Chronique de Concert
Elliott Murphy
(Je sais, c'est nul et ça rame, mais j'en avais envie...)
Partie 1/Aquashow : Le mythe dépoussiéré d'acoustique
Lorsqu'il investi la scène du New Morning, revêtu du costume blanc impeccable avec lequel il pose sur la pochette d'Aquashow Deconstructed - "ce n'est pas celui avec lequel je posais sur la pochette d'Aquashow en 1973, non, c'est celui que j'avais acheté lorsque j'ai ouvert pour Bob Dylan, lors d'un festival en Italie..." (Elliott/Paris/15-3-15) - on sent confusément que la soirée sera "différente", rare, les enjeux... importants !
Si Last of The Rockstars semble "flotter" un rien - d'apparentes difficultés à s'approprier au mieux cette nouvelle version ralentie du rythme, bougée de la ligne (mélodique) et bâtie essentiellement sur ambiance, l'émotion dégagée sur How's The Family "colle" littéralement l'ensemble, elle, et ce, même si son auteur semble lutter à la fois avec le micro et les changements d'accords ; de toute façon, comment résister aux vagues d'émotions irrépressibles, nées du poignant :
"... Elle se contente d'un oreiller pour dormir / Ainsi que de la mémoire, qui s'estompe peu à peu / D'un mari qui aura essayé de tout faire correctement / Jusqu'à ce que son cur ne hurle puis ne lâche, tandis qu'il lui faisait l'amour, au cours de leur dernière nuit...".
Après s'être installé derrière les "ivoires" du piano, puis s'être fendu du modeste (et justifié) "Je ne suis pas Glen Gould !", il se lance de concentration au cur du magnifique Poise'N'Pen : bien soutenu par les mimines du fils posées derrière en contrepoint (une paire de cordes aux ordres et le trio des NAS en souci de détail comme rarement).
N'ayant pas eu plus de temps que cela pour fixer/souder l'ensemble au niveau de la scène - une répétition le jeudi et le show donné la veille au soir ! - la tension reste palpable et pousse également le public à respecter l'ensemble tout en goûtant au mieux à l'effort du septet en bordure de Déconstruction :
"... C'est vendredi soir, pour le premier de ces deux shows, que la "section de cordes", le violon et le violoncelle, ont pour la première fois joués ensemble... Ils ont bien joué tous deux sur l'album, oui... mais le violoncelle a tout d'abord joué ses parties, puis est venu le tour du violon... sans pour autant qu'aucun des deux ne joue ensemble. En plus, nous n'étions pas sûrs qu'ils puissent venir jouer avec nous au New Morning, n'en avons eu la confirmation que cinq jours avant la date. Nous n'avons donc eu le temps que pour une unique répétition et Gaspard - NDLR : Murphy : producteur et arrangeur sur l'album) - a dû écrire les arrangements et les mettre sur partition durant la semaine..." (Elliott/Paris/15-3-15).
Pendant Marylin, qu'il introduit du malicieux "Comme tant d'autres, je vénérais Marylin Monroe... Sa mort aura en quelque sorte marqué la fin du rêve Hollywoodien !", je me laisse emporter doucement par l'envol des cordes (quasi slaves, de tonalité) et flotte doucement entre Chûtes du Niagara et paysages pelés des alentours de Reno-Nevada (The Misfits) sans pour autant renoncer à goûter à la magie du (rare) moment. En dépit d'un, un rien trop bluesy, White Middle Class Blues, qui voit Olivier Durand s'atteler à glisser de très précis son bottleneck sur dobro, je me surprends à regretter que cette nouvelle version soit ainsi délestée des arrangements initiaux, très Highway 61 Revisited ; reste, que, c'est le jeu de déconstruction bâti ici. Rien à dire ou ajouter contre, donc.
Une fois le mythe Gatsby dépoussiéré, baigné, céans, d'une douce-amère mélancolie collant décidément mieux à la version "74" (Robert Redford & Mia Farrow) qu'à l'horrible resucée clinquante et "vanille-fraise" de 2013 (Baz Luhrmann) mes pulsations s'accélèrent lors de l'intro très bossa de Don't Go Away. Je me demande alors, si, contrairement à ce qu'il a annoncé en préambule - "cette chanson s'adresse bien évidemment à VOUS ! Ne disparaissez pas..." - ce ne serait tout simplement pas le Elliott d'aujourd'hui s'adressant directement au Elliott (de 24 ans) de l'époque, alors plein d'envie, de sève, de rêves de gloire et reconnaissance, par l'entremise de ce texte écrit il y a plus de quarante-deux années. Très vite, je ne doute plus, cet homme de 66 ans semble parler directement au musicien en devenir qu'il était alors, responsable de ce tour de force - qu'a été, est et restera à jamais Aquashow - lui demandant on ne peut plus clairement de conserver à tout crin (et à jamais ?) ce lien vivace afin de pouvoir continuer à l'habiter et/ou l'accompagner encore pour un temps :
"Je me tiens assis-là / Anticipant les bonnes choses que nous sommes capables de faire ensemble / Essayant juste de ne pas penser à toi / Ne t'enfuis-pas...".
De quoi clore au mieux cette première partie en tout point "magique" et plutôt aboutie de l'interprétation... vague à l'âme au cur et gorge serrée, il va sans dire...
Partie 2/plein des choses à voir, partager et entendre : une sélection musicale sans (quasi) failles...
D'emblée, le quatuor revenu "habiter" les lieux d'envie, encore sous le choc de cette grisante et épastrouillante première partie, semble porter une plus grande sérénité sur bandoulières, pieds ou fûts (Elliott + NAS = formule qui Roule ‘N' Rocke aux petits oignons sans jamais forcer sur le gras du genre depuis l'avènement du grand frère de Mathusalem !). Une fois Benedict's Blues (le meilleur morceau du dernier EP Intime, assurément) emballé de suaire sous les bras et saines ou roides résolutions, Euro-Tour se r'pointe au parloir et pousse l'assistance à jouer des chevilles, rotules, hanches et bassins... plus ou moins en rythme selon dance affinités. Change Will Come ayant à son tour maintenu l'intensité (et le plaisir) à flow continu, plus ne restait alors qu'à sortir de la manche blanche du maître, l'incontournable et maintes fois usité (mais non usé pour autant) Take Your Love Away : une interprétation vigoureuse et enjouée qui ne replonge pas ce soir en une suite de "fausses fins" et incessants "nouveaux départs" - comme il est souvent de mise, depuis quelques années - sans pour autant que son effet n'en soit en rien diminué. À méditer...
"Baisse ta vitre / Tes pleurs ont tout embué / Baisse ta vitre / Ce n'est pas aussi désespéré que tu sembles le croire / Tu es bien trop jeune pour avoir assisté à cela / Désormais, ta vision des choses est trop mâture et bien trop claire / Tu sais, je suis familier de cette noirceur, que tu viens juste de découvrir..." (Caught Short In The Long Run).
Bien loin de certaines des performances énergisantes des Birthday Shows précédents ou des tournées récentes, le mot d'ordre, ce soir, sans doute induit par une première partie très travaillée, semble de devoir s'attacher avant tout aux détails, au respect des mélodies initialement fredonnées puis gravées de passé sur bandes ; impression confirmée par un trio d'exception, dont chaque recoin semble "visité", impeccablement retranscris, puis soigné d'émotion : On Elvis Presley's Birthday/Land Of Nod/Caught Short In The Long Run. Un moment de grâce introduit d'un parfait You Never Know What You're In For ciselé d'harmonica et accueilli en grande pompe par la foule compacte.
"Tu sais... Tu espères toujours arriver à garder intacte l'attention des gens, quand tu enchaînes trois chansons "lentes"... Une fois, après l'un de ses concerts, j'ai dit à Bruce Springsteen : tu as joué trois chansons "lentes" d'affilée, ce soir, durant le show ! C'était à Paris, et... il m'a répondu : Oui ! Je dois les entrainer aussi à se concentrer et écouter. Ce que je me dois de faire aussi..." (Elliott/Paris/15-3-15).).
S'il se permet de gloser longuement sur le "Blues" que peut distiller le fait de passer une soirée/nuit de samedi au Havre, il introduit a contrario élégamment la grande bringue de musicienne qu'est Gaêlle Buswell, avant de lancer en souriant : "elle avait besoin d'un texte, je lui ai donné Black To Blue..." ; une chanson qui tient gentiment la "route", sans pour autant s'intégrer au mieux au sein du panel d'exception délivré ce soir par Elliott, mais qui semble les ravir tous deux et annoncer à la fois une dernière et incandescente partie de show. Dont acte...
Lorsque le fils partage le micro du maitre, ce qui les lie d'Intime ne peut alors que sauter aux yeux de tout un chacun(e) : du moins, jusqu'à ce que le rejeton Rock ne prenne un solo sur l'incontournable Diamonds By The Yard ! Moment où l'on ne peut alors ignorer que celui-ci a fait ses classes (musicales et d'ingénieur du son) chez le Boss lui-même : un solo noirci d'attaque, aux gammes et cordes tirées, digne de hanter l'antique Darkness On The Edge Of Town (ou le Prove It All Night Version E Street Band Live‘78) qui fait sourire d'aise Olivier "Big O" Durand, six-cordes Havrais attitré du natif de Rockville Center... avant que le "guitar héro" ne s'y colle à son tour pour faire de nouveau redécoller l'ensemble.
"Ce soir, exceptionnellement, nous commencerons et finirons avec Last Of The Rockstars !" : certes, cette version paraît nettement plus maîtrisée et aboutie que l'inaugurale (encore en apprentissage "de") mais ce n'est surtout pas une raison pour focaliser sur la "régulière" : les deux ont amplement de quoi cohabiter sans heurt au cours des mois, années et tournées à venir ; elles sont complémentaires et apportent chacune quelque chose d'unique et différent au moulin Aquashow (de mon cur).
"La toute première version était carrément Country... (il mime le rythme et la chantonne, façon Honky-Tonk)... mais, bon... je n'ai pas aimé... j'adore la country music, mais je ne suis pas un musicien country..." (Elliott/Paris/15-3-15).
Heureux de pouvoir enfin jeter une oreille "live" sur le très, très rare Home Again (surgie des luisantes limbes du splendide Coming Home Again/2007) puis de pouvoir m'extasier au son du délicat et entrainant A Touch Of Kindness (une petite "touche" de gentillesse qui devrait être dupliquée à "donf", qui siérait actuellement on ne peut mieux à notre petite planète "plus très bleue", constamment noircie d'actes laids, exactions irréversibles et meurtrières éradications) je n'ai alors compris, qu'au moment de l'intro de l'inexpugnable It Takes A Worried Man, que le moment de la séparation était proche, désormais.
Aussi, tout en prenant plaisir à observer l'homme hilare déambuler au beau milieu de son public - suivi par ses musiciens et une paire baroque de "bootleggers", soucieux de ne (surtout) rien rater, micro en pognes et concentration optimale affichée (surréaliste, mais bon enfant !) - je n'ai pu m'empêcher de laisser une foule de souvenirs affluer, portés/habillés par près de quarante années d'effluves "Murphy-miennes" ; une suite de chansons, albums, lieux (improbables, mythiques ou perdus), visages aimés ou partagés, moments d'exception, drames et accidents de la vie, tournants et revirements, qui font le miel de ce type de parcours commun liant à tout jamais l'artiste et son public.
Ce pourquoi la musique existe avant tout, en dépit des fadaises, raisons et justifications, courbes et chiffres brut(e)s, assénées de longue et d'une main de fer commune, par l'industrie du disque et la quasi totalité des médias aux ordres, télé en (sans) figure de proue.
N'en déplaise aux indélicats, dédaigneux et absents, et autres faux culs désireux de traquer avant tout la nouveauté et la "hype" en musique (qui doivent présentement porter barbe longue et cheveux coiffés en arrière sur écharpe de soie et veste quatre-boutonnée) le fil d'Elliott est bel et bien toujours solide, tendu et vivace - à même de relier d'affect et de plaisir une foultitude de mélomanes (et gens de lettres) avisés - capable de pouvoir, encore pour un temps, les guider de concert(s) depuis les profondes noirceurs et moches recoins humides du labyrinthe du genre, jusqu'à la lumière salvatrice...
Lors, tandis qu'il se réjouit visiblement d'en avoir (presque) passé "une de plus !", et que le public sacrifie joyeusement au rituel annuel du "Haaââ-ppy Birth-th-d-day... E-liiott !" (il feint même d'être surpris, cabot en diable), l'on sent confusément qu'il pourrait encore se fendre de quelques agapes supplémentaires, s'il ne devait, comme tout un humain chacun, satisfaire aux réalités de notre monde hyper régulé et ses multiples obligations, barrières, conventions et limitations horaires. Il fait alors signe au groupe qu'il "finira seul", s'empare de son acoustique et délivre une version apaisée, poignante et très "sentie", du fascinant Anastasia (Just A Story From America/1977). Une version, belle à (faire) chialer de l'ADN de "Fan-Humain" partout autour, qui parvient à suspendre le vol du temps quelques trop courtes minutes, durant (hormis un indélicat de barman visiblement trop pressé de remplir ses caisses de bouteilles afin de pouvoir vider les lieux au plus vite dès le dernier accord gratté...) avant que l'ensemble des musiciens ne s'en vienne saluer puis que le service d'ordre ne commence à rassembler le troupeau pour le conduire prestement vers la sortie : tandis que le héros du soir, lui, désormais installé derrière le stand Merch, s'attelle à signer, remercier et deviser avec le dernier carré de Fans et admirateurs présents... dont certains le gratifieront même d'un annuel présent dignement apprécié par son bénéficiaire, plutôt ému et logiquement reconnaissant.
"Happy Birthday, Elliott ! And, Many More...".
Setlist 14/03/15 - New Morning
Set1 - Aquashow Deconstructed (50 mn)
Last of the Rock Stars
How's the Family
Hangin' Out
Hometown
Graveyard Scrapbook
Poise 'N' Pen
Marilyn
White Middle Class Blues
Like a Great Gatsby
Don't Go Away
Set 2 : (1 h 40 mn)
Benedict's Blues
Euro-Tour
Change Will Come
Take Your Love Away
You Never Know What You're In For
On Elvis Presley's Birthday
Land Of Nod
Caught Short In The Long Run
Black To Blue (with Gaelle Buswel)
And General Robert E. Lee
Drive All Night
Diamonds By The Yard
Last Of The Rock Stars
Home Again
A Touch Of Kindness
Worried Man Blues (unplugged : jouée un peu partout dans la salle et au milieu de la foule !)
Anastasia (Elliott Solo/Acoustique)
Critique écrite le 25 mars 2015 par Jacques 2 Chabannes
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