Bonjour Imhotep ! Merci d'avoir accepté de prendre le temps de répondre à ces 7 questions... Cela fait des années que je te croise sur scène ou dans le public (Affranchi, Dock mais aussi Machine à Coudre) et c'est finalement par mail que je m'adresse à toi pour la première fois. Comme tu le sentiras peut-être ou en tout cas le liras plus bas je ne suis absolument pas expert en hip hop, même si j'essaie de suivre la scène locale d'aussi près que possible tous styles confondus ...


1) Vous êtes revenus de manière très convaincante avec Arts Martiens et à peine plus de six mois après sort ... IAM. Faire un album en communiquant sur le fait qu'il est constitué de chutes du précédent, n'est-ce pas un axe de communication étrange pour valoriser ces morceaux ? Comment faut-il comprendre cette communication autour du "dernier" album ? Était-ce une volonté de la maison de disques ? (ou au contraire un façon pour vous de vous en affranchir en disant "dernier en major" ?)

Contrairement à ce que tu affirmes dans ta question, nous n'avons jamais communiqué sur le fait que ... IAM était fait de chutes de Arts martiens ! Nous avons toujours tenu le même discours : Ce sont 2 albums " frères jumeaux ", enregistrés dans la même session, et dans la même veine d'inspiration. Dans un premier temps, nous ne devions sortir qu'un seul album et nous avions plus de quarante titres. Il a donc fallu faire des choix parfois cruels mais toujours guidés par la cohérence, l'homogénéité et l'équilibre. Dans un 2ème temps et devant le succès de Arts martiens, Def Jam nous a proposé de reprendre un corpus cohérent des morceaux non sélectionnés (qui pour nous et eux étaient d'excellente qualité), et d'y adjoindre quelques nouveaux titres. La mention "dernier album en major" reflète tout simplement une réalité contractuelle : c'est la fin d'un cycle et une page qui se tourne ...


2) N'est-ce pas maintenant le moment le plus facile pour vous pour faire de l'autoproduction ? Avec toutes les choses difficiles que vous avez déjà faites, notamment développer des artistes.... Vous avez la notoriété, les infrastructures... La distribution digitale même si elle plonge dans un univers micro-économique permet de s'affranchir de la puissance des majors. Un Believe digital se ferait certainement une joie de récupérer la distribution d'IAM et de la valoriser. Alors pourquoi pas ? Bon, sérieusement ? C'est quoi la suite ?

Nous avons créé des labels à la fin des années 90 : Côté Obscur, la Cosca, Kif-Kif, Sad Hill, 361 Records, etc ... Je peux à ce sujet affirmer que nous sommes le groupe de Rap français qui a créé (sur nos fonds propres) le plus de labels indépendants et produit ou édité le plus grand nombre de jeunes artistes. Forts de cette expérience, nous avons du prendre des décisions au tournant des années 2000, car le marché du disque s'effondrait et remettait en question la viabilité financière de nos structures. Mais la vraie raison de ce choix est que notre vocation première est d'être artiste, créer des musiques ou écrire des textes. Nous n'avons jamais eu à "nous affranchir de la puissance des majors" car nous ne l'avons jamais subie : Nous avons toujours maîtrisé nos choix artistiques depuis 1988 et ad vitam eternam ! Au contraire, nous nous appuyons sur la force de frappe des majors pour proposer des albums de qualité (coûteux à produire), et leur donner une visibilité inconcevable en indé. Si demain nous sortions un album d'IAM " low-cost " mixé à la maison, avec des clips tournés sur des smartphones, ce serait un manque de respect vis-à-vis de notre public. Nous sommes entrés dans cette carrière musicale par la porte de la cave, et nous en sortirons par la grande porte !


3) Des débuts d'IAM Jusqu'à L'école du micro d'argent, en passant par Métèque et Mat et Où je vis , les productions décrivaient un univers singulier. Loin de faire dans la nostalgie mais depuis plusieurs albums il me semble que votre production ne présente plus cette unité comme si les productions formaient un patchwork plus qu'un univers. C'est un choix artistique ? Où est ce du à vos procédés et à votre rythme de production qui ont changé ?

Notre univers a évolué, mais ses bases sont restées les mêmes : Lucidité sur la réalité, références historiques aux premières civilisations, prises de positions sur le monde qui nous entoure avec bien sûr quelques touches d'humour et de dérision. On retrouve ces éléments sur tous nos albums jusqu'à aujourd'hui. Quand nous jouons sur scène Samouraï après Benkeï et Minamoto, L'Ecole du micro d'Argent après Debout les braves, ou Demain c'est loin après CQFD, tout est fluide et cohérent !


4) Dans Les raisons de la colère (sur Art Martien) Akhenaton fait une dérivation de la devise du hip hop "unity peace love and having fun" par rapport au côté bling bling qu'il peut sembler colporter aujourd'hui ("Bitch,drogue et heavy guns"). L'idéal du départ s'est-il définitivement perdu pour les nouvelles générations ? A quel moment le piège s'est refermé sur le mouvement selon toi ? N'est ce pas cet alibi pseudo social dans lequel les politiques culturelles l'ont enfermé ? Est-ce la raison pour laquelle on vous voit de moins en moins parler d'autre chose que de musique dans les médias ?

Les idéaux du Hip-Hop sont toujours d'actualité et on en a jamais eu autant besoin ! Cette rime de Akhénaton ne vise qu'une infime partie du rap actuel, celle qui a sombré dans le cliché et le plagiat de ce que les américains font de pire. Au contraire, de nombreux nouveaux artistes défendent l'éthique originelle de notre mouvement (Youssoufa, 1995, Keny Arkana, Orelsan, Burbigo, Médine, etc ... ) qui va souvent de pair avec une grande exigence dans les compositions et l'écriture. Ces artistes-là ont beaucoup plus de succès que les caricatures " bling-bling " ou " buzz-du-clash " dont les médias sont friands. Les politiques culturelles n'ont rien à voir avec ça, car elles dénigrent et ignorent manifestement notre mouvement en le reléguant en sous-culture de ghetto (surtout à Marseille, on l'a vu l'année dernière ...). Il n'y a pas de complot ou de piège caché : La cause réelle de ce phénomène est que le néo-libéralisme et la société de consommation exercent un pouvoir totalitaire dans notre monde, et que la propagande de cette idéologie (sur internet et les médias dominants) a réussi à étouffer la moindre velléité de conscience politique ou d'engagement citoyen, surtout chez les jeunes qui y ont été le plus exposés. On a encore pu le constater dimanche dernier, quand l'extrême droite, profitant de la désinformation ambiante, de la confusion des esprits et de l'abstention massive a conquis certaines mairies . Il est vrai qu'en général, nous préférons parler de musique dans les interviews, mais étant donné les circonstances, je crois que vous allez avoir droit à quelques prises de position tranchées dans les mois qui viennent ! En exclu mon dernier coup de gueule pour mémoire : En février 1995, Ibrahim Ali a été tué par un colleur d'affiches de Jean-Marie Le Pen. Aujourd'hui, c'est Dieudonné qui fait de la pub pour le FN et Ravier est maire du 13-14 à Marseille ... Cherchez l'erreur !


5) J'ai lu MARS (Ed. Wild Project) avec beaucoup de plaisir. Même si j'ai trouvé que la fin manquait un peu de recul et virait au catalogue (forcement incomplet), j'ai beaucoup aimé le début. Pour le néophyte que je suis c'était un régal de voir l'envers du décor de certains moments que j'ai vécu dans le public (notamment votre concert sur le Vieux Port avec Jean Louis Aubert pour l'ouverture du Virgin Megastore). Et pour un des acteurs majeurs de cette histoire?

J'ai commencé moi aussi à lire ce livre passionnant et très documenté mais je n'ai pas encore abordé ce passage (Je suis du genre à commencer à lire 32 livres et à mettre 3 ans à les finir !). Pour autant dans mes souvenirs, ça a été un de nos premiers chocs scéniques : On passait de 150 personnes à la Maison Hantée à plusieurs milliers sur le vieux port ou en première partie de Madonna ! On a un peu halluciné et en même temps, on s'est pas dégonflé : On a toujours eu des baïonnettes sur nos micros et nos platines ...


6) Jusqu'en 2003 en hip hop local je ne connaissais que vous et la Fonky Family ... un peu le 3ème Œil ou 45 Niggaz. Et puis je suis tombé sur HHP (Hip Hop Parallèle) et là ce fut la claque ... j'avais l'impression d'avoir trouvé votre descendance naturelle. Texte intelligents et intelligibles, matures, super instrus ... avec pas mal d'approches similaires encore à ce jour (cf le parallèle entre Ma Bouteille de leur album Aperçu et Artificielle sur le votre). Curieusement vos routes ne se sont il me semble jamais croisées ... Depuis le collectif s'est éparpillé, les MC ont arrêté à l'exception de Popochanel qui fait son retour actuellement (l'excellent J'te met au parfum vient de ressortir !). Avez-vous eu l'occasion de l'entendre à l'époque au sein de HHP ou en solo ? Sinon quel (autre) rappeur marseillais aurais-tu envie de mettre en avant ?

Nous connaissons le travail de HHP et nous l'apprécions énormément ! Ils font partie des artistes marseillais que j'aurai adoré invité sur Chroniques de Mars 2 ! Mais nous avions beaucoup de propositions et je n'était pas seul à faire les choix ... Effectivement on peut établir de nombreux parallèles (facile !) entre certains de nos titres respectifs : Bouteille et Artificielle c'est bien vu . Buzz c'est un peu le Petit scarabée de Popo Chanel, excellent ! Aujourd'hui, il y a trop d'artistes marseillais talentueux pour pouvoir les citer tous : Redk, Lil Saï, Sadek, Revolution Urbaine, La Methode, Blacky Blaak, Moh, Perso Le Turf etc ... et je vais me faire engueuler, j'en oublie ...


7) Puisque je n'avais droit qu'à sept questions...nous voici déjà à la fin ! J'aurais du m'y attendre 7 c'est une chiffre mystique ! Quels sont tes projets ou envie à venir ? Un nouveau projet dans la continuité de Kheper? Défendre d'avantage ce dernier sur scène ? Ou faire des prods pour d'autres artistes ? D'ailleurs à ma connaissance tu as rarement travaillé avec des artistes hors de la sphère IAM. C'est que tu n'aimes pas les one shots ou que les gens ont du mal à arriver jusqu'à toi ?

J'ai en projet le 2ème volet de Kheper (Kheper Dub) et l'envie de remonter sur scène avec DJ Djel, DJ Rebel et Rastyron pour défendre ma musique perso en Live. Si ta connaissance de mon travail en dehors d'IAM semble limitée, c'est parce que pour la plupart, ce sont des titres ou des remixes produits en indé et donc avec peu d'exposition. Voici quelques collaborations qui t'ont échappé : Tek chance avec LKJ et Shurik'n, El Club de los poetas violentos, Ari, KDD, Marseille Reggae All Star, Chroniques de Mars 1 et 2, Kwonik Gwada, Daddy Nuttea, Idir (Marche sur Jérusalem), la BO du film Les Barons avec (Amazigh, AKH, Bouga ...), Xoyma avec PBS, Princess Erika, Sally Niolo, Karine, Hamma, Intik, Mangu, Désert rebelle avec Takrist et Douya, Claude Nougaro, Cheb Khaled, Périférias (avec Duggy Tee, Awadi, Mr Catra ...), Kamilya Gibran, Souleymane Diamanka, Maatoub Lounes, Meriem Saci, Lou Piensa, Shadia Mansour, Négrissim, Get Open (Bruknam Project), Von Meista ... Là aussi j'en oublie ! On peut retrouver certains de ces morceaux sur le net (notamment ici et là), et d'autres en live sur le Kheper DJ Set. A bientôt !

Merci d'avoir répondu à ces "7" questions, et à très vite avec IAM sur cette tournée (vendredi 11 avril 2014 pour ceux qui ont été assez rapides pour choper une place pour le Moulin !) ou un peu plus tard en "solo" donc !


En dehors de la photo de presse et des pochettes de disques les photos sont tirées de chroniques de concerts de 2007, 2007, 2008, et 2012 par Pirlouiiiit