Accueil Chronique de concert Godspeed You ! Black Emperor + Colin Stetson
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Chronique de Concert

Godspeed You ! Black Emperor + Colin Stetson

Espace Julien, Marseille 28 janvier 2011

Critique écrite le par

Monsieur Philippe,

ayant décidé de m'éloigner de la pratique des annonces et "reports" de concerts marseillais (atterré par le niveau habituel des prestations et des compositions sur lesquelles j'ai dû jeter mes yeux et mes oreilles lors de mon trop long contrat pour le journal Ventilo - un journal plein de bonnes volontés au demeurant), je ne me destinais pas à participer à un tel débat que vous semblez vouloir provoquer au sein du public de ce concert particulier.

Mais je me trouve dans l'obligation de le faire. Parce qu'enfin... merde ! Des concerts aussi puissants, avec tant de maîtrise, d'immersion, de résonances et d'envergure... on n'en voit presque jamais par ici !

Vous pourrez contester tous les autres points (si vous le souhaitez), mais celui des résonances et de l'envergure émotionnelle est littéralement INDISCUTABLE. Oui, car c'est subjectif. Alors je vais vous raconter tout ça et théoriquement, vous n'aurez rien à me répondre.

Résonances de nature physique d'abord. Des vibrations (infra-basses) qui ont commencé à peine les musiciens s'étaient t'ils installés, parcourant nos poitrines et même nos oreilles à tel point que je me suis demandé si celles-ci n'allaient pas être meurtries une fois que les musiciens auraient commencé à jouer vraiment. Cela a été un peu le cas mais je dois dire que ma position (devant vers la gauche) m'a tout autant permis d'apprécier la texture du son qu'il a fait souffrir mes oreilles. En clair : Godspeed, depuis ma position, c'était de la "noise", c'est à dire des crépitements de fréquences aux contours cristallins, limpides, dont la rondeur, la pureté formelle, brille de mille feux au sein d'un océan d'impureté formel (la saturation créant un bruit grisâtre qu'on appelle communément "bruit blanc"). Cela, monsieur, vous devez bien le savoir, mais je pense que vous étiez mal situé.

Des résonances de nature émotionnelle m'ont aussi et surtout frappé. Autrement dit, j'ai ressenti des choses très fortes en entendant certains passages (jamais toutefois durant les longues phases méditatives, plutôt durant les phases de déchaînement sonores, les milieux ou fins de morceaux). Une fois, dans la floraison d'un arpège de violon divinement amplifié et répété à l'envi, c'était l'"Amour" que je ressentais, un amour qui transcende tout, qui m'a fait me rapprocher d'une fille que je ne connaissais pas personnellement (une amie mutuelle) et frotter mon bras nu au sien durant une ou deux minutes avant de constater, gêné, qu'elle n'assumait guère ce qu'elle avait (laissé) faire (une autre hypothèse est qu'elle n'avait rien remarqué du tout mais je préfère ne pas y penser...). Plus tard, lorsque les deux batteries s'emballaient et allèrent jusqu'à se mêler aux guitares en fusion, c'était carrément la force de Vie elle-même, le souffle vital, le sursaut d'énergie, le déchaînement des forces actives qui avait pris possession de mes pensées.

Bien sûr, ce n'était pas tout le temps. Il y avait des temps morts. Bien sûr, 2h30 c'est long et j'avais mal aux jambes (il y avait trop de monde pour pouvoir se les dégourdir en dansant : on ne pouvait que se dandiner sur place).

Mais ces structures musicales en escalier, que je critiquais en disque (leurs phases molles sont souvent ennuyeuses, atones, je vous le concède, mais ce n'est encore une fois que mon avis), je les ai comprises comme naturelles durant le concert. Une respiration, puis une construction, puis un déchaînement... Une chose après l'autre. Comme en écriture, en critique : on commence doucement, laborieusement, et une fois la vitesse de croisière atteinte, on balance la sauce, la vraie, celle qu'on attendait patiemment de pouvoir délivrer. Comme dans la vie urbaine que je mène : on écarte patiemment toutes les mauvaises herbes (corvées ménagères, travail alimentaire), on se met en train avec délicatesse (cuisine saine et sport, discussions nourries), avant de pouvoir se déchaîner : danse psychédélique, ingestion massive d'alcool, même ou convergence vers les autres... car ça demande d'avoir la tête à soi, d'être dans les bonnes dispositions, de s'ouvrir aux autres ou à l'univers cosmique.

Ensuite, on va pouvoir recommencer, mais on doit repartir en douceur...

Monsieur Philippe, je vous serai gré, la prochaine fois que vous critiquerez un groupe/artiste, d'imaginer une seconde quelles pourraient être les limites de vos arguments chez vos lecteurs potentiels. Mais comme je sais que vous n'en ferez rien, je vous dis à très bientôt...

> Réponse le 01 février 2011, par Philippe

Je n'ai rien à répondre, cher Jonathan, dont acte ! Mais en fait si : je voudrais vous remercier pour cette réponse de haut vol, argumentée et littéraire, qui renvoie ma réaction purement épidermique de rejet de ce groupe, à sa qualité ... de simple réaction, donc pas intellectuelle du tout (et rédigée selon la technique de mauvaise foi poussée au maximum de notre maître à tous, celui que j'ai déjà cité dans la chronique, quand il n'aimait pas quelque chose). Je vous sAUrai gré de bien vouloir continuer à me lire donc, et même à me répondre, tant votre réponse m'a renvoyé avec élégance dans les cordes et (donc) fait grand plaisir à lire, merci !  Réagir