Interview avec Yuksek
En 2011, Yuksek est de retour sur le devant de la scène. Après la sortie d'un second album, "Living On The Edge Of Time", plus pop, plus vocal et peut-être moins tourné vers le dancefloor que le précédent, l'artiste s'embarque dans une grande tournée pour laquelle il s'est entouré de deux musiciens. A la clef, un show complètement revisité, à la croisée des chemins entre les deux opus de sa discographie, un spectacle moins machiniste, mais pas moins dansant que le précédent. L'artiste a accepté de s'entretenir avec Concert & Co pour nous parler de son album, bien-sûr, mais aussi et surtout de sa vision du live et de sa nouvelle tournée :
Pour commencer, même si on aurait du te poser cette question il y a quatre ans, quand tu as commencé à émerger : est-ce que c'est facile de se faire une place dans l'électro française quand on n'est pas signé chez Ed Banger et qu'on ne s'appelle pas David Guetta ?
Tout dépend de ce qu'on a envie de faire, mais évidemment, ça simplifie les choses d'être dans ces réseaux-là. Après, il faut juste faire son truc et tout est possible, il y a plein de gens qui ne sont pas dans ce sérail et qui s'en sortent plutôt bien. Mais effectivement, ça peut accélérer les choses.
Tu t'étais posé la question, toi, à un moment ?
Oui, mais je ne crois pas que je pourrais faire partie d'une espèce de crew comme ça, c'est pas du tout moi, je ne me retrouve pas là-dedans. J'ai des gens proches, évidemment, je ne dis pas que suis solitaire et que je déteste les gens, mais cette espèce d'esprit d'équipe, même musicalement, ça ne me conviendrait pas. Cela dit, c'est des gens dont j'aime beaucoup le travail et que je respecte totalement ; Pedro [Winter] n'était pas spécialement dans la musique à la base, son père n'est pas producteur ni rien, il s'est fait tout seul et son truc défonce.
En plus, tu ne vis pas à Paris, ça ne doit pas t'inciter à fréquenter assidument le milieu de la nuit parisienne...
Non, moi ce que j'aime, c'est faire de la musique, tranquille, dans mon studio, c'est ce qui m'intéresse dans la vie.
Parlons un peu de ton dernier album : pour simplifier, on dira qu'il est "moins électro", un peu plus pop, plus vocal en tout cas ; dans plusieurs interviews, tu disais que tu avais vraiment tenu à tout faire toi-même, notamment le chant, mais est-ce que ça te plait vraiment d'être chanteur ou est-ce que c'est quelque chose que tu t'es imposé à toi-même pour les besoins du disque ?
J'avais pas trop réfléchi à ça avant, je l'ai essayé pour le disque, ça passait, et après j'ai pensé qu'il allait falloir que je le fasse sur scène. Quand on a commencé les répétitions, je me suis dit : "c'est pas possible, ça va être super dur, il faut s'assumer, il faut toujours être un peu forme, ne pas trop fumer", alors que je suis un énorme fumeur. Et puis en fait, j'en ai rien à faire, je fume toujours autant, et ça va, c'est cool. J'y prends vraiment du plaisir, c'est un des trucs les plus sympas du live en ce moment. J'avais déjà essayé sur des morceaux, mais là sur un album entier et en concert, c'est la première fois.
Puisqu'on parle du live, je t'ai vu à Rock en Seine cet été : tu n'es donc plus seul sur scène, ce qui donne un côté plus instrumental et plus "live" à tes concerts, moins machiniste. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce choix ?
Le truc, effectivement, c'est que je ne voulais plus être seul sur scène. Et puis j'ai jamais fait une musique minimaliste : il y a pas mal de sons, pas mal d'écriture, d'arrangements dans les morceaux, et du coup pour chanter, en gros, j'aurais du faire un karaoké, j'aurais mis les bandes derrière et j'aurais chanté dessus, j'aurais pas pu faire grand-chose et ça aurait été ridicule. Là, ça me paraissait totalement approprié de faire une formule live. Après, ça reste un live électronique, c'est-à-dire que Clément, à ma droite, joue de la basse sur certains morceaux, mais il joue surtout du clavier et il fait les churs - c'était important, parce qu'il y a beaucoup d'harmonies de voix sur le disque et je voulais les recréer en vrai sur scène et pas sur des bandes. Léonie fait des percussions : tomes, caisse claire, charleston etc., mais le kick, la base du beat est dans les bandes, donc on garde un truc électronique. Finalement, je pense que le live est plus électronique que l'album, il est plus dansant, à la croisée des chemins entre les deux disques, d'autant qu'on joue encore des morceaux du premier album.
C'est une prise de risque, aussi, d'amener plus d'humain sur scène...
Ouais, mais c'est ça qui est marrant, c'est ce qui m'intéresse dans le fait de faire de la musique, c'est qu'il puisse y avoir des conneries, mais qu'on les rattrape, qu'il y ait une vraie gestion d'équipe. Moi, quelle qu'ait été la formule, qu'on ait été deux, dix ou quarante avec un orchestre symphonique, je ne serais pas reparti pour une tournée tout seul, c'est trop fatiguant, trop de pression... et puis c'est chiant !
Tu as conçu cet album en pensant déjà à la façon dont tu pourrais le jouer sur scène, du coup je me demande si tu aurais pu faire le même album sans l'expérience de ta précédente tournée
Oui, je crois, parce que je me suis complètement détaché de ça pour faire ce disque. C'est aussi pour ça qu'il s'appelle "Living On The Edge Of Time" : je le voulais hors du temps, cet album, intemporel. Il n'y a pas grand-chose de mes tournées précédentes qui m'ait influencé sur ce disque.
J'ai l'impression que ta dernière tournée était plus adaptée aux grands espaces et aux grands raouts électro, celle-ci est plus taillée pour les petites salles - d'ailleurs tu vas jouer au Trianon fin novembre ; est-ce que tu as une préférence entre ces deux formats ?
Honnêtement, c'est très différent dans l'énergie et dans les émotions que ça te procure. Il y a deux jours, on a joué à Moscou, dans un club assez petit, avec une scène basse et très avancée, donc les gens étaient vraiment là, juste à côté, et c'était mortel. En même temps, jouer à Rock en Seine et d'un coup, lever les yeux et voir 7.000 personnes devant toi qui lèvent les bras, c'est génial aussi. J'ai vraiment pas de préférence, j'aime les deux.
Est-ce qu'il y a un festival ou une salle où tu rêverais de jouer ?
Non, pas particulièrement, parce que j'ai fait plein d'endroits cools dans le monde, plein d'endroits dont on m'avait parlé et où j'ai fini par jouer... Enfin, je jouerais bien à Coachella, et il y a des chances que ça se fasse cette année. D'une manière générale, j'aimerais jouer aux Etats-Unis, parce que j'ai fait une croix dessus depuis trois ans : on avait signé un mauvais deal pour le premier album, qui n'est finalement sorti qu'en digital, et je n'avais pas envie de partir aux Etats-Unis faire de la route alors que le disque n'était pas là et qu'il n'y avait pas le support d'un label. Là, on a signé avec un super label, on a un bon tourneur, on y est allé mi-octobre pendant une semaine pour quatre ou cinq dates. C'est plutôt cool, parce que les gens vont découvrir Yuksek avec le nouveau disque, sans se demander si c'est plus ou moins électro que le précédent. Ils vont juste découvrir un nouveau truc.
J'ai l'impression que plus ça va, plus les artistes de musiques électroniques (au sens large) misent sur l'aspect visuel des concerts ; il y a évidemment les Daft Punk, Tiësto, qui étaient un peu les pionniers, Etienne de Crécy, et plus récemment Vitalic, Birdy Nam Nam, Paul Kalkbrenner... du coup, ils vont aussi vers de plus en plus de machinisation, de déshumanisation du concert, parce qu'il faut que la musique colle à l'image. Toi, tu suis le mouvement exactement inverse, ça ne t'intéresserait pas de bosser plus sur l'aspect visuel du concert ?
Honnêtement, un peu, mais moi, en tant que spectateur, quand je vais voir un concert, j'ai juste envie de voir des mecs jouer et d'entendre de la bonne musique. J'ai jamais trop aimé les shows visuels, j'ai rarement trouvé ça réussi, donc c'est pas un truc qui m'intéresse énormément. Là, on est sur une création visuelle pour les dates un peu importantes comme le Trianon, mais ce sera juste un montage des lumières un peu plus travaillé, avec un peu de mise en scène, mais pas de vidéo. Ca a de l'intérêt pour les Daft Punk, parce que c'est tout un concept ; Etienne [de Crécy] , il a bien fait de trouver cette idée, parce que s'il n'avait pas le cube autour de lui, ce serait juste un mec derrière des machines, comme Vitalic, et c'est pas forcément cool à regarder pendant une heure et demie...
Tu dis que tu aimes bien rester seul dans ton studio, tu as même dit dans certaines interviews que t'étais pas forcément quelqu'un de très sociable, et en même temps, tu aimes beaucoup le live, ce contact avec les gens, ça peut paraître paradoxal : qu'est-ce que t'apporte la scène, d'un point de vue personnel ?
Honnêtement, pas grand-chose, parce que je suis toujours pareil. Mais quelque part, même si je ne suis pas dans le trip de créer un personnage ou quoi que ce soit, à un moment donné, c'est pas exactement la même personne qui monte sur scène et qui va chercher le pain ou emmener sa fille à l'école le matin. A un moment, il faut qu'il y ait cette distinction, parce que sinon, tu deviens dingue : c'est ça qui fait péter les plombs, que tu réussisses ou que ce soit la merde. Si tu confonds trop ce que tu es vraiment au fond de toi et la personne qui monte sur scène, si ça devient trop personnel, c'est super dangereux, et c'est quand-même des choses auxquelles on réfléchit.
J'avais une question sur Tonight, qui est le morceau avec lequel tu t'es fait connaître et qui est donc le passage obligé de tous tes concerts : très honnêtement, est-ce que c'est plutôt un challenge excitant et donc un plaisir d'essayer de réinventer ce morceau ou est-ce que c'est une corvée ?
Non, c'est super cool ! Au début des répétitions, je me suis dit que ça allait être chiant et je ne voulais même pas le jouer, mais objectivement, c'était pas possible. Et finalement, on a trouvé une nouvelle façon de le jouer que je trouve mortelle, limite mieux que l'originale, il y a un truc plus live, mais qui ne lui enlève pas le côté dansant... il y a un côté Soulwax dans cette version. Donc je suis hyper content de le jouer à chaque fois, et justement, ça me fait plaisir, parce qu'il y avait de grandes chances que ce soit relou, or ça ne l'est pas du tout.
Tu as fait pas mal de remixes, par qui aimerais-tu qu'un de tes titres soit remixé ?
J'aimerais bien qu'Erol [Alkan] ait le temps de le faire, un jour... On parlait des Soulwax, ça me plairait bien aussi, mais ils en font très peu. Enfin bon, j'ai pas non-plus de rêve absolu dans ce domaine...
Aeroplane fait pas mal de remixes...
Aeroplane doit en faire un pour moi, parce que j'en ai fait un pour lui. Il m'en doit un !
Tu as fait énormément d'interviews, mais est-ce qu'il y a une question qu'on ne t'a jamais posée et à laquelle tu aurais voulu répondre ?
Est-ce qu'on devient forcément alcoolique après trois ans de tournée ? Ce à quoi je répondrais : non, pas forcément !
Toute dernière question ; j'aimerais bien que mon interview arrive en tête des recherches Google, alors est-ce que tu aurais une fausse rumeur à balancer sur toi-même ?
J'ai deux pieds gauches.
Les gens seront contents de le savoir !
Merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview, on suivra ta nouvelle tournée de très près !
Merci à toi.
Un grand merci à Yuksek de nous avoir accordé un peu de son temps pour répondre aussi bien à nos questions.
Merci également à Anissa chez Savoir Faire et Pauline, chez Barclay, sans qui cette interview n'aurait pas eu lieu.
Merci enfin à Boby pour les photos !
Interview réalisée le 16 novembre 2011 par fredc
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