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Chronique de concert Interview de RECOIL - Alan Wilder
Vendredi 15 novembre 2024 : 6918 concerts, 27223 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.
Interview de RECOIL - Alan Wilder
Prélude à la Strange Hour, un Strange Day pour moi, ce vendredi d'avril.
Je m'étais retrouvé pour les besoins "matériels" de l'interview du soir (un enregistreur de secours, merci Rachel !), dans un petit taxi-phone afin d'y boucler et mettre au propre ma liste de questions pour Alan Wilder, en bon pseudo-journaliste à la bourre que j'étais. Et ce, juste à côté du canal Saint-Martin et de la rue Robert Blache, nommée ainsi en l'honneur d'un journaliste (un vrai, celui-là, et d'une certaine envergure : secrétaire de l'Huma et lâchement fusillé par les Allemands en 1944).
La même rue où, à la fin de mes années estudiantines, j'avais découvert... Recoil ! En l'occurrence via l'album Bloodline, que j'associe toujours à cette petite chambre où j'écoutais les sombres morceaux électroniques du tout juste ex-Depeche Mode.
Puis, ma tâche terminée, j'appelle à tout hasard Bobonne, l'ex-colloc avec qui j'habitais là, souvent en déplacement en Afrique. Et voilà que je tombe sur lui alors que ça fait des plombes que je n'ai pas vu, et que nous nous donnons rendez-vous !
Étrange croisement des époques, donc, autour de Recoil...
Bon, je sais, vous allez vous dire "mais qu'est-ce qu'il attend pour l'attaquer son interview, il compte nous raconter sa vie ?"
Je répondrai "ne me gonflez pas, de toute façon je n'en ai plus pour longtemps".
Mais il me restera quand même à évoquer le plus strange du jour.
Qui était évidemment à venir, quelques heures après : se retrouver, suite à un moment de flottement aux limites du réel (après avoir pénétré dans le Bus Palladium, passé des portes, grimpé des escaliers, traversé un restau chic, avoir aperçu Paul Kendall dans un fauteuil bidouiller son Mac, et croisé "l'interviewer sortant" Vincent dans un état de post-choc bienheureux), à serrer la main à l'un de mes héros d'adolescence. Puis à engager la discussion avec lui pendant qu'il s'engloutissait quelques biscuits d'apéro.
Vous remarquerez que j'ai fait l'effort de concentrer au maximum dans une seule phrase, par considération pour le lecteur impatient. J'espère que ce sera apprécié !
Et voici donc le contenu de cette fameuse discussion.
Alan Wilder
F : Ravi de voir que le volcan Eyjafjöll ne vous a pas arrêté, merci d'être en France !
A : Mmm. (+hochement de tête)
(Bien joué, entrée en matière superbement ratée, si ça se trouve, le satané nuage de cendres qui a paralysé les aéroports lui a saboté sa tournée !).
F : Cela vous fait quoi de vous retrouver sur scène après tant de temps, et dans une configuration différente de quand vous jouiez avec Depeche Mode ?
A : Et bien, c'est un très bon exemple ce soir, car nous avons un lieu très intimiste, où les gens devant la scène seront à la même distance de moi que tu l'es maintenant de moi (rire) (+ndlr -ndlr c'est moi, enfin c'est pas mon nom mais c'est moi quand même, et ce que je voulais dire c'est que la distance qui nous séparait était de l'ordre de 2,43m, ou 2,44, je ne sais plus).
Et c'est très différent de la dernière fois où je suis venu jouer à Paris, à Bercy je pense, probablement, avec quelque chose comme 60 000 personnes...
C'est étrange, c'est très étrange en fait car c'est avec Depeche Mode que j'avais l'habitude de jouer live.
Et c'est la première fois que je fais ça avec Recoil.
C'est quelque chose de très différent. Nos besoins sont finalement différents, et le set est d'un format très différent, assez inhabituel.
F : J'ai lu que durant la session d'enregistrement de subHuman vous aviez écarté certains titres pour l'album. Est-ce que cela vous a traversé l'esprit à un moment d'en inclure en bonus au moins une partie d'entre eux sur la compilation Selected, au lieu de remixes ?
A : Oui, à vrai dire j'y ai pensé... mais très brièvement. En fait, s'ils ont été écartés, c'est qu'ils n'étaient véritablement pas assez bons.
C'est très difficile de revenir en arrière et de retravailler de vieilles choses en essayant de les améliorer. Si un titre n'a pas été retenu à un moment, ce n'est pas pour rien.
Donc je n'ai pas essayé de proposer des titres inédits pour ce disque, j'ai juste essayé d'en faire une très bonne compilation, avec ces beaux remixes.
Puis ensuite seulement je travaillerai sur un véritable nouvel album studio.
F : Puisqu'on parle remixes : souvent les remixes sont affreux et des constructions très simplistes (je ne parle pas de ceux de Recoil, mais de façon générale !). Vous êtes-vous déjà impliqué dans le processus d'élaboration de remixes, pour Depeche Mode ou Recoil ?
A : Oui. Et d'ailleurs ceux que je préfère vraiment sur Selected sont les nôtres, ceux que j'ai réalisés avec Paul Kendall au cours des ans.
Et même ceux que nous faisions nous-mêmes du temps de Depeche Mode avaient un certain charme. Dans les premières années de l'ère du remix, nous faisions nos propres remixes, et puis un jour cela devint à la mode de simplement les donner à faire à quelqu'un d'autre, de laisser faire ce travail à d'autres.
Et souvent, donc, le résultat n'est pas terrible. Nos remixes ont plus un caractère unique et sont moins standardisés.
Ceci dit, il arrive que parfois, quand tu donnes des remixes à faire à d'autres personnes, celles-ci apportent une certaine fraîcheur et de très bonnes idées aux morceaux. Par exemple j'aime vraiment les remixes qu'avait fait Brian Eno (pour I Feel You).
En fait, cela dépend vraiment.
F : C'est vrai que parfois, un remix n'a rien à voir avec le morceau initial, mais peut être intéressant.
A : Exactement.
Ceci dit, c'est quand même préférable qu'un lien avec l'original soit conservé, sinon, à quoi bon ?
F : Une des chanteuses qui a travaillé avec vous, Rosa Torres, a chanté en Catalan sur le titre Vertigen. Ne pensez-vous pas que ce serait une bonne idée, pour un futur album, de travailler avec une chanteuse ou un chanteur français ?
A : Ce serait étrange, non ?
La musique française sonne toujours très "stylisée", et la langue française évoque toujours pour une oreille anglaise... quelque chose relevant de l'art des années Soixante, des films en noir et blanc...
Je ne suis pas sûr que ça me conviendrait trop pour Recoil.
Mais en même temps, ce que j'aime avant tout dans une voix c'est la sonorité qu'elle offre (pas le sens des paroles), et quelle est la personne qui chante.
Donc cela pourrait marcher même avec du chant en français.
Tu sais, si j'aime le son de la langue et si la combinaison de voix semble fonctionner, comme avec Rosa, peu importe comment ça sonne pour quelqu'un de langue espagnole, par exemple (qui pourra trouver ça pas terrible).
F : Êtes-vous toujours en contact avec Moby ? (ndlr : qui chanta sur le titre Curse en 1991).
A : Non, je n'ai aucun contact avec Moby.
(silence)
C'est un personnage étrange, je pense. (rire)
Mais il faut dire que quand nous avons travaillé ensemble, ce fut seulement pour l'équivalent de quatre heures de studio, sur une seule journée. Alors nous n'avons jamais eu l'occasion de mieux faire connaissance l'un l'autre.
F : Quand vous parlez, vous avez une voix agréable. Pourquoi ne vous en êtes-vous pas servi dans vos disques ? (ndlr : pour être exact, il parle très doucement en arrière-plan du titre Shunt, mais c'est le seul exemple.)
A : Ce n'est pas une voix chantante. Vraiment pas !
Ce que je veux dire, c'est qu'elle n'a pas le caractère dont tu as besoin, je pense, pour avoir une voix de chanteur digne de ce nom.
Je peux chanter des mélodies, et je chante juste, pas de souci.
Mais avec une espèce de sonorité ennuyeuse.
Ceci dit, peut-être est-ce que là aussi ça sonne différemment aux oreilles d'un Français et d'un Anglais ?
F : Oui, c'est possible.
Mais même sous forme de voix parlées sur vos titres, vous n'en avez pas envie ? Par exemple, sur Liquid, vous avez beaucoup utilisé les voix parlées, n'est-ce pas ?
A : Ouais...
Mais tu sais, ce n'est vraiment pas quelque chose avec quoi je me sens à l'aise, ma voix.
F : Les quelques titres que vous avez écrit pour Depeche Mode (comme If You Want ou In Your Memory) sont à mes yeux des archétypes du son du groupe. Envisageriez-vous de revisiter ces vieux morceaux "pop" mais dans un style Recoil; et pas seulement en utilisant des samples de DM comme vous l'avez déjà fait avec le mini-album 1+2 ou différents titres des albums plus récents de Recoil ?
A : Non, vraiment. Ce qu'il y a, c'est qu'au bout d'un moment, tu en as assez de ta propre musique. Et revenir sur chaque chose que tu as faite n'est pas toujours ce qu'il y a de plus marrant que tu puisses faire, tu sais.
Par contre, je pense qu'il pourrait être intéressant de retravailler quelques autres titres de Depeche Mode, pour leur donner une touche radicalement différente.
Je n'entreprendrais pas ce genre de travail sur des titres de Recoil. Ca m'intéresse plus d'enregistrer de nouvelles musiques.
Mais... ouais, ce serait intéressant de prendre par exemple quelques titres de Black Celebration et de faire quelque chose de différent avec.
F : Vous n'avez pas été crédité sur la plupart des titres de Depeche Mode, mais vous avez travaillé sur les sons, et en quelque sorte c'est vous qui avez façonné le son DM à une époque (celle de Black Celebration par exemple, puisque vous en parlez), n'est-ce pas ?
A : J'ai travaillé sur les sons. Mais pas tous.
En fait, il existe différentes façons de considérer ce qu'est publier une oeuvre.
Certaines personnes considèrent que toute chose que tu fasses pour contribuer à créer un enregistrement participe au travail d'écriture, et d'autres considèrent que tout ça relève des "arrangements", et que l'écriture ne recouvre que les mélodies, les paroles, et rien d'autre.
Les choses, avec Depeche Mode, étaient comme ça : il y a eu des occasions où peut-être davantage de crédits auraient dû être indiqués sur les pochettes.
C'est exactement la même chose avec la question de la production. Nous écrivions systématiquement "produit par Depeche Mode", alors que ce n'était pas strictement exact techniquement. Tout le monde n'y participait pas, mais c'est le système démocratique qui avait été choisi : on ne faisait pas le distinguo.
F : Votre femme semble s'être chargée de nombreuses tâches utiles pour Recoil, et parmi d'autres choses, elle joua du violon sur différents albums. Mais le violon fut utilisé pour forger un son singulier, pas réellement pour jouer des séquences mélodiques. Est-ce que vous et Hepzibah envisagez d'utiliser son violon différemment dans de futurs morceaux, d'une façon plus "classique" ?
A : Mmm, pas vraiment.
Parce que nous avons divorcé. (rire)
Alors, probablement pas.
Ouais, je pense que notre relation est terminée. (Julie pouffe derrière moi.)
(silence lourd, suivi de rires collectifs -un peu jaunes quand même)
Tu ne t'attendais pas à ça, hein ?
Heu... et au fait, your grand-mère fait du bike ?
F : (reprise d'initiative particulièrement judicieuse) : puis-je me permettre de vous demander pourquoi votre fille s'appelle Paris ? Ca a un rapport avec la France, ou avec le légendaire personnage grec qui provoqua la Guerre de Troie ?
A : Elle fut conçue ici. À paris. Avec Hep.
Voilà pourquoi : c'est très simple !
(Bref, il y avait bien un rapport. Vite, arrêt des questions moisies !)
F : Avez-vous des projets de partenariat... musical ? (ouf, j'ai failli m'enfoncer encore plus dans le people) Ou bien de simples idées de partenariats futurs possibles ?
A : Pour le moment, non.
Je ferai appel probablement à de nouveaux chanteurs, mais je ne sais pas qui encore.
C'est très délicat à déterminer tant que la musique n'est pas faite, tu sais.
J'ai besoin d'avoir au préalable la musique, afin de suggérer des choses, une ambiance, sinon c'est beaucoup trop ouvert.
C'est toujours ma façon de procéder pour travailler, c'est une espèce de jeu de découverte intuitif. Je ne fais pas trop de plans au départ, j'amène juste la musique à un certain point, et je regarde ce qui peut se passer avec.
F : Paul Kendall est crédité sur les albums de Recoil depuis Liquid. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Et comment travaillez-vous ensemble ?
A : En fait il a toujours été impliqué dans mes disques, à divers titre, en tant qu'ingénieur du son, producteur...
Je le rencontrais souvent chez Mute quand j'étais dans DM, et nous avons travaillé étroitement tous les deux à l'occasion d'une session d'enregistrement du groupe.
Quand Recoil est devenu mon projet principal, j'ai ensuite pensé à lui pour travailler sur un remix, et ainsi je l'ai sollicité pour faire ce remix de Drifting qui, je pense, était notre premier. (ndlr : le poison dub)
Et depuis nous sommes restés en contact, j'apprécie beaucoup de travailler avec lui.
F : Pour finir, que pensez-vous des travaux individuels des membres actuels de DM, par exemple Dave Gahan en solo, ou Martin Gore, ou même Client, le groupe lancé par Andrew Fletcher ?
A : Et bien, je pense que la démarche de Dave est la plus intéressante car il en résulte du matériel original.
Martin redécouvre d'autres artistes dans son propre style, mais c'est quelque chose de beaucoup plus familier pour les fans du groupe parce que ça sonne comme du Depeche Mode typique. Alors pour être honnête, je ne comprends pas vraiment pourquoi il fait ça.
Alors que Dave, je suis content pour lui. Pendant longtemps ça l'a tenté mais il n'avait pas suffisamment confiance en lui. Et maintenant, il l'a trouvé, cette confiance, et c'est très bien.
Quant à Client, je ne connais pas vraiment. En fait j'ai rencontré récemment Sarah Blackwood (Client B) dans une boîte où elle mixait, mais je n'ai jamais écouté la musique de Client, non.
F : Merci beaucoup pour cette interview !
A : Merci.
Fantastique !
(Heu, il le croit, ce qu'il dit ? J'ai quelques doutes :-).)
Merci à Julie pour ses photos et sa présence cool, à Thomas et Nicolas pour avoir permis à cette interview de se faire, et à Alan bien sûr pour ne pas m'avoir jeté dehors comme un malpropre parce que je n'étais pas au jus des dernières nouvelles de Gala !
A lire aussi, ma chronique de la Strange Hour
Je m'étais retrouvé pour les besoins "matériels" de l'interview du soir (un enregistreur de secours, merci Rachel !), dans un petit taxi-phone afin d'y boucler et mettre au propre ma liste de questions pour Alan Wilder, en bon pseudo-journaliste à la bourre que j'étais. Et ce, juste à côté du canal Saint-Martin et de la rue Robert Blache, nommée ainsi en l'honneur d'un journaliste (un vrai, celui-là, et d'une certaine envergure : secrétaire de l'Huma et lâchement fusillé par les Allemands en 1944).
La même rue où, à la fin de mes années estudiantines, j'avais découvert... Recoil ! En l'occurrence via l'album Bloodline, que j'associe toujours à cette petite chambre où j'écoutais les sombres morceaux électroniques du tout juste ex-Depeche Mode.
Puis, ma tâche terminée, j'appelle à tout hasard Bobonne, l'ex-colloc avec qui j'habitais là, souvent en déplacement en Afrique. Et voilà que je tombe sur lui alors que ça fait des plombes que je n'ai pas vu, et que nous nous donnons rendez-vous !
Étrange croisement des époques, donc, autour de Recoil...
Bon, je sais, vous allez vous dire "mais qu'est-ce qu'il attend pour l'attaquer son interview, il compte nous raconter sa vie ?"
Je répondrai "ne me gonflez pas, de toute façon je n'en ai plus pour longtemps".
Mais il me restera quand même à évoquer le plus strange du jour.
Qui était évidemment à venir, quelques heures après : se retrouver, suite à un moment de flottement aux limites du réel (après avoir pénétré dans le Bus Palladium, passé des portes, grimpé des escaliers, traversé un restau chic, avoir aperçu Paul Kendall dans un fauteuil bidouiller son Mac, et croisé "l'interviewer sortant" Vincent dans un état de post-choc bienheureux), à serrer la main à l'un de mes héros d'adolescence. Puis à engager la discussion avec lui pendant qu'il s'engloutissait quelques biscuits d'apéro.
Vous remarquerez que j'ai fait l'effort de concentrer au maximum dans une seule phrase, par considération pour le lecteur impatient. J'espère que ce sera apprécié !
Et voici donc le contenu de cette fameuse discussion.
F : Ravi de voir que le volcan Eyjafjöll ne vous a pas arrêté, merci d'être en France !
A : Mmm. (+hochement de tête)
(Bien joué, entrée en matière superbement ratée, si ça se trouve, le satané nuage de cendres qui a paralysé les aéroports lui a saboté sa tournée !).
F : Cela vous fait quoi de vous retrouver sur scène après tant de temps, et dans une configuration différente de quand vous jouiez avec Depeche Mode ?
A : Et bien, c'est un très bon exemple ce soir, car nous avons un lieu très intimiste, où les gens devant la scène seront à la même distance de moi que tu l'es maintenant de moi (rire) (+ndlr -ndlr c'est moi, enfin c'est pas mon nom mais c'est moi quand même, et ce que je voulais dire c'est que la distance qui nous séparait était de l'ordre de 2,43m, ou 2,44, je ne sais plus).
Et c'est très différent de la dernière fois où je suis venu jouer à Paris, à Bercy je pense, probablement, avec quelque chose comme 60 000 personnes...
C'est étrange, c'est très étrange en fait car c'est avec Depeche Mode que j'avais l'habitude de jouer live.
Et c'est la première fois que je fais ça avec Recoil.
C'est quelque chose de très différent. Nos besoins sont finalement différents, et le set est d'un format très différent, assez inhabituel.
F : J'ai lu que durant la session d'enregistrement de subHuman vous aviez écarté certains titres pour l'album. Est-ce que cela vous a traversé l'esprit à un moment d'en inclure en bonus au moins une partie d'entre eux sur la compilation Selected, au lieu de remixes ?
A : Oui, à vrai dire j'y ai pensé... mais très brièvement. En fait, s'ils ont été écartés, c'est qu'ils n'étaient véritablement pas assez bons.
C'est très difficile de revenir en arrière et de retravailler de vieilles choses en essayant de les améliorer. Si un titre n'a pas été retenu à un moment, ce n'est pas pour rien.
Donc je n'ai pas essayé de proposer des titres inédits pour ce disque, j'ai juste essayé d'en faire une très bonne compilation, avec ces beaux remixes.
Puis ensuite seulement je travaillerai sur un véritable nouvel album studio.
F : Puisqu'on parle remixes : souvent les remixes sont affreux et des constructions très simplistes (je ne parle pas de ceux de Recoil, mais de façon générale !). Vous êtes-vous déjà impliqué dans le processus d'élaboration de remixes, pour Depeche Mode ou Recoil ?
A : Oui. Et d'ailleurs ceux que je préfère vraiment sur Selected sont les nôtres, ceux que j'ai réalisés avec Paul Kendall au cours des ans.
Et même ceux que nous faisions nous-mêmes du temps de Depeche Mode avaient un certain charme. Dans les premières années de l'ère du remix, nous faisions nos propres remixes, et puis un jour cela devint à la mode de simplement les donner à faire à quelqu'un d'autre, de laisser faire ce travail à d'autres.
Et souvent, donc, le résultat n'est pas terrible. Nos remixes ont plus un caractère unique et sont moins standardisés.
Ceci dit, il arrive que parfois, quand tu donnes des remixes à faire à d'autres personnes, celles-ci apportent une certaine fraîcheur et de très bonnes idées aux morceaux. Par exemple j'aime vraiment les remixes qu'avait fait Brian Eno (pour I Feel You).
En fait, cela dépend vraiment.
F : C'est vrai que parfois, un remix n'a rien à voir avec le morceau initial, mais peut être intéressant.
A : Exactement.
Ceci dit, c'est quand même préférable qu'un lien avec l'original soit conservé, sinon, à quoi bon ?
F : Une des chanteuses qui a travaillé avec vous, Rosa Torres, a chanté en Catalan sur le titre Vertigen. Ne pensez-vous pas que ce serait une bonne idée, pour un futur album, de travailler avec une chanteuse ou un chanteur français ?
A : Ce serait étrange, non ?
La musique française sonne toujours très "stylisée", et la langue française évoque toujours pour une oreille anglaise... quelque chose relevant de l'art des années Soixante, des films en noir et blanc...
Je ne suis pas sûr que ça me conviendrait trop pour Recoil.
Mais en même temps, ce que j'aime avant tout dans une voix c'est la sonorité qu'elle offre (pas le sens des paroles), et quelle est la personne qui chante.
Donc cela pourrait marcher même avec du chant en français.
Tu sais, si j'aime le son de la langue et si la combinaison de voix semble fonctionner, comme avec Rosa, peu importe comment ça sonne pour quelqu'un de langue espagnole, par exemple (qui pourra trouver ça pas terrible).
F : Êtes-vous toujours en contact avec Moby ? (ndlr : qui chanta sur le titre Curse en 1991).
A : Non, je n'ai aucun contact avec Moby.
(silence)
C'est un personnage étrange, je pense. (rire)
Mais il faut dire que quand nous avons travaillé ensemble, ce fut seulement pour l'équivalent de quatre heures de studio, sur une seule journée. Alors nous n'avons jamais eu l'occasion de mieux faire connaissance l'un l'autre.
F : Quand vous parlez, vous avez une voix agréable. Pourquoi ne vous en êtes-vous pas servi dans vos disques ? (ndlr : pour être exact, il parle très doucement en arrière-plan du titre Shunt, mais c'est le seul exemple.)
A : Ce n'est pas une voix chantante. Vraiment pas !
Ce que je veux dire, c'est qu'elle n'a pas le caractère dont tu as besoin, je pense, pour avoir une voix de chanteur digne de ce nom.
Je peux chanter des mélodies, et je chante juste, pas de souci.
Mais avec une espèce de sonorité ennuyeuse.
Ceci dit, peut-être est-ce que là aussi ça sonne différemment aux oreilles d'un Français et d'un Anglais ?
F : Oui, c'est possible.
Mais même sous forme de voix parlées sur vos titres, vous n'en avez pas envie ? Par exemple, sur Liquid, vous avez beaucoup utilisé les voix parlées, n'est-ce pas ?
A : Ouais...
Mais tu sais, ce n'est vraiment pas quelque chose avec quoi je me sens à l'aise, ma voix.
F : Les quelques titres que vous avez écrit pour Depeche Mode (comme If You Want ou In Your Memory) sont à mes yeux des archétypes du son du groupe. Envisageriez-vous de revisiter ces vieux morceaux "pop" mais dans un style Recoil; et pas seulement en utilisant des samples de DM comme vous l'avez déjà fait avec le mini-album 1+2 ou différents titres des albums plus récents de Recoil ?
A : Non, vraiment. Ce qu'il y a, c'est qu'au bout d'un moment, tu en as assez de ta propre musique. Et revenir sur chaque chose que tu as faite n'est pas toujours ce qu'il y a de plus marrant que tu puisses faire, tu sais.
Par contre, je pense qu'il pourrait être intéressant de retravailler quelques autres titres de Depeche Mode, pour leur donner une touche radicalement différente.
Je n'entreprendrais pas ce genre de travail sur des titres de Recoil. Ca m'intéresse plus d'enregistrer de nouvelles musiques.
Mais... ouais, ce serait intéressant de prendre par exemple quelques titres de Black Celebration et de faire quelque chose de différent avec.
F : Vous n'avez pas été crédité sur la plupart des titres de Depeche Mode, mais vous avez travaillé sur les sons, et en quelque sorte c'est vous qui avez façonné le son DM à une époque (celle de Black Celebration par exemple, puisque vous en parlez), n'est-ce pas ?
A : J'ai travaillé sur les sons. Mais pas tous.
En fait, il existe différentes façons de considérer ce qu'est publier une oeuvre.
Certaines personnes considèrent que toute chose que tu fasses pour contribuer à créer un enregistrement participe au travail d'écriture, et d'autres considèrent que tout ça relève des "arrangements", et que l'écriture ne recouvre que les mélodies, les paroles, et rien d'autre.
Les choses, avec Depeche Mode, étaient comme ça : il y a eu des occasions où peut-être davantage de crédits auraient dû être indiqués sur les pochettes.
C'est exactement la même chose avec la question de la production. Nous écrivions systématiquement "produit par Depeche Mode", alors que ce n'était pas strictement exact techniquement. Tout le monde n'y participait pas, mais c'est le système démocratique qui avait été choisi : on ne faisait pas le distinguo.
F : Votre femme semble s'être chargée de nombreuses tâches utiles pour Recoil, et parmi d'autres choses, elle joua du violon sur différents albums. Mais le violon fut utilisé pour forger un son singulier, pas réellement pour jouer des séquences mélodiques. Est-ce que vous et Hepzibah envisagez d'utiliser son violon différemment dans de futurs morceaux, d'une façon plus "classique" ?
A : Mmm, pas vraiment.
Parce que nous avons divorcé. (rire)
Alors, probablement pas.
Ouais, je pense que notre relation est terminée. (Julie pouffe derrière moi.)
(silence lourd, suivi de rires collectifs -un peu jaunes quand même)
Tu ne t'attendais pas à ça, hein ?
F : (reprise d'initiative particulièrement judicieuse) : puis-je me permettre de vous demander pourquoi votre fille s'appelle Paris ? Ca a un rapport avec la France, ou avec le légendaire personnage grec qui provoqua la Guerre de Troie ?
A : Elle fut conçue ici. À paris. Avec Hep.
Voilà pourquoi : c'est très simple !
(Bref, il y avait bien un rapport. Vite, arrêt des questions moisies !)
F : Avez-vous des projets de partenariat... musical ? (ouf, j'ai failli m'enfoncer encore plus dans le people) Ou bien de simples idées de partenariats futurs possibles ?
A : Pour le moment, non.
Je ferai appel probablement à de nouveaux chanteurs, mais je ne sais pas qui encore.
C'est très délicat à déterminer tant que la musique n'est pas faite, tu sais.
J'ai besoin d'avoir au préalable la musique, afin de suggérer des choses, une ambiance, sinon c'est beaucoup trop ouvert.
C'est toujours ma façon de procéder pour travailler, c'est une espèce de jeu de découverte intuitif. Je ne fais pas trop de plans au départ, j'amène juste la musique à un certain point, et je regarde ce qui peut se passer avec.
F : Paul Kendall est crédité sur les albums de Recoil depuis Liquid. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Et comment travaillez-vous ensemble ?
A : En fait il a toujours été impliqué dans mes disques, à divers titre, en tant qu'ingénieur du son, producteur...
Je le rencontrais souvent chez Mute quand j'étais dans DM, et nous avons travaillé étroitement tous les deux à l'occasion d'une session d'enregistrement du groupe.
Quand Recoil est devenu mon projet principal, j'ai ensuite pensé à lui pour travailler sur un remix, et ainsi je l'ai sollicité pour faire ce remix de Drifting qui, je pense, était notre premier. (ndlr : le poison dub)
Et depuis nous sommes restés en contact, j'apprécie beaucoup de travailler avec lui.
F : Pour finir, que pensez-vous des travaux individuels des membres actuels de DM, par exemple Dave Gahan en solo, ou Martin Gore, ou même Client, le groupe lancé par Andrew Fletcher ?
A : Et bien, je pense que la démarche de Dave est la plus intéressante car il en résulte du matériel original.
Martin redécouvre d'autres artistes dans son propre style, mais c'est quelque chose de beaucoup plus familier pour les fans du groupe parce que ça sonne comme du Depeche Mode typique. Alors pour être honnête, je ne comprends pas vraiment pourquoi il fait ça.
Alors que Dave, je suis content pour lui. Pendant longtemps ça l'a tenté mais il n'avait pas suffisamment confiance en lui. Et maintenant, il l'a trouvé, cette confiance, et c'est très bien.
Quant à Client, je ne connais pas vraiment. En fait j'ai rencontré récemment Sarah Blackwood (Client B) dans une boîte où elle mixait, mais je n'ai jamais écouté la musique de Client, non.
F : Merci beaucoup pour cette interview !
A : Merci.
Fantastique !
(Heu, il le croit, ce qu'il dit ? J'ai quelques doutes :-).)
Merci à Julie pour ses photos et sa présence cool, à Thomas et Nicolas pour avoir permis à cette interview de se faire, et à Alan bien sûr pour ne pas m'avoir jeté dehors comme un malpropre parce que je n'étais pas au jus des dernières nouvelles de Gala !
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Interview réalisée le 12 mai 2010 par Floribur
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Bus Palladium - Paris, le 25/03/2010
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