Chronique de Concert
FISH
(Une °poignée de conséquences !)
° Je sais que c'est traduit "à la louche", mais bon... c'est bien comme "ça" aussi, non ?
Après un épisode Milanais "compliqué" - un accident, niveau bus de la tournée, qui a bien failli nous priver de leur présence du soir ! - des horaires décalés et des difficultés à appréhender l'axiome "matos à donf + écrans + musiciens + grands pieds - scène réduite = difficultés d'adaptation évidentes et contorsions diverses !", je me demandais logiquement à quel type de concert nous pourrions bien avoir droit ce mardi soir : tendu et "serré du fessier" ? Expiatoire et sombre ? Libérateur et enlevé ? Une interrogation levée du doute dès l'entrée des musiciens, sur le désormais habituel Perfume River (premier extrait du dernier en date et très abouti : Feast Of Consequences) ; un tapis serré de cornemuses (le gars est Écossais, ça tombe sous le sens) augmenté d'une entrée de guitare très "Floydienne" qui augure de l'arrivée imminente du gars Derek (Dick) : bras levés en "V" et large sourire fiché au coin des lèvres. Une intro assise sur une pulsion de batterie (Gavin Griffiths) qui semble coller aussi sec aux mouvements saccadés exécutés par le grand corps massif du maître de cérémonie : qui se met aussitôt, comme à son habitude, à onduler en rythme et imager ses dires avec force gestes et mimiques parlantes... en dépit de l'espace alloué (restreint). Un morceau qui bascule lors du premier changement de guitare du soir - l'entrée en scène de la douze cordes acoustique de Robin Boult - qui ne cesse de monter en intensité et se densifier ; on sent tout de suite que l'ensemble est rôdé, maîtrisé et assis, maturé de Live sueur...
Un morceau inaugural, à double titre (il ouvre également l'album) qui harponne illico la quasi totalité de l'assistance et fait monter l'ambiance de quelques menus degrés ; impression (et chaleur) confirmée dès le fringuant Feast of Consequences (même si la voix à parfois du mal à se frayer un chemin entre lignes solides de basse, frappes sur caisse claire, accords plaqués de claviers et enluminures sur six cordes).
"Il y a très peu d'espace, ce soir, nous ne danserons donc pas le disco... sans compter que j'ai de grands pieds... de trop grands pieds pour cette scène ! Désolé pour notre annulation du mois de novembre dernier ! J'en profite d'ailleurs pour vous souhaiter un joyeux Noël et une très bonne année ! Voici une chanson extraite de l'album 13th Star : Manschmal !".
Un morceau extrait du précédent 13th Star - sorti en 2008, c'est fou comme le temps passe : quoique, c'est tout de même rare qu'il change d'avis pour repartir soudainement dans l'autre sens, le cuistre... - parfait pour nous rappeler que celui-ci était déjà de très haut niveau, déjà très dense et abouti de l'écriture : comme né du même lit que Feast, mais un rien différent ("pas même père et pas même mère !", en somme). Logique, tellement l'eau aura coulé sous les ponts, depuis : une longue tournée, une suite de voyages, une voix en vrac à réparer, un mariage subit, suivi d'un divorce, non moins subit, quelques six mois plus loin, des changements de musiciens, une tournée acoustique, etc. Un morceau que Fish achève yeux levés vers le balcon du lieu, ce soir, posté en bordure de scène : en guise de figure de proue d'un navire invisible ou fantôme balloté par le vent et les éléments déchainés (à l'image de la pochette du susdit disque, par ailleurs).
Un regard appuyé, plus loin, lancé à l'adresse du vieux complice Steve Vantsis (basse/co-écriture), il enchaîne, mutin : "Vous autres Français, êtes célèbres pour votre vin, votre fromage et... l'amour ! À chaque fois que je jette un coup d'il à la setlist du soir, je revois des albums, qui me renvoient aussitôt à des relations amoureuses et des... fantômes ! Avec chaque album, le souvenir d'un amour différent ! Beaucoup de fantômes... un tiroir plein ! Celle-ci parle de l'un d'eux...". Durant le suscité Arc Of The Curve, (13th Star, de nouveau) c'est sa dimension onirique qui prend définitivement le dessus sur le propos initial pour nous emmener au loin, au-dessus, ailleurs (higher ?) ; un moment de réelle apesanteur, vrillé d'un beau solo décalé qui éclaire l'ensemble et allège d'un même élan.
Lorsqu'il baisse soudain d'un ton pour évoquer le destin croisé des "deux premiers membres de ma famille ayant jamais foulé le sol Français !", qui sont, "fort heureusement revenus tous deux, sinon, je ne serais pas là ce soir !", je me dis benoîtement que son hommage ému à la guerre de 14-18 et à ses deux grands-pères, autre point fort de son dernier opus, arrive peut-être un rien trop tôt, vu que ces choses-là se préparent forcément en amont avant arrivée - d'autant qu'elles ont logiquement besoin d'un rien de concentration, pour être correctement "absorbées".
Un jour de repos durant sa tournée Française, un ami spécialiste pointu au niveau de la Première Guerre Mondiale, le tout ajouté à une envie pressante d'aller frayer du côté de ses origines - ceci ajouté au hasard qui le place finalement à proximité de l'endroit où l'un de ses deux grands-pères creusait la tranchée de Thistle Alley et le fait dormir à l'endroit même où le deuxième avait passé ses nuits en marge de la grande boucherie du moment - et la graine était logiquement semée en notre homme, jusqu'à accoucher de la fameuse High Woods Suite !
Une suite épique de cinq morceaux - logiquement dédiée à "tous ceux qui y périrent, civils inclus, avec notre plus grand respect !" - qui renoue avec les grands moments "à thème" du genre Rock-prog ; qui nous permets successivement de passer par tous les stades, émotionnellement parlant, et de laisser nos imaginaires (en mode individuel et collectif) habiller l'espace de sombres pensées et sentiments enfouis en lien avec les images d'archives projetées tout du long en fond.
Musicalement parlant, on sent que l'intéressé tient particulièrement au rendu de cette suite et que le groupe a parfaitement reçu le message d'excellence lancé au préalable : concentré et sérieux, appliqué et dense, décidé à "coller" au mieux à chaque inflexion vocale déclinée ou mimique arborée par la plume créatrice initiale. La différence d'avec les versions gravées en studio saute immédiatement aux yeux - durant l'enchaînement : High Wood/Crucifix Corner/The Gathering) - et ravit d'autant ; tout semble en effet plus "poussé", céans, fouillé et chargé de moelle, parfois même, "habité" (osons l'affirmer).
Lorsque le tumulte recule soudain, et que le piano (John Beck) s'empare logiquement de l'espace, l'assemblée semble manquer un tantinet d'oxygène en mirant les premières vagues de pauvres trouffions envoyés alors au casse-pipe se lever d'un bond pour quitter les tranchées et galoper ainsi au-devant de la mitraille Allemande sans (quasi) aucun espoir de survie ou de futur retour à la vie domestique/normale...
Dès les premiers accords de Thistle Alley, on ne peut faire autrement que (re)penser au fameux Le Mur de nos potes Flamands (les Roses planants, en l'occurrence, pas ceux qui se fritent régulièrement avec leurs voisins Wallons, nope !) : pas même guerre, soit, mais même obscur "concept" industriel et financier posté juste derrière la Mort complice, et bien peu regardante. Même si notre hexagone - tout comme les USA, en leur 2001 temps - vient tout juste de le réaliser, nous n'avons jamais cessé de vivre en état de guerre depuis ce triste conflit généralisé : l'épisode "39-45" n'ayant jamais été que la suite sanglante et logique de l'opus précédent ; quant à toutes celles qui auront suivi, depuis, elles n'auront jamais existé que grâce au partage partial de Yalta et la mise en place affichée de deux systèmes économiques antagonistes (de prime abord) gloutons et prosélytes situés à l'"est" ou à l'"ouest" de nos vies individuelles et collectives : suprématie du portefeuille, quand tu nous tiens solidement par les bourses...
Tandis que la dernière partie de cette "High Woods Suite" s'avance doucement pour nous saisir aux tripes, l'on ne peut que s'interroger légitimement sur notre impuissance quasi congénitale : comment, après tant et tant d'écrits, de dossiers, de films, d'annuelles célébrations, de défilés, de mémoriaux, synthèses et analyses chiadées, déclarations et logiques cris d'alarme, peut-on encore en être où nous en sommes aujourd'hui ? Toujours entre deux conflits (perpétuellement en bordure de globalisation) sans cesse sur le pied de guerre ; tout cela parce qu'"il" est fermement décidé (le petit pourcentage dominant niché en l'ombre) à diviser (en parts inégales), favoriser les extrêmes, dresser de longue les gens - nations, systèmes de pensée, couleurs de peau, orientations sexuelles ou convictions religieuses - les uns contre les autres, attiser les vieilles rancunes et/ou en créer de nouvelles, si besoin est (et il se trouve qu'il "est", bien évidemment, et de façon exponentielle...).
"Ils ont dit adieu à leurs maisons et familles..." : souhaitons juste que nous n'ayons jamais, nous ou nos enfants, à lancer ou bien entendre les nôtres (ou ceux d'en face) proférer cette sombre phrase fatidique ; et que les générations à venir aient toujours le choix des "armes" en la paix matière, elles...
Dès les premières mesures de Slainte Mhath, le public réagit d'allégresse : heureux de pouvoir enfin (re)fouler les terres hantées de jeunesse de l'antique Marillion (Clutching at Straws/1987) ; la voix à beau avoir du mal à titiller les antiques hauteurs, ou sa vigueur d'antan, personne ne semble ici décidé à bouder son plaisir ou tenter de reprocher quoi que ce soit à son auteur, tellement le plaisir distillé à l'époque reste toujours vivace en chacun, et la reconnaissance, quasi éternelle.
Lorsque Vigil pointe son nez, aussitôt enchaîné à son suivant immédiat sur disque, Big Wedge, l'on ne peut que louer la qualité de ce premier opus solo (Vigil In The Wilderness Of Mirrors/1990) sorti alors sur les traces encore fumantes du groupe (qui aura lui aussi accouché du très abouti Seasons End, une année auparavant) après le clash et le départ, très "colère", du gars Fish.
À un moment donné, on sent que quelque chose se bloque en lui, vu qu'il grimace de douleur : un simple faux mouvement, en apparence, qui semblera le handicaper jusqu'à la fin du show bien qu'il tente de le masquer au mieux. Un "incident" de scène qui ne l'empêchera aucunement de s'attaquer, kilt en tête, au bondissant Heart of A Lothian (Misplaced Childhood/1985) puis de ravir le dedans de nos êtres à l'aide de l'incomparable et poignant Incubus : un des nombreux sommets atteint par Marillion au sein du très recommandé (quoique, vieilli du son pour cause de synthés datés et omniprésents) Fugazi (aux côtés des épastrouillants Punch & Judy, Jigsaw, She Chameleon, ou... Fugazi !). Un exemple parfait de Rock-prog qui n'hésite pas à changer sans cesse d'ambiance et rythme, à osciller de longue entre vigueur séminale et enluminures instrumentales chiadées, entre paranoïa et réalité. Un must. Un pic, que dis-je, une péninsule musicale. Une uvre, en vrai.
De quoi boucler au mieux cette belle soirée ; enfin, non, pas tout à fait, vu qu'il serait impardonnable, quasi criminel, de vider les lieux sans interpréter l'hymne intemporel qu'a été, est et restera à jamais, The Company (nouvel extrait du déjà vanté et fortement conseillé : Vigil In The Wilderness Of Mirrors). Une chanson à boire qui voit Fish désormais nanti d'une bouteille de rouge amplement entamée : ce qui ne peut que nous rappeler que le gars aura longtemps lutté avec de nombreux démons avant que de renouer (à intervalles réguliers) pour le pire et le meilleur, avec ses diverses muses et passions vitales.
Des muses qui ne devraient pas avoir à uvrer fortement du quotidien au-delà de l'horizon 2017, vu que notre homme a depuis peu décidé, de :
"Les choses deviennent de plus en plus difficiles sur scène, à cause de mes opérations... j'ai perdu pas mal au niveau de l'élasticité de ma voix, des cordes vocales, au niveau des tissus eux-mêmes ; ce qui signifie que je ne peux plus "attaquer" les notes, les mots, comme je l'ai toujours fait. Ma marque de fabrique. Je me dois de faire très attention à ma voix en ce moment, et donc de ne plus me lâcher autant sur scène, de rester toujours "en contrôle", quelque part... (moue de dépit)... Je me sens beaucoup mieux, depuis que j'ai décidé d'arrêter, que j'ai pris cette décision. Je suis plutôt fatigué de tout ce que ça implique désormais, de tourner... Je me donne encore un album et une tournée, point ! J'ai cinquante-six ans ! En 2017, j'en aurai cinquante-neuf... c'est le bon moment pour passer à autre chose. Je me suis donné cette échéance, cette date.
De plus, le business de la musique est un animal qui se meurt. La façon dont les gens l'abordent a beaucoup changé : à mon époque, on suivait des groupes, on achetait puis écoutait leurs disques, on se réunissait, on vivait littéralement au travers et autour de la vie de ces groupes... aujourd'hui... pfff... tiens, je ne me souviens même pas de la dernière fois que ma fille a acheté un disque ! Elle est en permanence sur Youtube ou Spotify, rien d'autre ! Et puis... L'écriture me tente énormément. J'aime les mots. Je suis un écrivain, qui chante, mais un écrivain avant toute chose ! J'ai toujours aimé la langue Anglaise et l'écriture, depuis l'école... toujours aimé lire... Même si aujourd'hui, je ne lit plus assez, en grosse partie parce que je regarde des films tout le temps ! Mais, bon, je pourrai également écrire pour le cinéma, c'est une réelle possibilité ! C'est en tout cas ce que j'ai envie de vivre, désormais...".
(Fish/le Cargo de Nuit-Arles/extrait de l'interview réalisée le mardi 10 février 2015).
Critique écrite le 28 février 2015 par Jacques 2 Chabannes
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