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Chronique de Concert

Fish + Lazuli

Espace Julien - Marseille 03 Décembre 2007

Critique écrite le par

3 mois après le passage de Steve Hogarth, c'est autour de l'ex-chanteur de Marillion de faire une halte à Marseille, ville la plus à même d'accueillir un artiste dont le dernier best-of s'intitule Bouillabaisse. On a souvent comparé Derek William Dick a.k.a Fish à Peter Gabriel pour son chant et son jeu de scène théâtral, mais si ce dernier a résolument tourné une page en se séparant du groupe qui l'a rendu célèbre, lui semble attaché à en conserver la flamme (divergence encore d'actualité : en 2006 Peter Gabriel ne se joint pas à la tournée de réunification de Genesis, en 2007 Fish donne un concert aux côtés de ses anciens compagnons, événement qu'il sous-titre avec humour d'un "il y a un Dieu !"). Habitué à interpréter des titres écrits au sein de Marillion, Fish s'est lancé depuis deux ans dans la célébration des 20èmes anniversaires des derniers albums qu'il a composés avec le groupe : Misplaced childhood en 2005 avec la tournée Return to childhood, Clutching at straw cette année avec une tournée intitulée Clutching at star. Cette dernière sera également l'occasion pour le chanteur de présenter son dernier opus 13th star.

Entre amoureux des premiers Marillion et fidèles de Fish, je m'attendais à ce que cela réunisse plus de monde à l'espace Julien, d'autant plus qu'un mois auparavant Lazuli annonçait dans sa newsletter qu'il assurerait la première partie, ce qui représentait à mon sens une affiche des plus attrayantes. Mais à 19h40, c'est une salle quasi vide qui s'offre à moi, une salle amputée d'une partie des gradins par un rideau noir. Il semblerait en fait, que l'ajout d'un première partie ait bien été annoncé mais sans que l'heure du début de concert ait été actualisée, 20h30 restant l'heure diffusée.


19h55 La musique d'ambiance style sophrologie s'est enfin tu et les musiciens de Lazuli viennent retrouver leurs instruments déposés sur la généreuse scène où s'étalent l'imposant matériel des 2 groupes. Au fond de la scène, la pochette du dernier album de Fish continue d'être rétroprojetée, et les lumières restent allumées alors que Domique Léonetti a déjà commencé à entonner sereinement sa première chanson. On ne doit pas être plus d'une quarantaine de privilégiés, lorsque le noir se fait et que, sans crier gare mais en "en avant doute", un mur de décibels s'abbat sur nous et engloutit en un instant la salle : le son a pris possession de l'espace. Un son à la fois puissant et nuancé grâce auquel la singulière musique acoustico-électrico-électronique de Lazuli prend toute sa dimension : du xylophone qui tintinnabule à la warr-guitar qui gronde, des percussions martelées au cri de vibrato, des murmures au éclats de voix en passant par la palette des sons de la léode, tout semble à la fois se détacher de façon intelligible et se fondre harmonieusement dans une orchestration puissante.

Le groupe a choisi pour cette courte prestation le nectar de ses compositions où les titres s'enchaînent au rythme des annonces métaphoriques du chanteur : "l'histoire d'un couple sous toutes ses formes et ses déformes", "un Ogre qui vivait dans une maison blanche"... La qualité et la teneur de chaque interprétation est du même niveau que celle d'il y a 6 mois au hot-brass, avec en plus ce soir des musiciens qui s'appliquent particulièrement à jouer sur les tensions : pause appuyée en leurre de fin et reprise éclatante sur Laisse courir et Mal de chien, introduction etouffée sur L'impasse ou au contraire résonnant comme une véritable détonnation avec L'arbre. Ce titre est sans doute le plus réussi de la soirée, une interprétation très en relief dès l'explosion du début, avec des basses vibrantes et des aigus chantant et un passage de percussions mémorable aux résonances des tambours du Bronx. Après 40 minutes de concert, Cassiopée clôt de façon aussi naturelle qu'En avant doute a débuté la soirée, avec sa seconde partie instrumentale au solo gilmourien de léode.

Tout ceux qui sont arrivés en cours du concert de Lazuli, et ils sont nombreux, n'ont pour seule consolation que l'annonce par le chanteur d'un "concert intégral" à Vitrolles le 21 Décembre.

setlist :
1- En avant doute
2- Laisse courir
3- Film d'aurore
4- Mal de chien
5- Le repas de l'Ogre
6- L'impasse
7- L'arbre
8- Cassiopée



L'espace Julien s'est finalement bien rempli, et c'est le moment idéal pour distribuer les flies pour Lazuli, qui est revenu sur scène non pas pour de nouveaux titres, mais pour débarrasser la scène. La musique de fond s'est durcie : AC/DC, Red Hot, King's X, Rage against the machine,...

21h00 Le noir se fait, et un rideau rouge s'ouvre sur l'écran, flash-back en 1987 : "Vous souvenez-vous?". Sur la gazza ladra, pendant près de 3 minutes, un film illustre chaque année passée depuis la sortie de Clutching at Straw, au travers d'un évènement qui a marqué les esprits, mais commenté d'un sous-titre loufoque, établissant souvent un lien de cause à effet entre la vie de Fish et ledit événement : 1989, le mur de Berlin est cassé par des fans en colère suite au split de Marillion, 1999 les pouvoirs de Fish provoque une éclipse de soleil...(la vidéo est visible sur youtube). Un film d'autant plus drôle qu'il était inattendu, une introduction franchement réussie qui annonce la teneur du concert qui va suivre : un tiers de nostalgie, un tiers de nouveautés, un tiers de mise en scène...et un très grand tiers d'humour (à Marseille ceci est possible, c'est juste une question de grandeur de tiers).

Après que le groupe a pris place sous la bande son de Sergent Pepper's, c'est presque de manière évidente que Slàinthe mhath débute le set, nous renvoyant, avec l'air de Rossini qui accompagnait le film, à l'ouverture de l'album live qui suivit la sortie de Clutching at Straw en 1988. La fidélité de l'interprétation nous plonge instantanément dans l'album de 1987 et même si la voix de Fish semble se dérober par moment, malgré (ou à cause) des effets de micro qu'il éloigne et rapproche sans cesse, celle-ci est compensée par l'énergie et le talent des musiciens qui l'accompagnent. Ceci se vérifiera sur tous les titres tirés de Clutching at Straw, où ces derniers y apporteront une touche plus pêchue : jeu de batterie de Gavin Griffiths plus soutenu que celui de Ian Mosley que l'on ressent notamment sur les passages au toms de Hotel hobbies ou sur un passage de double pédale sur Incommunicado, jeu de guitare de Frank Usher plus technique et plus hard-rock que celui de Steve Rhotery sur les soli, ou tout simplement la présence d'une seconde guitare qui dope le volume par exemple sur l'intro de Warm wet circles et son arpège doublé. On sent une sorte de synergie opérer entre Fish et ses comparses à chaque fois qu'ils dépoussièrent un de ces titres : en tant qu'incarnation de Clutching at Straw (dans le sens où il est ce soir le seul compositeur des titres, et qu'il s'agit d'un album très introspectif) il amène ses musiciens, parfois même en les aidant à se caler pour les passages périlleux de That time of the night, qui eux mêmes le poussent et le soutiennent instrumentalement mais aussi avec la voix sous forme d'excellents choeurs - jusqu'à remplacer avec brio les parties vocales féminines de the last straw. Ensemble ils semblent réssuciter l'âme de l'album en chacun de nous, nous qui nous laissons aller à reprendre en choeur des "warm wet circles" qui trouvent un écho dans les accords aux allures de voix synthétiques de Foss Paterson, à succomber aux premiers arpèges évocateurs de Sugar mice ou à danser les bras levés pour taper des mains avec frénésie sur Incommunicado.

Mais pour que le concert ne prenne pas des allures de revival, Fish a choisi de ne pas aligner les titres de Clutching at Straw mais de les mélanger à des titres de ses derniers albums dont le tout récent 13 star. Dès le deuxième morceau du set, on découvre la couleur musclée de cet opus avec Circle line puis Square go, au riff de basse tonitruant où guitaristes et bassiste headbanguent sur un chorus métal et final en forme de déclamations de "fucks" du chanteur, et d'autres compositions résolument péchues mais aspirant toujours au progressif avec des alternances d'atmosphères comme Manchmal ou Dark star et son introduction abyssale. Bien que musicalement écrites par Steve Vantsis, on semble y retrouver la patte de l'hyperactif Steve Wilson (en concert ce même soir avec Porcupine Tree) dont the perception of johnny punter sera le seul titre de sa création (et un des deux seuls titres non tirés du dernier album). La hargne de ces titres, incarnée par la voix de Fish que l'on sent plus à son aise qu'avec ceux de Clutching at straw, ne s'efface que dans le temps d'un cool et pop Arc of the Curve et un Cliché, ballade avec un thème en tapping et violonning avec un énorme solo de circonstance (presque un cliché du hard-rock : une mise en abyme ?) de Frank Usher. Dans le public, la ferveur semble la même que pour les titres de Marillion : on reprend à tue-tête "So-o-o-" sur So Fellini, on observe un silence religieux pendant la fausse fin de The perception of johnny punter...

Tout au long du concert, les titres sont illustrés sur un écran par des projections et sur la scène par un Fish résolument en grande forme. Réalité et imaginaire se mêlent sous forme de clips ou de diaporama : film en noir et blanc avec un boxer pour Square go ou en couleur avec une vue subjective d'un hélicoptère sur des paysages bosniaques pour The perception of johnny punter, des animations de Mark Wilkinson avec un périple sous un orage d'étoiles filantes pour Dark star ou le visage du héros Torch devant une ronde de souris autour d'un verre d'alcool pour Sugar Mice...
Dépassant de 2 têtes son guitariste Chris Johnson, vêtu d'un pantalon au motif de kilt écossais, d'un débardeur ou d'un maillot de football, d'un grand chale et d'une étoile de mer en guise de pendentif, le chanteur donne vie à ses textes : trace des formes dans les airs, pointe comme une arme à feu son index qu'il exécute sur sur une frappe de cymbale...Même s'il sait s'immobiliser et prendre la pose, pendant une partie instrumentale, le foulard sur le nez pour reproduire la couverture de Sunset of empire, c'est le plus souvent avec énergie qu'il exprime en sautant seul à pieds joints ou entraînant ses musiciens dans une gigue en rang serré de droite à gauche.

Mais si le charismatique de Fish s'affiche pendant chaque titre, il en est encore plus éclatant entre les morceaux. En effet, c'est vraiment durant ces instants privilégiés avec le public, trop souvent des passages à vides pour de nombreux concerts, que le chanteur excelle d'aisance. Sous forme de monologues ou dialogues avec le public ou ses musiciens, ce sont de véritables sketches que nous livre l'artiste. Avec beaucoup d'humour et souvent d'autodérision, il captive l'Espace Julien avec des propos bien ciblés. Il se joue des barrières de la langue déclarant : "I don't speak french, I don't speak english, I speak a dialect" pour faire allusion à son accent écossais, dont le roulage de -r- dans les albums de Marillion nous est devenu familier, et n'hésite pas à répondre aux interpellations des plus fervents : à "You are the best !" il répond "I'm the best fish on this stage...I'm the only fish on this stage !", ou bien lorsqu'il ne comprend pas, il préfère feindre une question impromptue : "my tee-shirt ? I can't give you my tee-shirt". Devant des marseillais, il choisit de parler foot-ball sitant les noms de Chris Wadle et revenant sur l'infortune des bleus avec un avis tranché (mais partagé !) : "fucking italians !" "spanish referee : poum poum poum". Il s'interdit de boire du vin sur scène avant 22h00 sur ordre de sa maison de disque, s'accomode du peu de personnes qui possèdent son dernier album et déclarant que pour les autres se sera ce soir "a fucking surprise", et nous conte de véritables petites histoires comme celle de cet homme incapable d'ouvrir son coeur et de prononcer le mot "love", prétexte à des béguéments à répétitions et à une chute dramatico-comique.
Au fil de ces interventions, je ne peux m'empêcher de penser à la prestation de Michel Jonasz au Jazz des 5 continents . Et si certains fans de ces artistes ont les cheveux qui se dressent sur la tête au vu de cette comparaison, j'enfoncerai le clou en disant que même sur ce sujet capillaire les deux artiste déclinent un numéro quasi thérapeutique (on notera que cette préoccupation n'est pas nouvelle chez Fish : il y a 20 ans le chanteur s'inquiétait de la disparition de ses cheveux au fil des clips de Marillion - The Videos 1982-86, qu'il envisageait comme une intrigue de roman d'Agatha Christie).

Ainsi défilent deux heures de concert mélangeant habilement des titres séparés par deux décennies, deux heures de complicité dans l'intimité de l'espace Julien. Impossible de pas repenser au concert de Trust la veille, où Bernie réclamait l'adhésion du public. Ce soir on fredonne, on chante, on danse, on rit, on applaudit, on siffle, on crie, on hurle, on tape des pieds, on tape sur des panneaux de bois, on tape sur tout ce qui fait du bruit... On fait un vacarme à tout rompre lorsque Fish et ses comparses se retirent, et au terme d'un second rappel, on sent que c'est un chanteur et des musiciens qui ont tout donné et été touchés par l'enthousiasme du public qui viennent se présenter et saluer longuement la salle.

setlist
0- La gazza ladra / Sergent Pepper's (Bandes sonores)
1- Slàinthe mhath
2- Circle line
3- So Fellini
4- Square go
5- The perception of johnny punter
6- Manchmal
7- Hotel hobbies
8- Warm wet circles
9- That time of the night
10- Arc of the Curve
11- Dark star
12- Sugar mice
13- White russian
Rappel 1 :
14- Cliché
15- Incommunicado
Rappel 2:
16- The last straw

Ce concert est l'un des meilleurs que j'ai pu voir cette cette année.

Photos : Yoan-Loic Faure

 Critique écrite le 21 décembre 2007 par Fred


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