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Chronique de concert Dion Lunadon, Public Display Of Attention, Long Hours
Vendredi 15 novembre 2024 : 6918 concerts, 27223 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.
Chronique de Concert
Dion Lunadon, Public Display Of Attention, Long Hours
Le plus sauvage d'entre tous, tel semble être Dion Lunadon. Guitariste et chanteur de The D4, ex bassiste de A Place to Bury Strangers, le musicien originaire de Nouvelle Zélande et actuellement basé à Brooklyn est l'auteur de deux albums solos incendiaires - dont le dernier, "Beyond Everything", est sorti à l'été 2022 - réactivant les traditions Garage-Punk et High Energy. Une telle filiation l'oblige à aborder le live comme une expérience de l'extrême, ce dont on voulait avoir la confirmation. Ce fut chose faite à Douarnenez, le 7 mai, à l'occasion d'une excellente soirée organisée par l'association Madscene qui, en plus de son courage et de sa détermination, est connue pour son très bon goût (ils avaient déjà réussi à faire venir dans le Finistère, il y a quelques années, The Richmond Sluts, quand même !).
On arrive en début de soirée à la MJC de la ville, transformée pour l'occasion en salle de concert, et tout concourt d'emblée pour faire de l'événement une fête mémorable : le lieu idéal en bordure de port, avec l'île Tristan en vis-à-vis, le temps ensoleillé, la foule au rendez-vous et particulièrement bien disposée. En plus des concerts gratuits de la fin d'après-midi qui réunissaient des groupes locaux, on pouvait assister, avant la démonstration de force de Dion Lunadon, aux prestations spectaculaires de Long Hours et Public Display of Affection.
Long Hours est le projet de Julian Medor, un personnage singulier qui, lorsqu'il monte seul sur scène, est littéralement possédé : il hurle, prend des poses à la Elvis, se roule par terre, se mélange au public -debout ou en rampant-, fascinant immédiatement et convainquant à terme. La voix rappelle par ses accents graves celle de Lux Interior et, posée sur une musique pré-enregistrée qui n'est pas sans faire penser à Suicide, stupéfie souvent, parvient à faire danser par intermittence et capte l'attention et la réflexion tout le temps. L'expérience est véritablement inédite : nous n'avons pas affaire à une bête de foire, exhibant une folie bon marché, mais à un performer totalement imprévisible et absolument sincère, ne concevant la scène que comme le lieu d'une prise de risque susceptible de faire surgir sa propre vérité. Julian Medor termine son set en sang - après avoir frotté son front violemment contre les cordes de sa guitare -, en sueur, et la chemise blanche enduite de la crasse du sol sur lequel, à plusieurs reprises, il s'est jeté et roulé. Comme s'il avait fait sien la fameuse formule d'André Breton, " La beauté sera convulsive ou ne sera pas ".
Il fallait ensuite, pour Public Display of Affection (P.D.O.A), relever le défi : le public était saisi, il devait être bouleversé. Un objectif parfaitement atteint par cette jeune formation Art-Punk, rassemblant berlinois et gallois autour de la très charismatique chanteuse Madeleine Rose. Avec ses morceaux assez osés dans leurs structures, combinant influences Post Punk, Jazz et Pop, P.D.O.A. surprend régulièrement en faisant varier les climats. Mais, que ce soit dans les moments les plus apaisés ou dans ceux où l'énergie ébouriffante du groupe emporte le public dans un pogo d'autant plus enthousiasmant qu'il est en grande partie initiée par des femmes de tous âges - ce qui est suffisamment rare pour être souligné et, surtout, apprécié -, c'est Madeleine Rose qui accapare l'attention. Sa manière inhabituelle de danser (elle peut se jeter à plusieurs reprises violemment au sol pour, l'instant d'après, réaliser des sortes d'entrechats assez étranges), sa théâtralité bien dosée, son rapport subtil au public -avec lequel elle peut aller au contact en ne perdant jamais la maîtrise des événements-, sa voix convaincante, éblouissent. On est assez sidéré par cette intelligence ludique et cette habileté dans la gestion de la scène, et le public, très hétérogène (hommes, femmes, vieux, jeunes, keupons, quadras bobos, amateurs de rock indé...) semble être totalement conquis, et en redemande.
La soirée, on ne s'attendait honnêtement pas à cela, est progressivement montée en qualité, et l'on s'inquiétait presque de la capacité de Dion Lunadon à rallier l'audience à sa cause. Avec un bassiste aux faux airs de Joey Ramone, un second guitariste longiligne stylé (que l'on a croisé photographiant une petite chapelle sur les hauteurs de Douarnenez avant le concert) et un batteur basique mais efficace, le Néo-Zélandais ne s'en laisse pourtant pas compter et entame sa performance pied au plancher avec des brûlots Garage Punk d'une sauvagerie hors-norme. Ce qui nous avait véritablement terrassé dès son premier album solo, ce goût malsain pour tout ce qui franchit la limite (du bon goût, de la décence, du raisonnable), on le retrouve à l'état brut en Live, dans un nuage de fumée et sous un éclairage épileptique maintenant le groupe dans un clair-obscur violent. La réaction dans la salle est quasi-immédiate, passé le moment de stupeur face aux déflagrations sonores insensées : pogos, crowd surfing, invasions de la scène, génèrent ce chaos dans lequel toutes et tous, au fond, cherchaient à s'étourdir. On constate, certes, le recul progressif des spectatrices vers les côtés ou le fond de la salle, mais sans que l'énergie de la foule largement masculine devant la scène puisse être considérée comme une manifestation de violente hostilité. C'est que la musique jouée ce soir est essentiellement cathartique : ce désir ardent de bousculer les cadres, cette frénésie qui pousse vers les marges, n'ont d'autres but que de se dépouiller de ce qui nous entrave et nous met sous tension au quotidien. Sur "Eliminator", d'ailleurs, Dion Lunadon sort une chaîne qu'il fera glisser sur sa guitare : la scène peut paraître grotesque, mais on peut la voir aussi comme un appel à la subversion appelant chacun à écouter le bruit produit par les contraintes qui l'aliènent afin de d'en prendre conscience pour, finalement, s'en libérer. Et quand commence le paroxystique "Com / Broke", probablement le meilleur morceau de Lunadon, on est effectivement prêt à tout lâcher, à tout évacuer, afin de saisir, au cur de la tourmente, cette part essentielle de soi trop vite étouffée par les routines du quotidien, et qui a à voir avec la rage de vivre. Enfin, après un rappel lors duquel l'infernal "Move" terrasse les derniers indécis ou repousse définitivement les indifférents à ce déluge électrique, on peut quitter la salle, exsangue, et s'engouffrer dans une nuit qui n'a jamais paru aussi amicale.
Critique écrite le 10 mai 2023 par Stephane Vidroc
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