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Entretien avec Ibrahim Maalouf à l'occasion de la sortie des albums Kalthoum et Red and black light

Entretien avec Ibrahim Maalouf à l'occasion de la sortie des albums <i>Kalthoum</i> et <i>Red and black light</i> en concert

La belle électrique, Grenoble Avril 2016

Interview réalisée le 14 avril 2016 par Lily Rosana




Il est l'enfant de l'inventeur de la première trompette à quart de ton. Il est le neveu de l'homme qui a écrit "Les identités meurtrières", ce livre expliquant qu'il faut que se crée un patrimoine universel dans lequel tous pourraient se retrouver. Il est aussi le trompettiste de Jazz qui vend le plus de disques en France, un compositeur de musique de film, un musicien de génie. Nous l'avons interviewé à l'occasion de la sortie de ses deux albums : "Red and black light" et "Kalthoum". Il nous parle de son hommage aux femmes, celles de sa vie, mais aussi celles qui se battent chaque jour, dans le monde entier. Il nous confie son envie de beau, sa vision de la laïcité et de la mixité. Entretien avec un homme engagé :


Vous sortez deux albums, pourriez-vous nous les présenter ?
Kalthoum :
Les deux albums ont été écrits en même temps. "Kalthoum "est tout d'abord un hommage à l'artiste Oum Khaltoum qui a profondément marqué ma culture musicale. Mes parents me mettaient Oum Kalthoum tous les soirs avant de dormir pendant dix, quinze ans. On écoutait beaucoup de musique mais Oum Khaltoum avait vraiment cette place particulière. Elle fait profondément partie de mes influences musicales. C'est aussi un album hommage aux femmes qui prennent la parole, qui jouent un rôle publiquement, socialement, médiatiquement. Un hommage à la manière dont elles peuvent transformer les choses. À leur façon, et pas à la manière des hommes. Oum Khaltoum a été adorée, et l'est encore aujourd'hui, par tous les arabophones, peu importe leur confession. Elle a unit tous les peuples, juste par sa présence artistique et son charisme de femme. Aucun homme politique n'a encore réussi ça.
Red and black light:
C'est un hommage aux femmes de l'ombre. Tout d'abord à celles de ma famille qui ont joué un rôle très important dans mon équilibre, dans ma petite et modeste histoire. C'est aussi un hommage à toutes les femmes qui transforment notre monde mais à l'ombre des hommes. C'est elles qui créent véritablement ce changement. C'était une manière de faire un double hommage aux femmes, à ma façon.





Quel est le souvenir de scène le plus incroyable que vous ayez ?
C'était avec une femme. Je me souviens de la première fois où j'ai joué sur scène avec Lassa Dessela. C'était l'une de ces chanteuses extraordinaires, qui nous a quitté beaucoup trop tôt... Être sur scène avec Lassa, c'était non seulement un moment de sérénité et de plénitude mais au moment décisif, lorsque j'ai su que j'existais artistiquement, c'est la première personne qui m'a donné une place qui me ressemblait dans sa musique. Même moi je ne savais pas à quoi je ressemblais, je ne savais pas vers quoi se dirigeait mon avenir musical... Elle m'a mis sur les rails de la créativité et m'a bouleversé. C'est grâce à elle, à cette rencontre que j'ai osé me lancer dans mon premier enregistrement.


C'est à ce moment là que vous avez choisi la musique comme voie à prendre ?
C'est à ce moment là que j'ai su que je ferais de la musique ma vie.

Vous êtes français d'origine libanaise. Quel place a le métissage culturel, le mélange des différences dans votre art ?
C'est la base de tout. J'en ai fait ma religion, artistiquement parlant. J'éduque ma fille avec l'idée que tous les humains ont des liens entre eux. Par exemple, tu connais le jeu des différences où il faut trouver 7 différences entre deux images ? Et bien tous les jours, ma fille et moi, on joue au jeu des points communs. Je mets en face d'elle deux trucs qui n'ont rien à voir et on s'amuse à leur trouver des points communs. C'est une façon pour moi de lui laver le cerveau de cette manière qu'on a de toujours s'attarder sur nos différences. Je veux qu'elle apprenne ce qui nous rallie.





À ce sujet, que pensez-vous de la mixité sociale et de la place de la laïcité dans nos écoles ?
Lorsqu'à l'école on dit que c'est interdit d'être différent d'un point de vue religieux sous prétexte que la laïcité est garante d'une forme d'équité et d'équilibre, d'égalité entre les uns et les autres, on met les différences face à face. Pour moi, ce sont nos différences qui nous enrichissent. Dans ma famille, nous sommes d'origine chrétienne et de culture arabe, et je voudrais que ma fille grandisse entourée de garçons qui mettent la kippa, de filles voilées si elles en ont envie, de personnes athées... Quand ma fille aura vingt ans, comment aura-t-elle appris que cette autre, face à elle, qui met le voile et elle-même sont exactement pareilles ? Ma manière de lutter contre çà est artistique.

Votre motivation profonde est-elle de relier les gens entre eux ?
Même pas. C'est une conséquence du climat social qui me fait souffrir, et qui, je vois, fait souffrir les gens. À la base, je fais de la musique parce que j'ai besoin de m'exprimer, parce que j'aime partager. Je n'ai pas peur de prendre position. Je crois avoir une parole plutôt équitable qui ne penche pas pour une prise d'opinion en particulier. J'ai juste une manière de rappeler certains fondamentaux.

Votre tournée vous emmène des Etats-unis à la Turquie en passant par l'Egypte... Vous dites rendre hommage aux femmes qui se battent à travers le monde entier. Est-ce que vous abordez la scène internationale avec une cause ?
Pour moi oui, mais publiquement, non. Quand je suis sur scène, je veux que les gens s'amusent, repartent avec de belles mélodies en tête, passent de beaux et bons moments. Je veux partager du beau.





Vous avez mis en clip votre reprise de "Run the world" de Beyoncé de manière assez surprenante. Pourquoi avoir abordé ce titre de cette manière ?
Dans ce clip, je mets en scène tout ce qui peut porter un clash énorme mais je voulais que ça se termine dans un moment de tendresse et d'affection. Tout le monde m'a dit : "Mais attends, c'est super démagogique, pourquoi ça s'arrête comme çà", etc... Pourquoi le message devrait-il forcément être violent ? Je crois qu'on est totalement capable de vivre cela en vrai, si ça doit arriver.

Vous avez travaillé avec de nombreux artistes : Sting, M, Enrico Macias, Vanessa Paradis, Oxmo Puccino, Vincent Delerm,
des artistes aux univers très variés. Comment abordez-vous ces différentes collaborations ?

Quand je vois que quelque chose est très différent de moi, j'essaye de m'en approcher. Je me dis qu'il y a forcément un lien. Le lien humain est le plus important. Ça a toujours été ma manière de fonctionner. Donc quand un artiste très différent de mon environnement m'appelle, la première chose dont j'ai envie est de trouver le point commun qui va nous permettre de partager quelque chose d'incroyable.


Tel est le point d'ancrage d'Ibrahim Maalouf : ce qui nous rassemble. L'humanité réunie autour de ses différences, liées les unes aux autres, créant une alchimie : Voici l'inspiration de ce musicien talentueux aux albums hommages qui donnent envie de se battre pour la paix...





Propos recueillis par Emilie Costanziello pour Concertandco.com

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