Chronique de Concert
Hubert-Félix Thiéfaine - 40 ans de chansons sur scène (+ Archi Deep)
Et puis le temps passe, on grandit, on vieillit. Pour cela on doit brûler sur l'autel du temps qui passe certains de nos rêves, certaines de nos idoles. Thiéfaine n'a pas survécu à l'Université, remplacé qu'il fût par son maître, Léo Ferré. Et puis c'est vrai que son point faible c'est la musique, parfois balloche, souvent variétoche, et les années 90 ne l'ont pas aidées. Lui, plutôt au creux de la vague et les Noir Désir, les Bashung prenant la place laissée dans la chanson d'inspiration poétique. C'est ainsi que celui qui fête aujourd'hui ses "40 ans de chansons sur scène" a disparu progressivement de mes platines. Et le temps continue d'avancer inexorablement emportant avec lui Léo, Alain, Noir Désir. Thiéfaine, lui, a continué son chemin avec des hauts et des bas, de moins en moins de bas et de plus en plus de hauts. Il a aussi eu la bonne idée de s'entourer des bonnes personnes : Yann Péchin entre autres, celui qui avait tant marqué "La Tournée des Grands Espaces de Bashung. Et puis son fils, Lucas qui redonna un sens à la musique et peut être à la vie de Hubert-Félix. Les copains de plus en plus souvent me disaient "tu devrais venir le revoir en concert, c'est vachement bien !"
Arrive donc cette tournée des 40 ans de carrière... Putain, 40 ans ! Et cette réédition des albums en vinyles. Ma carte bleue qui chauffe et mes oreilles qui se rappellent, les souvenirs qui reviennent, le plaisir qui revient, intact, l'émotion qui sur certains titres se trouve renforcée par l'expérience, par une compréhension nouvelle. La décision est donc prise : direction le zénith d'Auvergne.
Samedi 17 Novembre 2018, 5 heures de l'après midi. L'automne qui dégouline fait briller le macadam et pousser... les gilets jaunes. Le trajet qui normalement aurait dû être de 40 minutes se rallonge, et on visite notre belle Auvergne par moult tours, détours, bifurcations. "Tourne à gauche, non l'autre gauche !!!", "Putain de GPS de merde !!!", "T'es certain que c'était là ?", "La vache, j'ai la gerbe !!" Bref, nous arrivons au Zénith d'Auvergne à 19h30. Pour l'instant, il y a peu de personnes présentes à 30 minutes du début. Mon portable vibre sans cesse, assistance et guidage routier à distance.
Archi Deep
20h arrive, il y a une première partie : Archi Deep, soit un batteur barbu avec du rouge à lèvres et un guitariste glabre avec du rouge à lèvres et au dessus d'eux une affiche avec un chimpanzé poilu avec du rouge à lèvres. Le style est simple, du bon gros rock sans fioriture, de bons riffs, des textes en anglais. Un truc genre White Stripes avec un vrai batteur et Black Keys en moins complexe. Une belle énergie sur scène, des morceaux bien énervés, parfois limite punk, un octaver efficace, de belles chorégraphies cymbalières. Un set très court, de moins de 30 minutes, mais largement suffisant pour mes organes creux, menaçant d'exploser sous les coups des infra basses. C'est dommage parce que l'album, produit par Lucas Thiéfaine, est très intéressant.
Hubert-Félix Thiéfaine
20h45 : après quelques mises en place et accordages des multiples instruments, le spectacle est prêt à commencer. Hubert-Félix Thiéfaine et ses 10 musiciens vont pouvoir entrer en scène. Parce que pour cette tournée des 40 ans, Monsieur Thiéfaine s'offre deux claviers, deux violoncelles, un saxo basse, un batteur, un bassiste et trois fidèles guitaristes : son fils Lucas, le discret gaucher Alice Botté et le flamboyant Yann Péchin. De plus, la scénographie est magnifique, les jeux de lumières seront très beaux (sauf évidemment sur les trois premiers morceaux !). La salle est enfin pleine, c'est parti !
Hubert-Félix Thiéfaine avait annoncé une tournée avec des morceaux anciens en priorité, des titres peu ou jamais joués sur scène, réorchestrés pour l'occasion. Quelques fumées et odeurs suspectent s'élèvent dans la fosse, c'est rassurant, c'est bien un concert de Thiéfaine. Les lumières s'éteignent, et nous voilà le "22 mai", premier titre joué et aussitôt les paroles qui reviennent en tête, inoubliées contrairement à toutes ces poésies subies à l'école. Mais un souci reste présent : le son. Dégueulasse. Des basses, des basses et des basses. Heureusement la voix de Hubert-Félix sort du mix, contrairement aux guitares, violoncelles, sax et claviers qui vont avoir du mal à être audibles toute la soirée. Malgré une légère amélioration au fil des 2 heures 30 de concert, il est quand même incroyable que dans un équipement tel qu'un Zénith on arrive à avoir un son presque aussi moche que dans une Maison des Sports il y a 30 ans. La voix de Thiéfaine, parlons en. Elle est là, riche, ample, ayant gagné en profondeur, malgré semble-t-il un gros rhume. Thiéfaine chante bien qu'on se le dise une bonne fois pour toutes.
Essayant difficilement de mettre de côté ce son, je me concentre sur le spectacle. Un canapé genre Chesterfield est installé en milieu de scène, éclairé par une lampe. Sur un coin de scène un perroquet (pas l'oiseau, le porte-manteau !) supporte quelques éléments de costumes. "Stalag-tilt" arrive comme second morceau suivi de "Eloge de la tristesse", histoire de mettre un peu de joie dans la salle ! Yann Péchin fait sa première apparition sur une estrade dans un coin de scène pour jouer "Les dingues et les paumés" puis "Éloge de la folie". Quelques inquiétudes, heureusement passagères, sur la voix de Thiéfaine, qui semble faiblir sous les assauts répétés de multiples quintes de toux. Toutefois, son organe tiendra et se renforcera même au court de la soirée.
Le morceau suivant "Crépuscule-transfert", inspiré à la fois par Félix l'ancêtre de Hubert-Félix, précepteur à la cour de Bosnie-Herzégovine au début du 20ème siècle et par la tragédie de Sarajevo. Ensuite, tout les musiciens, vêtus de noir entament le titre nostalgique "La ruelle des morts", puis dans une version assez jazzie "La vierge au Dodge 51", dont le texte drôlement surréaliste est repris en chur par la salle. Et franchement ça fait vraiment plaisir de réentendre et de chanter ce morceau ! Le titre suivant, "Septembre rose" est dédicacé à son second fils Hugo. Thiéfaine, très marqué dans sa jeunesse par la religion catholique entame alors un magnifique "Critique du chapitre 3", accompagné par les deux violoncelles enfin audibles grâce à l'absence de la basse sur ce titre. Lucas pose alors la guitare pour se mettre aux percussions pour lancer un "Lorelei Sebasto Cha" aux teintes tropicales.
On rentre alors dans le sérieux, les musiciens et Hubert-Félix tombent la veste, "Exil sur la planète fantôme", titre composé dans les années 70 dans une chambre d'hôtel de Pigalle dans laquelle aurait vécu Baudelaire. C'est la transition idéale pour évoquer Arthur Rimbaud dans "Affaire Rimbaud". "Confession d'un never been", permet à Yann Péchin d'entrer dans une transe sonique dont lui seul à le secret, rendant ce morceau plus rock grâce au son de sa guitare passant par dessus le mix général. "Mathématiques souterraines" permet à un spectateur surgissant du passé de sortir la flamme de son briquet, ce qui a une autre gueule et une autre symbolique que la lumière d'un portable. Le son qui s'est un peu amélioré permet d'apprécier enfin les hurlements du saxo, à la limite du free jazz sur "Vendredi 13 à 5 heures". Puis, à la grande joie du public, Thiéfaine nous joue, tel un acteur, l'incroyable histoire de "L'agence des amants de Madame Müller". S'ensuivent deux titres, parfois un peu mièvres, pour amours ratées d'adolescence, mais dont la simplicité des mots marche toujours : "Je t'en remets au vent" et "La dèche, le twiste et le reste". Ce n'est pas toujours facile de composer à l'ombre du grand Léo, et "La vie d'artiste " est un titre difficilement atteignable.
Après une première sortie de scène, Thiéfaine vient s'asseoir sur le canapé avec son fils Lucas à la guitare sèche nous interprète, à mon grand plaisir, "Un automne à Tanger", l'un de mes titres préférés de Thiéfaine. Ce titre se termine par un beau clin d'il plein d'amour et de complicité entre père et fils. Il est alors l'heure de prendre "L'ascenseur de 22H43" pour aller s'enfermer "Dans les cabinets (avec la fille des 80 chasseurs)", titre pendant lequel l'un des claviers se transforme en David Guetta de sous-préfecture. Vient alors un des titres les plus emblématique dans les concerts de Thiéfaine, le très, à nouveau, inspiré de Ferré, "Alligator 427", qui malgré un très beau plantage sur les paroles se termine sur un envoûtant "Je vous attends, Je vous attends". Comme toujours un moment très fort, suivi directement par un "Sweet amanite phalloïde queen" repris à pleine voix par tout le Zénith.
Thiéfaine revient, pour ce second rappel, redingote sur le dos, haut de forme sur la tête et lunettes de soleil sur le nez pour une jouissive "Maison Borniol", précédant un "Soleil cherche futur" très rock. Ce second rappel se termine par un des textes les plus politiques de Thiéfaine : "Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable". Le public commençant à entonner des "Oooooh oh, oh oh oh oh", annonçant le titre boulet de Thiéfaine, celui que tout le monde connait, que l'on est obligé de jouer chaque soir même s'il ne représente en rien le reste de 40 ans de carrière. Mais avant de subir cette "Fille du coupeur de joints", Hubert-Félix nous gratifie d'un magnifique "Toboggan", titre peut être jamais joué en live. Le truc pour lycéen bourré étant passé, nous nous quittons, après avoir salué les musiciens et le road crew de la tournée, sur l'une des plus belles chansons d'amour française : "Dernière station avant l'autoroute".
En bilan de cette belle soirée, des visages revus, des souvenirs, un spectacle de qualité, mais hélas tout cela perturbé, amoindri par un son décidément pas à la hauteur. J'ai presque hâte de la sortie de l'inévitable DVD live pour prendre toute la mesure des talents qui étaient sur scène ce soir. Si vous aimez ou avez aimé Thiéfaine, cette tournée anniversaire est à ne pas rater. Si vous ne le connaissez pas c'est aussi l'occasion de découvrir un grand artiste, un bon chanteur et de prendre 2 heures 30 de surréalisme dans les oreilles.
Photos : Yann Cabello www.yanncabello.com, www.facebook.com/yann.cabello.7, twitter.com/YannCabello, instagram.com/yanncabello...
Critique écrite le 18 novembre 2018 par Jérôme Justine
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> Réponse le 21 novembre 2018, par Lol
Franchement bravo pour cette chronique et notamment son introduction dans laquelle je me suis retrouvé à 2000%. Très déçu de ne pas avoir assisté à cette tournée dont La set list regroupe toutes les chansons que j' aime chez Thiéfaine. Moi aussi, je l'ai laissé tomber dans les années 90 pour les mêmes raisons que toi mais également à cause d'un concert à La Cigale où la direction musicale était mauvaise avec une atmosphère blues rock country... Réagir
> Réponse le 14 août 2020, par Alex
Bon, vous avez un style d'écriture qui sort du lot. Bravo. Réagir
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