublimée par un Serge Teyssot-Gay qui continue de son côté à pulvériser des murs avec son projet de taré Zone Libre. C'était la marche à Vitrolles, c'était le discours face à ce misérable Messier, la menace de boycott pour qu'en Russie les billets soient accessibles aux bas salaires lors de leurs concerts là-bas.
Hier soir, rien de tout ça, un tribute de gars souriants, carrés.
Je ne leur en veux pas plus que ça, le public était en extase (enfin... autant que faire se peut avec des quadra pas franchement actifs, sauf sur une reprise furieuse du riff si tranchant de Tostaky, alors qu'on croyait le morceau fini -tiens ! Curieux ! C'était le seul moment où ils ont été totalement crédibles-).
D'ailleurs la set-list était calibrée pour plaire au plus grand nombre, et ça aussi, ça m'a énervé. Mis à part Tostaky et Le vent l'emportera (la moins intéressante de tout l'album Des Visages, Des Figures, et de très loin, mais là encore, le " tube " déversé des millions de fois sur les bandes FM...), ça a été du 666.667 Club, l'album le plus chiant de leur discographie. Un jour en France, Comme elle vient... Voilà, le public ce qu'il voulait, de la variété, du " best-of ".
Donc voilà, je suis sorti profondément attristé par ce que j'ai vu. Puis, dans le chemin du retour, j'ai un peu gambergé sur ce que je venais de voir, et surtout QUI je venais de voir.
Je venais de voir un gars avec une vie partiellement détruite, qui a été un modèle pour plusieurs générations, tomber à la façon d'un Icare, et revenir en douceur, sans faire de bruit. Ce gars-là avait besoin de remonter sur les planches, avec des potes, parce que c'est la seule chose qu'il sait probablement faire, et qu'il la fait si bien.
Alors je me suis dit qu'après tout, si ça pouvait l'aider, et lui permettre de reprendre pied, peu importe que moi, vieux con avant l'âge, j'ai été aigri par ce que je venais de voir. L'important, c'est l'amour qu'il a reçu de tous ces gens présents.
Parce qu'au fond, qu'est-ce que c'est que d'être déçu d'un concert, quand en face pour l'autre type, tenir sa guitare et chanter ses chansons, c'est le meilleur moyen de revenir à la vie ?
Je n'irai plus voir Détroit. J'écouterai leurs nouveaux albums, je réécouterai à l'infini les albums si précieux de Noir Désir.
J'ai compris qu'il fallait foutre la paix à Cantat, le laisser s'épanouir de la sorte, et respecter cela.
Et tant pis pour moi, comme Nirvana, je n'aurai jamais vu Noir Désir.
Lire une autre chronique du concert par ici
Critique écrite le 22 novembre 2014 par Vand
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> Réponse le 23 novembre 2014, par Philippe
Pas la peine de vous énerver cher Vand, votre chronique est très bien, très personnelle (ça manque si souvent pour donner chair aux chroniques, le personnel) donc il n'y a pas de raison qu'on se fache à la lire ! Effectivement, je l'ai constaté en mai 2014 au Moulin (voir chro par ailleurs) Bertrand Cantat s'honorerait à tourner la page Noir Désir en live puisque l'alambic de cette alchimie particulière, tellement connectée à une époque révolue, est définitivement cassé. En contre-exemple, puisque vous parlez des Stooges ? J'étais ressorti déçu de mon premier concert de "Iggy and the Stooges" (vers 2005) parce que l'Iguane n'avait pas joué The Passenger et Nightclubbing, mes préférées de lui, voire la languide "In the Death Car" (Arizona Dream's). Mais putain, il était juste honnête... La suite | Réagir
> Réponse le 23 novembre 2014, par Flag
Belle prose... J'ai cru relire dans mes propres pensées lors du concert d'il y a un six mois environ, au Moulin. J'avais hésité à coucher par écrit ce que j'avais ressenti ce soir là, mais Philippe, et toi aujourd'hui, l'avez très bien fait... A une exception près par rapport à ce que tu écris : j'irai revoir Détroit quand ils feront du Détroit. Réagir
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