Chronique de Concert
Fontaines D.C., Wet Leg, Yard Act, Black Country New Road, Working Men's Club, Geese, Cola (La Route du Rock Collection Eté 2022)
Fort de Saint-Père, près de Saint-Malo 18 août 2022
Critique écrite le 01 septembre 2022 par Pierre Andrieu
Après une soirée d'ouverture absolument divine en compagnie d'Aldous Harding et King Hannah la veille à La Nouvelle Vague de Saint-Malo, La Route du Rock débute réellement le jeudi 18 août en plein air au Fort de Saint-Père, avec l'une des meilleures progs de l'année pour fêter ses 30 ans d'activisme indé : Fontaines D.C., Wet Leg, Yard Act, Black Country, New Road, Geese, Working Men's Club, Cola... What else ? C'est de la bombe, bébé ! Pas étonnant que certains fassent 7 heures de route pour assister à ça, avant de repartir vers d'autres cieux le lendemain (ce qui est une monumentale connerie, puisqu' il reste deux jours de fest, mais nous ne jugerons pas). C'est parti pour La Woute Dou Wok (comme disent les Anglais) :
Cola
Deux ex membres du groupe canadien Ought - le chanteur guitariste Tim Darcy et le bassiste Ben Stidworthy - ont fondé Cola avec le batteur Evan Cartwright et sont chargés d'ouvrir la soirée sur la scène des Remparts, qui se situe pile en face de celle du Fort, sur laquelle jouent les têtes d'affiche. La Route du Rock a communiqué sur une édition plus " confort ", et bien évidemment, quand on arrive on se retrouve à patauger dans une sorte de bourbier (il a plu récemment) avec une sympathique odeur de merde, il faut bien appeler les choses par leur nom. On hésite à envoyer un tweet bien senti (hahaha). Et puis on se dit qu'on va d'abord profiter du post punk tendu et près de l'os servi avec un air détaché sur les planches par Cola. Une découverte qui fait clairement le job : c'est sec, accidenté, porté par des lignes de basse assez monstrueuses et un chant aussi nonchalant que gentiment arrogant. Bref, ça marche, et ça donne envie d'écouter le disque du groupe, le très réussi "Deep in View" (dispo sur bandcamp) et de suivre ses futures aventures.
Black Country, New Road
Il fait beau et chaud (pas une goutte de pluie à l'horizon), on est entouré de potes bretons, parisiens et clermontois qui sont tous très cool et d'humeur festive, Black Country, New Road arrive sur scène, toutes les planètes sont alignées et c'est assez rapidement magique. Le très hype groupe anglais joue au soleil couchant, interprétant avec candeur, passion et émotion ses morceaux de pop à la fois euphorisante, échevelée et touchante. Forcément, le public réagit à la hauteur de ce que donne la troupe sur scène, et ça donne une atmosphère géniale où tout le monde se sent bien et où il est très facile de tomber amoureux du ou de la premier(ère) venu(e).
La musique est un cri qui vient de l'intérieur - oui, c'est vrai, Bernard -, mais c'est aussi et surtout un moyen unique d'entrer en contact avec les gens, de les faire vibrer ensemble dans un même élan en pensant que la vie est belle. Voir les très jeunes et très beaux Black Country, New Road mettre tout leur cœur pour jouer leurs morceaux et finir émus comme des gamins, ça n'a pas de prix. Et ça rappelle les magistraux débuts d'Arcade Fire, ce qui n'est pas rien quand même. C'est cool de voir le groupe en bien meilleure forme qu'à Levitation cette année, un concert où on avait pu déceler le potentiel de BCNR, mais où les musiciens étaient encore trop timorés et marqués par le départ de leur leader. Désormais, sans lui (ou avec, s'il revient, ce qui est possible... ), on peut prédire des lendemains qui chantent au collectif anglais où les instruments et les micros virevoltent de mains en mains.
Geese
Il est 21 heures, tout le monde commence à être bien chaud dans le public, c'est le groupe new-yorkais Geese qui est chargé d'électriser la foule sur la scène des Remparts, avec un set foutraque, rock and roll et branleur à souhait. La troupe bigarrée est habillée n'importe comment, arbore des cheveux longs et se fait forte de tout démonter en deux temps trois mouvements : le chanteur se jette partout, les guitaristes font pareil, le batteur saccage son instrument et les bassistes et claviéristes font leur taf comme il faut. Mention pour le dernier cité qui joue parfois sur une guitare synthés à la Michel Berger (repose en paix petit ange parti trop tôt, à jamais dans nos cœurs comme auteur de "Diego, libre dans sa tête").
Si sur disque l'indie rock, parfois à la Strokes, de Geese peut paraître un peu formaté ou trop propre, sur scène c'est le grand n'importe quoi, tout est joué de manière bien crade et ultra réjouissante. Tant et si bien que tout le monte pète les plombs, hurle en pataugeant dans les flaques de boue et kiffe sa life à fond. Oui, Geese a un effet rajeunissant sur l'auditeur et donc également sur le niveau de langage utilisé... Voilà, à part ça il est fortement recommandé de voir ces mecs très agités en live !
Wet Leg
Cette soirée est "parfaitement parfaite" de a à z, mais la présence de Wet Leg (jambe mouillée in french, ouch !) est un gros plus, le groupe originaire de l'île de Wight - réputé très bon sur scène - ayant sorti un disque aussi génial qu'excitant. Bien calé dans les premiers rangs avec deux potes, on ne peut que constater l'étendue des "dégâts" sur notre humeur - réjouie -, notre alcoolémie (très bonne, cette pale ale "Indie Way" spéciale Route du Rock), notre envie de faire le con et nos petites idées derrière la tête. Comment rester de marbre devant un tel étalage de classe à l'état pur ? Habillées comme des mormonnes, mais avec des airs mutins pas très catholiques, les deux chanteuses guitaristes Rhian Teasdale et Hester Chambers sont aussi craquantes que douées et drôles. Et les trois mecs qui les accompagnent (c'est un vrai groupe) sont des killers, des Anglais sûrs, qui boostent les chansons avec une guitare en plus, parfois un synthé, et une rythmique basse batterie bien dans ta face.
Entre deux messages en français ou fous rires, Wet Leg propose une set list truffée de tubes indie rock & punk, avec en points forts le chant ultra sexy de Rhian Teasdale, qui a un registre très large pouvant aller de cris aigus à la voix gravement sensuelle, et les textes savoureux truffés d'allusions sexuelles hilarantes, de petites piques qui envoient la gent masculine se faire mettre et de punchlines dingues. Tout le public fini chauffé à blanc (oui, même le mec déguisé en homard) avec une sérieuse envie d'aller backstage boire des bières chaudes en bonne compagnie, sur une chaise longue cela va sans dire. Et ouais, après avoir joué tous ses hits ("Being in Love", "Wet Dream", "Supermarket", "Ur mom"," Too late now" et "Angelica"), Wet Leg termine son show avec la jouissive perle rare que l'on peut écouter en boucle sans se lasser, "Chaise longue". Pendant laquelle, sur la fameuse phrase bien hot "Is your muffin buttered ? Would you like us to assign someone to butter your muffin? Excuse me ? " le public hurle d'énormes "What?". Après le show, pas de pass backstage, mais pour savoir si on a apprécié une meuf un peu bourrée (comme nous) nous demande si notre slip est mouillé. On répond "Bah oui, et toi t'as la culotte trempée ?" La réponse est affirmative... Libido en berne ? Une solution existe : Wet Leg !
Yard Act
Et là c'est l'enchaînement infernal, le roller coaster de la mort, avec Yard Act, qui déglingue tout en deux deux sur la scène des Remparts. Les Anglais à l'accent à couper au couteau ont clairement la dalle, ils semblent revenus en forme après leur récent petit break post burn out, en ont profité pour boire (ou prendre des produits dopants) et foutent littéralement le feu avec leur post punk aux textes revendicatifs. Ça joue bien énervé et serré, avec une énorme envie de tout péter, particulièrement chez le chanteur, intenable dans son imper (il n'a pas compris qu'il faisait chaud et sec ce soir... ) et le guitariste, un authentique bûcheron anglais à moustache, dans la lignée de Mark Bowen d'Idles.
Quand des Britons loin d'être cons et doués pour trousser des tubes qui claquent se la jouent sauvage (comme Johnny Depp dans la pub Dior, hahahaha... ), cela a de fortes chances d'aboutir à un truc d'anthologie, ce qui est le cas ici. Toute la fosse est en pogo, slam et joie, Yard Act ne laisse pas un seul moment de répit à ses fans (nouveaux ou plus anciens) et les canarde de morceaux tous plus hystériques et percutants les uns que les autres. Ce concert était énorme, et beaucoup de personnes présentes ont parlé, à juste titre, de meilleur show de la soirée, qui n'en a pourtant pas manqué !
Fontaines D.C.
Les têtes d'affiche du festival, Fontaines D.C., débarquent ensuite sur scène pour mettre tout le monde d'accord avec un set proprement hallucinant. Certes, il n'y a pas beaucoup de communication ou d'interaction avec le public, certes le look jogging/marcel du chanteur est discutable, mais à part ces petits détails tout est impec : le combo irlandais relocalisé à Londres présente dans les grandes largeurs son dernier album (un véritable chef d'œuvre ce "Skinty Fia" !), avec tout ce qu'il faut de punk attitude, de guitares saignantes et de chant frontalement agressif. C'est la classe ultime, et c'est servi avec gros son + scénographie & lights sobres mais efficaces (le nom du groupe qui s'éclaire lettre par lettre en fond de scène).
Joie intense et sensation de chaleur dans tous le corps, le premier morceau du show n'est autre que le bouleversant "In ár gCroíthe go deo", un titre quasi a capella d'une intensité émotionnelle peu commune. Avec en bonus des chœurs beaux à pleurer, ce que l'on hésite un peu à faire d'entrée. La suite est une enfilade de tubes absolus signés par l'un des meilleurs groupes actuels toutes catégories confondues : "A Lucid Dream", "Hurricane Laughter", "Roman Holiday", "Televised Mind", "Jackie Down the Line", "Skinty Fia" etc. Que du bon, du tranchant, de l'électrisant !
On pourrait égrener toute la set list tant elle fait figure de modèle du genre, mais on ne le fera pas, on se contentera de signaler à votre aimable attention que les deux derniers titres sont également des hits en forme d'uppercuts : "Boys in the Better Land", qui revisite en mode accéléré et punk les accords de "Gloria" de Them, et "I Love You", une sorte de ballade punky où les jeunes irlandais qui jouent les durs en live laissent entrevoir leurs cœurs gros comme ça. Et leurs sérieux penchants pour la pop mélodique. A très vite messieurs ! A Rock en Seine ?
Working Men's Club
Après un arrêt au stand pour se sustenter et éponger un peu le houblon, Working Men's Club se charge de nous apporter une dernière dose de gros son qui tabasse pour le soir. Le groupe anglais a clairement mis la pédale douce sur les guitares par rapport à La Route du Rock Hiver en 2020, s'orientant vers un son tout électronique et dansant évoquant un New Order 2.0. Emmenée par un chanteur aussi étrange que perturbé - c'est quoi cette façon de bouger comme un taré complétement foncedé ? -, le combo remonté à bloc balance des titres à réveiller un mort, des titres qui pourraient faire croire qu'on est en présence d'un LCD Soundsystem jeune, voire éventuellement entraîner un décès rapide par overdose de beats sur le dance floor. Quand on tourne à la bière c'est incroyablement puissant, si on est plutôt du côté "drogue" de la force ce doit être encore mieux. Cela dit, loin de nous l'idée de faire du prosélytisme, la guedro c'est mal. Que chacun agisse en son âme et conscience en faisant tourner dans les enceintes ce groupe extra-terrestre qui connaîtra bientôt un succès planétaire... Bonne nuit, et faites de beaux rêves (humides) !
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Critique écrite le 01 septembre 2022 par Pierre Andrieu
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