Chronique de Concert
Iggy Pop
Ah... Revoir Iggy Pop encore et encore, tant qu'on pourra, tant qu'IL pourra ! Après Les Eurocks 1998 (grande scène envahie à sa demande, un bordel monstre), Le Gaou 2005 (setlist 100 % Stooges - ils étaient encore là !), Rock en Seine 2016 (un super best-of, au top de sa forme)... Il a eu l'amabilité de reprogrammer 2 fois cette date à Marseille depuis 2020 - il tenait donc manifestement à ce qu'on puisse le revoir, merci !
Bon. Faut se rendre à l'évidence, même en tournant à l'eau et avec deux-trois trucs customisés (dents, cheveux), il a quand même fini par faire un peu ses 75 ans, James Osterberg. A notre toute première rencontre c'était clairement un iguane (musculeux), en 2005 j'avais admiré sa minceur affutée et presque féline, il y a 6 ans à Paris c'était encore un lézard... En 2022, c'est un peu devenu un ... gecko - vu de profil, il n'y a plus que le bidon et la tête qui aient vraiment du volume - et on dirait même qu'il a un peu rétréci, d'autant qu'il boitera décidément toujours, le pauvre. A croire qu'il n'y a pas de bons prothésistes en Amérique du Nord... Quoi qu'il en soit, tant qu'il n'essaye pas de grimper sur quelque chose (une expérience manifestement douloureuse, qu'il ne fera qu'une fois ce soir), il a encore une belle énergie, et visiblement pas mal d'envie aussi !
Avant concert et à force d'avancer pour que mon fils le RE-voie bien (il l'a vu à 4 ans à Paris !), on s'est retrouvés au premier rang, presque fortuitement, donc sur le côté pour ne pas gêner avec mes 187 cm et donc... la tronche littéralement dans le baffle latéral gauche ! Autant dire que le son ne sera pas tout le temps fantastique (mais enfin on a déjà plus souffert dans ses petites salles marseillaises...). Et puis surtout, l'Ig étant tactile comme chacun sait, on aura l'occasion, grâce à plusieurs passages dans notre zone, d'abord d'effleurer timidement ses mollets, puis de toucher ses mains... J'aurai même un léger serrage unique de ma main qui pourrait presque s'apparenter à une caresse - laissez-moi le croire ! I touched a god and I liked it ! C'est peut-être un détail pour vous, mais moi j'en étais tout chose, de sentir ses doigts reptiliens glisser sur les miens. Assurément l'une des expériences digitales les plus stimulantes de ma vie...
Mais parlons musique ! La setlist affichée partout sur scène (mais qu'un technicien crétin resté bloqué en 1993 n'a pas voulu nous donner à la fin) n'était certes pas une surprise, inchangée depuis le début de la tournée ("Helloooo, asshole ! We got the Internet too, in France, you know ?"). Mais voulions-nous vraiment être surpris ? Avec un super groupe tout terrain, sans doute même meilleur que la fois précédente (mention spéciale aux deux guitares complémentaires, et aux cuivres apportant de belles couleurs), pas de problème pour honorer toute sa discographie sélective ! A commencer par 2 titres pas trop connus de New Values, très bien pour rentrer dans l'ambiance, et une vague allusion à son album Free, un peu tombée à plat, mis à part pour le message. Plus libre que vous, Iggy, on ne voit pas...
Plus important, une visite agréable des années berlinoises également, disons les années "Iggy" : la flippante Mass Production, un peu écourtée heureusement, et beaucoup plus loin au rappel les inévitables et magnifiques jumelles : Sister Midnight et Nightclubbing. L'occasion de repenser à tous les grands qu'Iggy a enterré, et au plus grand d'entre eux bien sûr... Et à ces deux albums fantastiques qu'ils ont sorti coup sur coup en 1977, alors que nous étions personnellement encore occupé... à salir nos couches avec entrain.
Mais le groupe assure tout aussi admirablement la partie cri primal, celle de "Iggy Stooge" : il refait assez fidèlement un son stoogien bien rugueux (qui nous rappelle nos vieux vinyles !) pour la couinante TV Eye, la brutale Death Trip, ou encore la magnifique Gimme Danger (sortie de secours du proto-punk à l'époque... chant du cygne du style aujourd'hui ?). Les commentateurs ayant trouvé le son un peu sale n'ont qu'à essayer de réécouter Metallic K.O. - je l'ai fait - et ils entendront à quel point le Silo l'a produit sur du velours ce soir ! Et puis, point important à signaler : sa voix est toujours aussi ferme et admirablement grave, sans éraillement, sans trémolos - magnifique !
Quant à la partie la plus "Pop"... mais quel pied ! Fantastiques Lust For Life, géniale The Passenger, hurlées de bon coeur avec lui... Ce sont presque celles qui émeuvent le plus : la salle est en feu, il la salue longuement entre les morceaux, jusqu'au 4e étage, avec un beau sourire et un regard pourtant énigmatique (pour mémoire j'étais au premier rang...) A quoi songe-t-il, songeons-nous alors, la Légende vivante ? Est-il vraiment à 100 % avec nous, est-il encore humain ? Oui en tout cas, quand il place la punchline de la soirée en reniflant son aisselle : "Can you smell me ? ... Well, I can smell YOU !". Humain aussi quand il présente ses musiciens, avec un mot sympa ou drôle pour chacun.e ! Humain encore quand il fait le pitre, saillant toujours les pieds de micro, ou le micro lui-même, avec l'entrain d'un jeune punk !
Car humain ou pas, on le savait déjà, Iggy Pop est un mec sympa, c'est bien là sa moindre qualité. Chacun sait aussi, cf punchline citée, qu'il est expert en odeurs corporelles, flatulences en particulier, il en a déjà longuement parlé en interview... Lache-t-il quelques caisses flûtées dans son fute élégant ? Sent-il un peu beaucoup dans cette veste qu'il va bien vite balancer en coulisses ? C'est bien possible, il a gagné ce droit - et puis on a rien senti de particulier, de devant ! Et en tout cas il s'arrache la voix sur I Wanna be your Dog à un point qui la rend déchirante, et donc par projection, émouvante. Comme s'il savait que c'était la dernière fois qu'il la chantait, au moins pour nous (ce qui est fort possible, hélas). Ils quittent la scène comme s'ils allaient revenir dans 3 minutes...
... Et en effet ils sont bien vites revenus - pas même eu le temps de nous casser vraiment la voix, alors qu'on y a tout mis ! Le rappel est encore un mini best-of dans le best-of, toutes les époques y sont représentées ! Avec un morceau que seuls les plus grands fans ont reconnu (bravo à eux !), I'm Sick of You, ballade d'amour stoogien qui explose sans prévenir, superbe... Une belle reprise de Hero de Neu ! (j'eusse préféré Heroes de David Bowie, mais j'en eusse alors pleuré, sans aucun doute)...
... Et évidemment, cela se termine, comme depuis 40 ans, dans un Search & Destroy d'anthologie, bordélique et assourdissant au poil, même si la scène n'y est plus envahie comme au bon vieux temps... Après un copieux salut, et un concert de 90 minutes (ce qui est vraiment pas mal à cet âge-là, vu l'énergie dépensée), et une monstration de son cul en bonne et due forme (...si à 75 ans on t'applaudit en voyant ton cul, t'auras bien réussi dans la vie !)... le voici déjà parti, nous laissant hébétés mais heureux, assourdis mais émus... et espérant que ce ne soit pas notre dernière rencontre.
Qui sait, il y a quelques plus vieux, et même des bien plus longtemps défoncés que lui (certes, on pourrait presque les compter sur les doigts de la main), qui tournent encore ? Et comme le disait un mème pendant la COVID (à propos de Keith Richards, mais qui va bien aussi à Iggy !) : "If HE dies, we ALL die !". Alors longue vie, ô grandiose Iggy Pop, icône absolue mais pétant encore le feu et le reste, héros des temps modernes, avec ou sans tournée supplémentaire - vous nous avez tant donné de joies, que vous ferez partie de la bande-son de nos vies, à tout jamais...
...Quoique si un jour vous vouliez absolument venir jouer Post Pop Depression, album maudit des années Bataclan, avec tout le super-groupe qui l'a enregistré ? Nous viendrions, sachez-le, anytime, anywhere, any price !
Setlist
Five Foot One
Loves Missing
T.V. Eye (Stooges)
The Endless Sea
Death Trip (Stooges)
Mass Production
Free
Gimme Danger (Stooges)
Lust for Life
The Passenger
I Wanna Be Your Dog (Stooges)
Encore:
Sister Midnight
Run Like a Villain
I'm Sick of You (Stooges)
Hero
Nightclubbing
Search and Destroy (Stooges)
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Critique écrite le 18 mai 2022 par Philippe
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> Réponse le 22 mai 2022, par Pirlouiiiit
De toutes les fois où j'ai vu l'animal c'est à dire vers 1995 à un forum Fnac à Paris, à New York en 2004, peu de temps après aux Voix du Gaou en 2005 ou à Istres en 2010 le concert de ce soir au Silo restera mon meilleur souvenir. Pas uniquement parce que c'est le plus récent et sans doute la dernière fois, ni parce que je n'ai sans doute jamais été aussi près de lui (il m'aurait suffit de tendre un peu la main pour le toucher) mais parce qu'il m'a vraiment touché. Souriant, saluant, les yeux qui pétillent, comme amusé de voir l'effet qu'il faisait sur le public avec ses morceaux qui sont devenus pour beaucoup des hymnes. Cette façon de continuer à faire le zouave, la même chose qui m'énervait les précédentes fois cette fois m'a touché. L'escalade maladroite de l'enceinte devant... La suite | Réagir
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