Chronique de Concert
ELVIS COSTELLO & The Allen Toussaint Band, feat. Steve Nieve
4 ans qu'il n'était pas venu en France.
Et 13 ans qu'il n'avait pas joué ailleurs qu'à Paris.
La dernière fois qu'il était venu à Lyon (il avouera sur scène qu'il ne s'en souvient même plus), c'était en février 1984 au Palais d'Hiver. A l'époque, il venait de traverser la France avec The Attractions pour défendre son album Goodbye Cruel World. Ce fut la dernière tournée hexagonale du personnage. Depuis, une poignée de concerts parisiens avait permis aux mélomanes de se régaler épisodiquement (avec Marc Ribot en 1991, avec le Brodsky Quartet en 1993, avec Bob Dylan en 1995, avec The Imposters en 2002). Hors de la capitale, on ne le vit guère qu'à la première édition des Eurockéennes de Belfort (en 1989, sur la même affiche que Nina Hagen et Noir Désir) et lors d'une Fête de la Musique (1994) à Angoulême.
Populaire au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, collaborateur des Pogues, de Burt Bacharach, des Specials et de Paul McCartney, il a multiplié les expériences mais n'a jamais réussi à susciter l'enthousiasme du public français.
En effet, pas facile à étiqueter, n'ayant pas vraiment la gueule de l'emploi, et peu enclin à signer des tubes radios, le bonhomme ne correspond pas vraiment aux goûts des amateurs de rock en France. Et c'est bien dommage. Car ce soir à Fourvière, les nombreux absents avaient tort. Car autant le dire tout de suite, le concert fut aussi monumental que la foule restreinte. Coup de chance, les organisateurs des Nuits de Fourvière avaient eu la bonne idée de déplacer la représentation d'une centaine de mètres. En effet, pour ceux qui ne connaîtraient pas le site des Théâtres Romains de Fourvière, il existe deux scènes : le Grand Amphithéâtre (et ses 4000 places) et l'Odéon (aux dimensions plus réduites permettant d'accueillir un gros millier de personnes). Et c'est dans cette seconde enceinte que l'action s'est déroulée en cette belle soirée de juillet.
A 21h30, le soleil se couche sur le site antique. Les travées sont maintenant bien remplies. Les lumières de la ville s'allument à l'horizon. A gauche, la Basilique de Fourvière a mis ses habits de nuit tandis que derrière la scène, c'est l'immense silhouette de la Tour Crayon qui s'illumine au loin. Dans ce cadre intimiste, le moment est venu pour les musiciens de rentrer en scène. Les quatre cuivres de The Crescent City Horns, le bassiste Paul Bryan, le batteur Herman LeBeaux et le guitariste Anthony Brown constituent le groupe qui accompagne en concert le légendaire pianiste Allen Toussaint. Ils s'installent sur la droite, pendant que leur patron prend possession de son piano à queue à l'opposé. Derrière lui, légèrement surélevé, c'est Steve Nieve, le plus ancien des collaborateurs de Costello (au sein des Attractions puis des Imposters) qui s'empare de l'orgue Hammond. Enfin, au centre s'élève la statue du Commandeur. Tout de noir vêtu, encravaté et gominé, Declan McManus vient prendre possession du rôle de binoclard officiel du rock qu'il tient depuis plus de 30 ans.
Tout démarre pour le mieux avec un des titres de l'album que Costello vient de co-signer avec Allen Toussaint : Wonder Woman. Le son est très bon, les musiciens le sont aussi. La voix de Costello se révèle -quant à elle- stupéfiante. La moiteur de la Nouvelle Orléans s'abat sur Lyon, au rythme de cette chanson qu'on verrait bien dans un vieux film de Blaxploitation. Et ce n'est qu'un début, car voilà bientôt que le groupe se livre à une relecture extraordinaire de Chelsea, l'un des meilleurs morceaux des Attractions.
Après cette déferlante et avant de laisser Allen Toussaint chanter A Certain Girl, Costello rappelle que ce titre faisait partie du répertoire classique que l'on pouvait entendre au début des années 60 dans la Cavern de Liverpool. Ayant lui-même vécu à Birkenhead (une banlieue qui fait face au fief des Beatles, de l'autre côté de la Mersey ) et connaissant bien le bassiste des scarabées, l'Elvis britannique sait l'influence que le pianiste du Bayou a eu sur nombre de musiciens anglais. Et il n'est pas peu fier de partager la scène avec lui. On le comprend en entendant la voix de son acolyte. Presque septuagénaire, ce pianiste à la fluidité surréaliste ne semble visiblement pas frappé par l'arthrose.
Cette mise en bouche introductive ayant posé les jalons, le duo anglo-américain se concentre par la suite sur des titres issus de l'album The River In Reverse que les deux musiciens ont réalisé conjointement, après que l'ouragan Katrina ait détruit la maison de Toussaint en août 2005. Se succèdent alors On Your Way Down (où la sauvage Telecaster de Costello s'impose dans la douceur louisianaise), Tears, Tears and More Tears (incantation vaudou pour un carnaval déprimé), Who's Gonna Help Brother Get Further (déchaînement de cuivres voluptueux en appui d'un duo vocal de premier choix), Nearer To You (quand le crooner Costello fait oublier Presley et se donne à son public), The River In Reverse (évoquant avec émotion le réveil désespéré d'une Nouvelle Orléans frappée par l'horreur), puis International Echo (où un brin d'optimisme resurgit au travers de la puissance des cuivres qui accompagnent le prêche du Pasteur Costello).
Musicien et compositeur d'exception, Allen Toussaint se lance dans la foulée dans une succession de titres où sa voix et son doigté magique font l'unanimité. Au milieu de cette performance, Costello nous livre un Poisoned Rose tout en finesse.
Quelques instants plus tard, c'est autour d'une version dépouillée et vibrante d'Ascension Day que les deux acolytes se retrouvent, seuls sur la scène de l'Odéon. A l'opposé de cette frugalité virtuose, la version syncopée de Watching The Detectives (titre issu du premier album des Attractions) déborde d'instruments virevoltants. Pour enfoncer le clou, le groupe balance un monumental Pump It Up (du tout aussi génial album This Year's Model) qui achève de ravir un public enthousiaste.
Infatigables et visiblement contents d'être là, les musiciens n'en finissent plus de jouer, laissant la place aux classiques des deux leaders. Pour Costello, ce sont ainsi Clubland, High Fidelity, puis I Want You (en duo avec Steve Nieve au piano) qui sont impeccablement exécutés, tandis que du côté de Toussaint, ce sont Yes We Can Can et Fortune Teller (popularisé sur le Live At Leeds des Who) qui explosent dans nos tympans. Dans l'euphorie générale, Elvis Costello réussira même à faire chanter Alison au public lyonnais. Enfin, dans une communion extatique, c'est The Sharpest Thorn qui va conclure (après 2h15 dont 1h de rappel) ce qui restera incontestablement comme le concert de l'année.
Critique écrite le 06 août 2007 par Youri Khan
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