Chronique de Concert
Elliott Murphy/Robben Ford
Who Am I... Blues ?"
Première interrogation, concernant le (bon) déroulement de cette chaude soirée de juin - faisant suite à une encore plus chaude journée de... juin ! - la qualité de l'accueil réservé, de la part du public de l'Espace Auzon, à Elliott Murphy et son NAS de groupe, sachant que le festival est plutôt "pointu", côté Blues (c'est sa 10e édition) et que le natif de Brooklyn/USA est plutôt un songwriter à l'aise en mode "Rock & Folk" (la musique, bien sûr, pas le magazine survivant de même appellation).
En dépit de son amour immodéré pour le Crossroads et le genre - "palpable" au sein de son récent très beau livre Marty May (Joëlle Losfeld Ed./2013 : à lire et relire sans retenue ni modération) - et du très abouti, mais UNIQUE en son Elliott genre, Murphy Gets Muddy (2005), sa musique reste globalement très éloignée des canons du genre, d'où légitime interrogation concernant son passage mené néanmoins en "première partie" (mais réelle double affiche) du sieur Robben Ford.
Reste, que, paraissant faire fi de réelles conditions "adverses" - des places assises uniquement (à proscrire à jamais !), une grande majorité de spectateurs venus pour mirer les doigts agiles du Californien appelé à conclure, et les effets encore inconnus d'une gaillarde dégustation de vins locaux menée au sein même de la salle AVANT concert... - le gars aura rondement mené sa barque jusqu'à finalement l'emporter sans coup férir, grâce à un rare savoir faire, bâti puis patiné plus de quarante années durant aux quatre coins de notre planète pourtant ronde, et une réelle envie chevillée au corps.
Si, il y a de cela deux étés en arrière, il avait littéralement cloué les arènes de Cabannes avec une suite d'interprétations énergiques et denses (dès le début du show et jusqu'au bout de la nuit...) son approche fût tout autre, cette fois, en cette collante, mais climatisée (dedans) soirée menée "in Carpentras".
Dans la foulée de la sortie de sa belle relecture d'Aquashow (nommée Aquashow Deconstructed/Mars 2015) il choisi tout d'abord de déstructurer, en trio et gaillardement, son intemporel Last of The Rock Stars (hymne issu de ce séminal album paru alors en la lointaine 1973) puis de rester un temps en mode "laid back" (Benedict's Blues : qui n'a de Blues, que le nom !) avant que de hausser le ton à l'aide d'un second extrait du bel EP Intime (2013) Sweet Honky Tonk, et d'une saillie en français dont il a le secret : "On dit Carpentra ou Carpentra...s ? Que s'est-il passé avec le "S" ? Peut-être qu'il est resté à Avignon...".
Assis sur les basses solides de grands classiques (Take The Devil Out Of Me/Sonny) le premier moment "Blues" de la soirée, Take Your Love Away, emportera illico les réticents et "spectateurs" du show, immédiatement séduits par le classique de son Riff et les solo agressifs du "Big O" Olivier Durand, accompagné ce soir par le fils prodigue Gaspard (concentré et peu efficace au début, guitares en pognes, parce que sagement penché sur des partitions et suite d'accords posées à ses pieds) avec lequel celui-ci s'affrontera sans retenue tout au long du set. Un rejeton qui se fera remarquer sur Something More, nanti d'un solo "bas du manche + cordes tirées" très classique, mais jouissif, avant que le temps ne suspende une fois de plus son vol lors de l'arrivée de l'incontournable et épastrouillant On Elvis Presley's Birthday, une nouvelle fois dédié à son père trop tôt disparu.
Difficile d'expliquer en effet "comment et pourquoi" celle-ci fonctionne toujours aussi bien ; pourquoi est-ce que la magie opère une fois de plus (à "chaque fois" serait plus juste, d'ailleurs) que l'on émarge au rayon de fan hardcore ou ancien, ou bien que l'on soit vierge de tout précédent, comme tant d'âmes innocentes présentes en ces lieux ce soir ? Peut-être bien, parce que son auteur possède toujours en lui (vrillée au cur et corps) ce sentiment d'amour filial qui le pousse encore et toujours à vouloir la défendre devant un public, quel qu'il soit, et que son plaisir à LUI reste palpable et contagieux.
À contrario, lorsque l'on "cachetonne" ou perd tout bonnement ce lien ténu, intime et si particulier, liant (de créativité et émotions) un auteur-interprète à l'une de ses chansons "phare", mieux vaut carrément arrêter de la jouer et/ou la rayer des Setlists à venir pour éviter surtout que cela ne se voit que trop ; "ça" en devient souvent gênant et ils auront été et/ou restent trop nombreux à ne pas s'en rendre compte et continuer malgré tout, aidés en leur sombre entreprise par des foules "complices et faciles" qui viennent elles aussi pour tirer avant tout partie de leur soirée Live et revivre force souvenirs de jeunesse et bons moments passés...
Un constat qui pourrait s'appliquer ici à l'ensemble des grandes chansons jouées par Elliott et le groupe, devant un public de plus en plus enthousiaste, d'autant plus, lorsque l'autorisation de se lever leur fût accordée, ce qui poussera les musiciens à donner encore plus de leur art en retour !
Aussi, You Never Know What You're In For et son solo d'harmonica sur-maîtrisé sera un réel triomphe ; le Général Lee sera lui doté d'un double solo de guitare nerveux ; Even Steven verra Alan Fatras marteler ses peaux avec ferveur, puis tout casser sur la seconde version de Last of The Rock Stars (électrique, cette fois) ; avant que l'ensemble ne débranche tout pour s'amuser d'Unplugged avec (enfin ?) UN morceau Blues typique et traditionnel, Worried Man Blues, revisité en un épique It Takes A Worried Man, durant lequel chacun ira de sa facétie perso ou d'une belle louche d'autodérision.
À ce stupide (mais jouissif) jeu, difficile de départager qui que ce fût, nope, entre les jeux de mains, doigts et manches de guitares croisés de Elliott & Olivier, les jongleries d'Alan, armé d'un simple tambourin - qui ferait bien de réviser un peu ses lancers en visionnant les acrobaties d'un certain Phil Collins, expert du genre avec Genesis, à l'époque où ceux-ci étaient "vivants" - le côté "pince sans rire" et décalé de Laurent Pardo (équipé d'une paire de bouts de bois à percussions et d'une suite de moues fendardes) ou le très classique "riff derrière la tête vrillé en mode Hendrix" choisi par le fiston Gaspard, pour clôturer l'ensemble et la fête... devant un public debout et bruyant qui ne semblait alors pas s'être rendu compte, qu'il ne s'était à aucun moment agit de Blues, céans ; mais qui allait pouvoir très vite se rattraper sur ce sujet très précis avec l'arrivée, tardive, mais motivée, de l'autre tête d'affiche de la soirée !
Durant l'entracte, dans le hall d'entrée, posté à quelques mètres du premier "héros" du soir, bouteille d'eau serrée en pognes, je le regarderais, amusé et touché, prendre le temps (et la pose : putains de selfies !) de signer et parler avec un grand nombre de vieux fans, jeunes ados et nouveaux convaincus, tout en repensant à cette magnifique version de Green River, offerte quelques minutes plus tôt à nos sens en attente : qui aura sans cesse oscillé entre dureté et douceur, entre énergie et "espace", entre frénésie et apaisement, dotée, en sus d'un très beau duel de guitares ayant opposé les trois gratteux du soir, dotés de doigts de concours et très larges sourires... mé-mo-rable !
Du Blues, Du Blues, Du Blues, et... Encore Du Blues !
J'imagine aisément qu'une belle partie du public aura peu ou prou pensé exactement la même chose du show donné par Robben Ford, qui aura suivi ce beau moment : vu les larges sourires arborés et autres applaudissements admiratifs émanant des premiers rangs, durant. Je me dois d'avouer ici que, en ce qui me concerne, la mayonnaise "Trio Blues" n'aura pas prise. Nope. Rien à faire. Loin de moi l'idée de vouloir bouder d'une façon ou d'une autre ce grand artiste reconnu qui aura eu le grand honneur de jouer en son "vivant temps" pour sa majesté "Miles" (Davis) soi-même, entre autres cadors du genre musicien (Robert Cray, David Sanborn, Marcus Miller, Bill Evans, Steve Lukather, Joni Mitchell, et des palanquées d'autres, tous aussi doués ou vénérés...) il n'en reste pas moins que je n'aurais pas réussi une seconde à "entrer" dans son jeu balisé du soir.
Concernant celles et ceux qui pourraient penser que j'ai une dent acérée contre le gars originaire de Californie (fort sympathique et passionné, au demeurant) j'aimerais préciser, céans, que j'ai toujours écouté avec plaisir The Inside Story (79), Take Your Daughter (88), Robben Ford & The Blue Line (99), Truth (07), Soul On Ten (09), entre autres enregistrements studio ; mais également adoré son "Unplugged", le superbe DVD réunissant notre homme et le grand Carlton - Larry, hein, pas celui de Lille qui aura fait couler beaucoup d'encre et présupposé foutre, ok ? - celui enregistré dernièrement pour le Rockpalast ou bien au New Morning, et même trouvé son tout dernier Into The Sun, plutôt réussi. Si.
Lors, pas une seule des chansons jouées céans, extraites de ce nouvel opus studio, n'aura réussi a arriver à la cheville des versions studio. Tout m'aura semblé affadi, loin des inspirés ou emballants Justified (avec Keb'Mo & Robert Randolph), Rose Of Sharon, High Heels & Throwing Things (en duo aux côtés du sieur Warren Haynes) et autres Cause of War ou So Long 4 U (avec le délicat Sonny Landreth, l'as de la slide). Sans jamais m'être dit un seul instant que l'annoncée "tête d'affiche" du soir (en bien plus gros sur le poster et le programme) s'en était juste venue "cachetonner" un rien sur la route des festivals, j'ai souvent eu la pas nette impression qu'il avait la tête ailleurs (higher ?). Sachant que leurs affaires (vêtements, entre autres choses) et une partie de leur matériel (dont les instruments) n'étaient pas arrivés à temps sur site, et que la contrariété (qui a dit rancur ?) était encore palpable en eux quelques courtes minutes avant le show, vous me permettrez d'y avoir pensé l'espace de... plusieurs instants ! (mea culpa).
Il aura beau avoir mouillé son t-shirt d'emprunt de chauffe, le gars, la formule trio m'aura paru peu apte à régénérer l'ensemble tout du long de la soirée ; ce qui fait qu'une certaine routine (ennui ?) ou tout du moins, une impression d'étirement au niveau de la formule utilisée - Blues lent avec force soli de guitare, puis deux blues rapides nantis des mêmes acrobaties sur six cordes, avant retour au Blues lent de la légende avec force soli de guitares (souvent super bien exécutés, voire avec maestria) - aura petit à petit ramolli les moins transis du soir jusqu'à les guider en flux régulier vers la sortie, façon exode...
"J'te remets la même, là, Robert ? C'est ma tournée !".
"Non, non merci, c'est la sixième, là, c'est gentil, mais... j'aurais peur d'abuser, j'vais y aller... merci !".
Midnight Comes Too Soon, en gros...
Rien à reprocher néanmoins aux deux accompagnateurs du sieur Robben, du tout. Jim Potts, basse solidement arrimée en larges pognes, aura gratifié l'assistance d'une paire de soli plutôt gonflés et accomplis (tandis que le gratteux sortait à chaque fois de scène pour laisser ses pairs prendre un peu de lumière) ; quant à Wes Little, impressionnant de force, carrure et frappe, il aura en vain tenté de réconcilier les récalcitrants avec l'exercice aride et convenu, abandonné depuis deux ou trois décennies parce que "obsolète", solo de batterie. Pour les avoir suivi longtemps et encore récemment, lorsque c'est Gov't Mule, qui s'y colle, ça passe mieux, voire, ça fonctionne. Pourquoi ? Sans doute parce que, en sus de savoir jouer impeccablement le Blues traditionnel (à conseiller fortement, la soirée durant laquelle ils reprennent magistralement BB King, Freddie King & Albert King !) le quatuor de Warren Haynes sait également défricher bon nombre de territoires variés, sauvages ou inconnus : à mêmes en effet, avec un égal bonheur, de passer du Reggae (avec Toots Hibberts) au Jazz le plus "free" (comme avec John Scofield), de revisiter le Floyd, les Stones, The Beatles, AC/DC, The Doors, la scène de Woodstock dans son ensemble, le Grunge de Seattle, ou... Led Zep (y compris lors du fameux Moby Dick !). De quoi pouvoir aisément se renouveler en cours de Set, lorsque la susnommée "formule roots" distille quelque peu la... redite !
Ce qui ne fut pas le cas cette fois, à Carpentras ! (rime riche). Robben Ford aura tout du long joué du Robben Ford, mais en version "effectifs réduits", sans claviers... cuivres... churs ou état de transe déclaré ou... ou ! Et, lorsque c'est le cas... ben... comment dire... ça l'fait pas ! Voilà.
Un très grand musicien, pour un petit état de forme, en somme...
Ce qui n'aura pas empêché qu'une belle partie de l'audience du soir se sera régalé comme jamais et aura adhéré totalement au contenu/menu proposé.
"One man's trash is another man's treasure..." ("Les déchets de l'un sont les trésors de l'autre...") ont pour coutume de dire les Anglo-saxons ; ce que je n'aurais pas aimé ce vendredi, cette fois, d'autres l'auront adoré, c'est comme ça, c'est normal, nul ne détient de vérité absolue en la musique matière, jamais ; j'aurais juste essayé, ici, d'expliquer le pourquoi et le comment de ma temporaire défection au cours d'une belle soirée d'été (en avance sur son heure) et entouré de gens passionné et/ou ravis...
Critique écrite le 02 juillet 2015 par Jacques 2 Chabannes
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