Chronique de Concert
Duo Heiting Soucasse: Bizet était une femme.
Il en va des concerts qu'on a vus comme des livres qu'on a lus : il y a les bouquins, ceux qu'on achète et que l'on parcourt, que l'on donne, que l'on perd, et que l'on oublie. Il y a ceux que l'on apprécie, ceux que l'on aime, que l'on recommande, ceux que l'on a adorés. Et il y a la catégorie supérieure, ceux vers lesquels on revient inexorablement, ceux que l'on relit, qui nous semblent gravés dans le marbre tant on les sacralise, ceux que l'on inscrit dans un panthéon personnel et secret. J'avais déjà vu ce spectacle au théâtre Toursky, je l'avais chroniqué ici. Et je suis donc allé le revoir. Quand on aime...
Rappelons le principe : La baronne Katia Von Bretzel et Ingmar Brutesson, improbable duo qui crée ses prédécesseurs chez Hergé et Tex Avery à la Scala de Milan, égrenent les grands airs d'opéra qui basculent irrépressiblement vers le jazz, le scat, le funk ou le gospel. La baronne légitime ces dérapages par de non moins improbables délires à propos de liens de parenté entre Bizet et Ellington, d'une tendance cocaïnomane chez Verdi, ou d'origines douteuses chez Gerschwin (Jean Guerchouin).
Le message est clair : pour qui connaît et comprend la musique, Verdi, Ellington, Les Négresses Vertes et Bizet s'ils utilisent des registres différents, parlent le même langage, inspirent les mêmes émotions. L'effet est facile à ressentir pour le spectateur, certainement pas à produire pour les artistes, et il fonctionne à merveille. Un travail similaire a déjà été vu récemment avec le beaucoup plus sérieux Raphaël Imbert et son programme From Bach To Coltrane, renouvelé avec Mozart et Duke Ellington, mais aussi avec le très enthousiaste Francesco Bearzatti et son programme Monk'nRoll.
Mais contrairement à ces deux derniers, le Duo Heiting Soucasse ne superpose point, il juxtapose. Leur spectacle me fait beaucoup plus d'effet, et ce n'est pas peu dire : les deux autres étaient géniaux.
Alors quelle est la recette pour dégager une telle force, une telle émotion ? On peut encore une fois énumérer tous les ingrédients : les TOC effarants de la baronne Katia Von Bretzel, son strabisme convergent (à propos duquel ma voisine m'a confié à l'issue du spectacle qu'elle ne savait pas durant un long moment, au début, si c'était " vrai " ou pas, et qu'étant au premier rang, elle n'avait pas osé rire), la qualité exceptionnelle de sa voix de soprano, son hystérie, ses mimiques charmeuses, surannées et -désolé Cathy- effrayantes, le jeu de piano tout aussi excellent d'Ingmar Brutesson, sa folie, montante ou soudaine qu'il ne semble pas pouvoir contenir, la variété des registres que tous deux maîtrisent.
Leur sens du rythme dans le montage du spectacle, qui alterne des sprints incroyables et de longues pauses intenses... Il faut aussi ajouter la qualité de l'espace du théâtre de Lenche : le gradin abrupt permet une proximité pour tous avec les artistes qui sublime un tel spectacle.
La liste est encore longue mais l'énumérer demeure vain : elle n'élucide en rien l'alchimie, ni n'explique le résultat.
L'atout principal du duo est certainement la voix superbe de Cathy Heiting, et l'utilisation intelligente qu'elle en fait : par la mise en scène d'un tel spectacle, dans un tel lieu (et à un tel prix qui fait rire) elle rend l'art lyrique accessible à tous, sans le desservir. Par ailleurs, il semble évident que Jonathan Soucasse et Cathy Heiting tiennent avec la baronne Katia Von Bretzel et Ingmar Brutesson un duo de personnages comiques au potentiel considérable, et aux nombreuses possibilités d'évolution.
On a vu cela en solo avec Chaplin et son Charlot, en trio avec les Marx Brothers, en quatuor avec Gerard Rinaldi, Jean-Guy Fechner et... non, là je plaisante. Mais il est certain qu'un tel ressort tragi-comique est rare, il a donné de grands films et certains réalisateurs ou scénaristes paieraient cher pour disposer de droits d'exploitation sur cette création. Et nous, public, on aimerait les voir et les revoir encore, les accompagner, partager leur évolution.
J'apprécie particulièrement la longueur de la quasi totalité des plages musicales : le duo n'est pas tombé dans l'écueil du zapping et nous laisse ainsi le temps d'une immersion profonde dans chaque morceau.
Si la plupart de ceux-ci " bascule " du lyrique au jazz, à la soul, au gospel, au funk, au rock ou même... au jingle de pub, le dérapage s'effectue après un certain temps; c'est aussi la marque d'un profond respect pour la musique interprétée. C'est encore ce qui permet de constater une chose rare lorsqu'on se tourne du côté du public : des éclats de rire sans retenue, à gorge déployée, puis dans l'instant qui suit, une concentration extrême, un temps suspendu, un silence de cathédrale.
Le Duo Heiting Soucasse se jouera ainsi de nous, pour notre plus grand plaisir, du début à la fin du spectacle, sans un seul temps mort. Malgré les oripeaux, les artifices et quolibets -Quodlibet- de toute sorte qu'ils amassent autour de leur musique, Jonathan Soucasse et Cathy Heiting ne parviennent pas à dissimuler ni à amoindrir l'immense talent dont ils disposent.
Après un second rappel, Cathy Heiting nous confesse timidement que le Duo Heiting Soucasse fête son septième anniversaire et nous entraîne dans la chanson rituelle adéquate. Après qu'ils ont quitté la scène, les applaudissements ne tarissent point.
Jonathan Soucasse revient au devant du public en slip et précise : " on en est à la douche ". Rigolade générale et nouvelle salve d'applaudissements. Alors que tout le monde se dirige vers la sortie, un petit vieux s'attarde sur son fauteuil et fait patienter son épouse : " Il est revenu en slip, attends un peu, peut-être qu'elle... "
D'autres extraits vidéos de ce concert sur MARDALIFICATION.
Critique écrite le 26 septembre 2012 par Mardal
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