Chronique de Concert
Ennio Morricone
Certains mythes devraient peut-être juste rester mythiques, et certains fantasmes n'ont pas vocation à être réalisés. A mon âge, je devrais pourtant le savoir : se confronter 25 ans plus tard à un rêve d'enfant (en tout cas, d'adolescent), c'était forcément s'exposer à une déception ! Après coup, je me demande ce que j'imaginais exactement de ce concert d'Ennio Morricone aux Arènes de Nîmes ? En fait, je le sais : j'avais surtout envie d'entendre ses titres les plus mythiques tels que mon cerveau les a fixés (et tel qu'il les associe aux images grandioses qui vont avec), c'est-à-dire tels qu'ils ont été enregistrés pour des bandes originales de film il y a environ 40 ou 50 ans. Mais Ennio ne joue plus les titres comme il y a 40 ou 50 ans ! Et on ne peut évidemment pas le lui reprocher ! Mais ça flingue globalement l'effet Madeleine de Proust espéré... Je me suis donc retrouvé, naïvement j'en conviens, comme un fan des Stones qui irait voir aujourd'hui ses idoles en espérant qu'ils sonnent comme en 1964... Et j'ai été déçu, forcément.
Après ce reproche majeur (que je me fais surtout à moi-même !), on peut voir les côtés positifs du concert, bien sûr. 170 musiciens sur scène, dans les mythiques Arènes de Nîmes, à qui il ne manquait pas un bouton de guêtre, pour un concert de belle amplitude (que j'aurais quand même sonorisé environ 25 % plus fort, pour ma part), et qu'on avait vu passer tranquillement devant l'entrée des Arènes, arrivant par petits groupes pas pressés. Ceux à qui on avait demandé l'heure de début du concert semblaient italiens... Plus de deux heures de spectacle, articulés en deux grandes parties, elle-même découpées en sous-genres : "Vie et Légende, Partitions Diverses, Mythes et modernité dans le cinéma de Sergio Leone, Cinéma Social", et "Mission" pour finir. Le tout dirigé par un vieillard chenu mais digne, il maestro Ennio Morricone lui-même - dont on peut dire sans trop de risque que c'est probablement la dernière tournée, hélas. En tout cas j'étais bien content d'avoir des jumelles parce que sinon, du fond des arènes, il n'y aurait pas eu grand-chose à voir : pas d'écrans géants, ni pour des images de films, ni même pour filmer les musiciens ou leur chef d'orchestre...
Au fil d'un concert généreux (plus de 2 h 30, et 3 rappels !), j'ai aussi découvert ou redécouvert plusieurs thèmes, parfois plus marquants que dans mon souvenir : Les Incorruptibles ou la martiale La Bataille d'Alger, où les batteries et les cuivres ont enfin pu lacher les chevaux. Et au rayon plus romantique, Deborah's Theme (d'Il était une fois en Amérique), Cinema Paradiso ou Malena m'ont pas mal touché, par leur grande délicatesse feutrée. J'ai bien cru être frustré de "la chanson de Joan Baez" (je veux dire, de Sacco & Vanzetti), heureusement jouée au rappel. Bien entendu, certains thèmes connus comme Le Clan de Siciliens ou Chi Mai étaient fort plaisants à réentendre aussi - quand j'étais môme, j'ai usé jusqu'à la corde mon 45 tours de la B.O.F. du Professionnel !
Ma plus grosse déception s'est en fait jouée au moment des westerns... Évidemment, l'homme a enregistré quelques 500 musiques de film. Donc, et c'est légitime, il expédie la période western-spaghetti Sergioléonesque en 4 titres ! 4 putains de titres ! Ce qui m'a fait un peu le même effet que de recevoir 4 balles dans le buffet en sortant du saloon ! Où est mon Homme à l'Harmonica et pourquoi n'ai-je le droit qu'à la bluette la moins intéressante d'Il était une fois dans l'Ouest qui compte au moins 3 thèmes magistraux ? Où est le thème fabuleux de Pour quelques Dollars de Plus (ou au moins celui du carillon du finale), pour ne citer qu'eux ? Mon Nom est personne, quelqu'un ? Mais non, pas le thème concon au pipeau, l'autre magnifique à se rouler par terre, L'Amas Sauvage ! Et au fait, est-il possible qu'il n'y ait pas eu de siffleur à ce concert, ou est-ce juste moi qui ai fait un mauvais rêve ?
Et surtout, en plus des titres pas joués, une déception encore plus cruelle : pourquoi cette orchestration mollassonne et "pop" quand j'attendais le fabuleux, l'unique, l'inimitable son de guitare électrique, tel qu'inventé par Link Wray, et qu'Ennio Morricone a pourtant été l'un des tous premiers à utiliser dans ses B.O.F. de westerns, même pas 5 ans après ? Il y avait bien une guitare électrique sur scène, mais jamais elle n'a semblé être branchée ! Et de voir qu'Ennio Morricone va par exemple jusqu'à éliminer le célébrissime (et indispensable) "A-hia-hia ? Oua-oua-oua !" vocal au début du thème de Il Buono, Il Brutto & Il Cattivo, me fichera quand même les boules sévèrement. Tout comme les "Chom chom, chom chom !" d'Il était une fois la Révolution, tout aussi indispensables même si le titre était très joliment joué par ailleurs.
J'espérais sans doute aussi que The Ecstasy of Gold, mon morceau préféré entre tous, résonne dans les Arènes de Nîmes, aussi fort qu'avant le concert de Metallica il y a quelques années, et en me donnant le même frisson : celui que j'ai eu aussi, tout jeune, en voyant pour la première fois Tuco courir comme un dératé dans le cimetière, à la recherche de la tombe d'Arch Stanton... Mais là encore, version jouée (deux fois) avec classe mais beaucoup plus vite, un peu confuse, avec une soliste correcte pour la voix mais chantant au fond du temps (ce qui fracassait un peu l'effet "cavalcade" du morceau), pas de son de cloche, pas assez de tambour, pas de guitare donc, ou si peu... En faisant une recherche ultérieure, j'ai compris le problème : Ennio Morricone est un compositeur, et non un interprète, et des tas d'orchestres plus ou moins inspirés ont ainsi ré-enregistré ses titres. Il faut donc écarter un paquet d'orchestrations plus ou moins louches pour parvenir à retrouver le son d'origine - celui des films... que lui-même semble avoir trop souvent oublié.
Au final, j'ai quand même senti mon menton vibrer et mes yeux se mouiller en entendant Gabriel's Oboe et plus encore, les choeurs débutant On Earth as it is in Heaven... Cette dernière partie du concert avait au moins le mérite d'être très proche à l'oreille de la B.O.F. de ce monument doloriste qu'est le film The Mission ! Evidemment, les images de ces pauvres indiens se faisant massacrer au nom d'un dieu étranger, sortant de l'église en flammes en suivant "bêtement" un crucifix sous la mitraille, au lieu de retourner se planquer dans la forêt, m'avaient fait chialer comme tout un chacun, puisque c'était fait pour... En tout cas sur scène, ce finale assez grandiose permettait enfin au choeur de donner toute sa puissance. Et Ennio Morricone est sorti, après trois rappels, légitimement applaudi comme une rock star, ce qu'il est d'une certaine manière : il a même son tourneur de pages personnel. Car comme dit l'adage bien connu : A 86 ans, si t'a pas un tourneur de pages, c'est que t'as raté ta vie !....
Merci pour tout Maître, je reste évidemment fan de votre oeuvre même si, paradoxalement, ce n'est pas aujourd'hui qu'elle m'a fait le plus vibrer...
Plus d'illustrations par Pirlouiiiit (sans passe photo donc) par ici
Critique écrite le 16 juillet 2015 par Philippe
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> Réponse le 16 juillet 2015, par Solana
Oui, ça retranscrit assez bien mon propre sentiment suite à ce concert ! donc pas aussi dityrambique que ne le laissent penser certaines chroniques précédentes sur le site... Déçue moi aussi de ne pas avoir entendu les versions originales et malgré tout fière de ne pas l'avoir raté (les occasions seront surement très rares désormais). A noter que pour la première fois j'ai entendu un klaxon de mobylette et le camion des pompiers depuis l'intérieur des arènes : c'est dire la qualité du silence entre les morceaux et aussi, le fait que ce n'était pas tout à fait assez fort. je retourne donc m'étourdir a casque avec mon vinyle de Once Upon a Time in the West... Réagir
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