Chronique de Concert
Genesis (Tony Banks, Phil Collins et Mike Rutherford - The Last Domino Tour 2022)
Voyage aller : je suis dans le train au départ de Marseille et en direction de Paris lorsque j'écris ces quelques lignes. Ce soir, mercredi 16 mars 2022, je vais voir Genesis, mon groupe préféré, celui qui me suit depuis des décennies pour la dernière fois. La décision de me rendre à ce concert n'a pourtant pas semblé à première vue couler de source. Échaudé par les prix délirants des places (160 balles pour la mienne, loin d'être un premier choix), inquiet quand à l'état de forme de Phil Collins, chanteur mais plus batteur, cloué sur une chaise durant l'intégralité du concert, soutenu pour la première fois dans le groupe par des choristes, j'ai eu pendant longtemps l'impression que cette tournée était un symbole du "tout pour le pognon" qui ronge notre société (et pour être parfaitement honnête, cette idée trotte encore dans mon cerveau à l'heure actuelle). Je m'étais fait la réflexion quand j'avais eu la chance de chroniquer le concert d'Elton John à Nîmes il y a quelques années qu'il était quand même triste de constater que ces grands artistes des années 60 et 70, qui sont en train de tirer leur révérence les uns après les autres ne le fassent pas devant le public populaire qui les a porté durant souvent plus d'un demi siècle. Le gros des fans de ces gens-là ne ressemblaient pas à la "clientèle premium", capable de lâcher plusieurs centaines d'euros par place, visée par les multinationales qui produisent des spectacles. Ce "grand public" qui a fait la fortune d'Elton, de Phil Collins ou des Stones est constitué de messieurs et de mesdames tout le monde, qui surveillent probablement leur budget comme le lait sur le feu à l'heure actuelle... Mais voilà, en ce qui me concerne, Genesis relève de l'irrationnel, du viscéral tant ce groupe a fait partie de ma vie aussi loin que je me souvienne.
En tant que fan de rock, mes trois grandes références, les artistes que j'ai probablement le plus écouté dans ma vie sont les Stones, Bruce Springsteen et Genesis. Je considère les premiers comme un pan de l'histoire du 20ème siècle, des symboles de la jeunesse éternelle, ils ont contribué à façonner le monde tel qu'on le connait. Bruce Springsteen est sur scène le plus grand performer de l'histoire, le type qui a fait les meilleurs concerts que j'ai vu, en plus d'être le porte voix d'une génération américaine. Il n'y a rien d'aussi grand chez Genesis, les anciens membres de la Charterhouse School n'ont jamais défrayé la chronique, jamais été cools, jamais eu l'approbation de la critique, ils n'ont accompagné aucun mouvement sociétal ni porté aucun message politique. Aucun garçon n'a jamais suscité l'intérêt d'une jeune fille en lui exprimant son amour pour ce groupe. Mais malgré toutes ces raisons (et peut-être en partie grâce à elles) Genesis, c'est mon groupe, ils sont à moi. C'est le plus mineur des groupes majeurs, mais je me suis toujours reconnu en eux. Ce quintette, devenu quatuor puis trio, cette alliance de fans de soul américaine de pop européenne, devenu étendard du rock progressif au début des années 70, qui a connu de plus en plus de succès au fur et à mesure que ses effectifs se dépeuplaient (et que son second chanteur se déplumait) à toujours su produire une musique qui a su m'accompagner. Que ce soit dans leurs doutes constants (il faut voir le document "Come Rain of Shine" pour croire qu'un groupe qui a vendu autant de disques carrière peut aborder une tournée avec si peu de certitudes), dans leur discrétion, leur façon de se réinventer en permanence tout en gardant leurs fondamentaux, leur idée de toujours privilégier le collectif devant l'individuel ou dans la bonhomie et la simplicité de Phil Collins, ils ont toujours été porteur d'un je ne sais quoi qui me touchait. Dans les bons moments que j'ai vécu, il y avait Genesis, dans les moments plus difficiles aussi, quand j'ai passé le bac ils étaient là, et là que j'approche tranquillement mais sûrement de mes 50 ans ils sont toujours là. C'est pourquoi au final, ma présence dans ce Ouigo aujourd'hui en route vers Paris et la U Arena pour les voir une quatrième et dernière fois, 30 ans pile après la première relève d'un faux suspens. Les dés étaient pipés, j'avais beau me raconter des histoires, il était écrit que si ces gens là faisaient une dernière tournée, je ferais le maximum pour y être...
Voyage retour : bah voilà, c'est fini. Après le faux suspens (ira t'il les voir ? N'ira t'il pas ?), je suis dans le train au départ de Paris en direction de Marseille après avoir vu Genesis hier soir à la Paris la Défense Arena. Premier concert de cette ampleur en France depuis 2 ans et baroud d'honneur d'une génération en train de tirer sa révérence. C'était d'ailleurs facile à constater avant le concert en contemplant le public, les cheveux blancs se disputant avec les calvities pour savoir qui aurait la suprématie de la meilleure représentation. Après avoir tenté sans trop de succès de surclasser nos places à la hussarde nous nous sommes installés et avons patienté avec les tubes de la Motown diffusés sur la sono. Il est 20h30 précise lorsque les lumières s'éteignent et que retentit "Dead Already", la BO du film "Americain Beauty", thème d'entrée déjà utilisé lors de la tournée 2007 (pourquoi un morceau aussi fadasse ? L'histoire ne le dit pas) et que le public réserve une standing ovation au groupe, et notamment à Phil Collins pour l'encourager à monter avec difficulté et fragilité les quelques marches qui vont l'amener sur scène. Ce moment, à cheval entre l'émouvant et le pathétique, sera en quelque sorte la note d'intention de la soirée.
Débutant par l'instrumental "Duke's End"(comme en 2007) ce n'est qu'au deuxième morceau, le tubesque "Turn it on again" que Collins fera véritablement son entrée dans le spectacle. Et force est d'admettre que, effectivement, tout le public comprend de suite (pour ceux qui ne le savaient pas) à quel point le chanteur, trublion facétieux des années 80, est diminué. Que ce soit dans dans le timbre de sa voix ou sa gestuelle Phil Collins est désormais un vieillard incapable de jouer de la batterie ou de tenir certaines notes, se trompant même quelque fois sur les paroles ou la structure des morceaux. Mais ce qui m'a le plus interpelé, c'est le manque d'attaque, de peps sur la voix. Collins qui était un chanteur "péchu" avait sa façon de placer sa voix une micro seconde avant le temps, là où ici il semble toujours un poil en retard sur ce dernier, son chant ne sonnent pas "faux" mais "mou". Ce ressenti étant amplifié lors des transitions entre les passages instrumentaux et chantés. Son fils Nic ayant pris brillamment le relai sur cette tournée à la batterie, c'est à lui à 21 ans que revient la lourde tâche de tenir la baraque sur des structures musicales complexes. Et, bon sang ne saurait mentir, il est la totale révélation de cette tournée, ayant hérité du jeu puissant et du son de caisse claire très 80's de son paternel, il apporte une cure de jouvence à un groupe qui emporte haut la main la mise sur les passages instrumentaux. Malheureusement en comparaison, le retour au réel sur les passages chantés semble forcément un peu tristounet et mouligasse.
On est très loin de la triste performance de Renaud lors de sa dernière tournée, mais je peux comprendre que le groupe ne souhaite pas laisser cette image de lui, étant donné qu'ils ont annoncé que ne seraient édités ni album live, ni captation vidéo pour cette tournée (initiative que le staff de Renaud aurait été bien inspiré de suivre).
Néanmoins, on sent que pour ces dernières dates, il leur tenait à cur de laisser une bonne image et de proposer un spectacle à la hauteur de leur carrière. Et effectivement, le light-show est prodigieux, le son superbe et puissant (un peu en retrait quand même sur les deux trois premiers morceaux avant d'exploser vraiment sur un "Land of Confusion" terriblement d'actualité). La setlist est plutôt inspirée avec quelques surprises comme ce "Duchess" rarement mis en avant par le passé, un set "acoustique" avec de beaux arrangements sur "The lamb lies down on Broadway" ou "That's All", très peu joué auparavant. Je pense que j'avais préféré la liste de la tournée 2007 (déjà une sorte de tournée d'adieu) mais celle ci n'a pas vraiment à rougir de la comparaisons (même si j'aurais bien aimé un peu de l'instrumental de "Fading Light" à la place de l'enchaînement direct avec celui de "Cinema Show"). Un spectacle généreux donc, avec une mise en scène entièrement orientée sur la prise en charge des fragilités de son chanteur, notamment par l'utilisation de deux choristes servant souvent mais efficacement de cache-misère. Par exemple, j'ai cramé que le "AIE" dans "AIE CAN'T DANCE" n'était jamais chanté par Collins qui se contentait de chanter le "CAN'T DANCE", et intelligemment, qu'il n'était jamais filmé sur cette première partie de la phrase. C'est un peu de la triche, ça m'a donné un peu l'impression de griller l'usage d'une doublure lors d'une cascade du héros d'un film d'action, mais dans l'ensemble l'illusion fonctionnait assez bien. De toute façon, en ce qui me concerne, malgré ces réserves, j'ai vécu une soirée riche en émotions, le gonfle et les larmes me venant souvent au fil d'un concert se terminant par deux morceaux datant de l'époque Peter Gabriel. Tout d'abord l'intro quasi à capella de "Dancing with the moonlight Knight" enchaînée avec "The Carpet Crawlers". Un final bouleversant, ou Collins, mis alors en avant, assume totalement sa fragilité. En 2007 ils avaient aussi terminé le la sorte, mais à l'époque ce final était porteur d'un espoir, ils étaient alors en tractation pour reformer le line-up "historique" avec Steve Hackett et Peter Gabriel (sans succès). Ici, ce final porte un sens différent, bien plus crépusculaire...
Et voilà, je suis sur le chemin du retour. J'ai aujourd'hui la certitude que je ne verrai plus jamais en concert ces musiciens qui m'ont accompagné toutes ces décennies, et dans quelques jours, une maigre poignée de concerts, le groupe n'existera plus. Mais les souvenirs de cette soirée, comme celles de 1992, 1998 (avec au micro, une longue histoire pour une autre jour) ou 2007 continueront de m'accompagner pour longtemps. Sans jamais être les meilleurs lives que j'ai pu voir, ils resteront toujours des moments extrêmement privilégiés qui m'accompagneront toujours. Reste quand même une réflexion que je me suis faite en sortant. Comment un groupe faisant une musique aussi pénible à pu avoir autant de succès ? Car, ne nous voilons pas la face, ce rock progressif est quand même le style musical particulier. Jamais cool, jamais sexy, jamais dansant. Lorsque ma femme me surprend, honteux, en train d'écouter ces interminables passages instrumentaux et qu'elle me balance à la face que ça lui rappelle le bruit que fait un animal en train de mourir, je suis bien en peine de lui répondre quoi que ce soit de pertinent pour ma défense. Alors que moi j'aime ça à la rigueur allez, je suis peut-être tordu, c'est possible, je peux bien l'entendre. Mais que d'autres personnes aiment aussi ça me dépasse. Et ce questionnement, lui aussi, m'accompagnera encore longtemps.
Photos : Patrice Guino https://rockerparis.blogspot.com/
Critique écrite le 17 mars 2022 par Fred Boyer
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Execeptionnel concert de monsieur Phil Collins, concert joué dans des arénes archi-pleines il a vraiment donné tout ce qu'il avait pour offrir aux arénes un superbe concert.
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