Accueil Chronique de concert Interview de Vincent Delerm à propos de son premier album
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Interview de Vincent Delerm à propos de son premier album

Interview de Vincent Delerm à propos de son premier album en concert

Opéra Municipal de Clermont-Ferrand Novembre 2002

Interview réalisée le 17 janvier 2003 par Pierre Andrieu

Suite à la sortie de son excellent premier album, Vincent Delerm vient d'entamer la deuxième partie d'une tournée triomphale qui va le voir traverser la France en long, en large et en travers avant de se produire du 20 au 24 mai 2003 au Bataclan de Paris. Avant son concert vraiment enthousiasmant à l'opéra municipal de Clermont-Ferrand, ce jeune homme bien sous tous rapports et très doué a accepté de répondre à quelques questions, malgré son agenda plutôt chargé...



Comment as-tu commencé à chanter et à composer des chansons ?
Vincent Delerm : "J'ai eu envie de faire de la chanson pour des raisons qui venaient, certaines d'assez loin - je vivais dans une famille où on écoutait beaucoup de chanson - et puis d'autres qui étaient plus récentes - des trucs m'avaient beaucoup marqué à ce moment là quand j'avais 15, 16 ans. J'étais déjà assez "vieux" ! Pendant un an alors que j'étais en première, j'ai appris le piano, je n'ai fait que ça. J'ai rattrapé le temps perdu car je n'avais pas eu de formation musicale avant. Cela s'est décidé de manière assez brutale : je l'ai fait d'un seul coup.

As-tu commencé à écrire des chansons immédiatement ?
Oui, j'ai fait des chansons dont je ne suis pas forcément très fier... Mais dans mes agendas de première et de terminale, c'est vrai qu'il y a des textes que je relis de temps en temps, c'est assez rigolo...

Comment s'est décidé l'enregistrement de l'album ?
Les chansons qui sont sur le disque datent parfois d'époques qui sont assez éloignées du moment de l'enregistrement. Certaines datent de cinq ans, d'autres de quatre, trois, deux voire un an... Il y a finalement peu de chansons que j'ai faites juste avant d'entrer en studio, cela nous a permis de travailler sur les arrangements assez longtemps à l'avance. La signature puis l'enregistrement, c'est une histoire qui de l'intérieur est forcément un peu compliquée parce qu'elle se nourrit de plein de choses assez différentes. Il y a des gens qui vous aident, qui vous font avancer, qui vous font passer dans telle salle, qui vous mettent en rapport avec quelqu'un. C'est une suite de petits hasards (qu'on essaye de provoquer quand même !) mais, pour moi, le premier grand événement, ça a été la rencontre avec le pianiste de Thomas Fersen, Cyrille Wambergue. Il a travaillé sur les arrangements, on a fait ça pendant deux ans. Ce n'était pas du tout à temps plein ; de temps en temps, j'allais chez lui à Lille et on bossait.

Le prochain disque va-t-il être réalisé une nouvelle fois par Cyrille Wambergue ?
En partie, oui ! Je n'imagine pas du tout de faire un disque sans lui car il a été très important autant musicalement qu'humainement. J'étais très content de l'atmosphère de l'enregistrement du disque !

Cyrille Wambergue, c'est la principale rencontre qui t'as permis d'enregistrer ton premier disque ?
Oui, musicalement, après, quelqu'un comme François Morel m'a vraiment beaucoup aidé, c'est la première personne qui m'a soutenu à fond, qui m'a permis de passer sur France Inter. Je lui ai fait parvenir une maquette, juste piano et voix, il m'a rappelé, il trouvait ça super bien. Il a beaucoup compté pour moi ! Après, il y a eu d'autres gens : le théâtre de Malakoff m'a fait faire une résidence avant qu'il y ait le disque. C'est la chance que j'ai eue : avoir pu faire pas mal de choses avant que l'objet "disque" existe, notamment faire des scènes ! Ce n'était pas forcément de grandes scènes (à part Malakoff), je jouais souvent dans de petites boîtes à chansons à Paris. Je me suis construit par la scène, c'est comme ça que je me suis fait découvrir.



C'est ta première grosse tournée... Tu te sens à l'aise sur scène ou tu préfères le travail en studio ?
C'est à la fois nouveau et pas nouveau, j'ai 26 ans mais je m'y suis collé à 19 ans, j'ai donc une plus grosse expérience de scène que d'enregistrement ! J'adore la scène, mais ma façon d'adorer ça ce n'est pas forcément d'être extrêmement heureux en étant sur scène. J'apprécie aussi toute l'atmosphère qu'il y a avant : arriver dans les théâtres, préparer le spectacle, j'aime beaucoup cette dimension-là ! S'il n'y avait que le spectacle, je crois que ça me paraîtrait moins magique, j'aime bien la dimension de préparation presque sportive du spectacle : accrocher ses titres sur le piano, tout organiser, trouver le bon angle pour le placement du piano. Tout ça, c'est très technique, il y a des câbles partout, on règle le son. Et après, il y a le monde du spectacle qui, lui, doit être tout sauf technique, on ne doit pas voir les fils, on ne doit pas se poser la question de la sonorisation si possible. C'est sensé être moins magique mais j'aime bien qu'il y ait les deux ; ça remet les choses à leur juste valeur de savoir que ça reste une construction technique et matérielle. Un spectacle, ce n'est pas uniquement quelque chose qui te transporte, même si à un moment donné, ça te transporte.

D'où te vient l'inspiration pour les textes : lectures, cinéma, vie quotidienne ?
La lecture, ça a joué pas mal, effectivement. Lire, ça te remplit de pas mal de choses que tu n'as pas vécues. Au cinéma , on est marqué par une histoire mais ça reste quand même une histoire qui reste extérieure à soi, même si on s'implique dans ce qu'on va voir. Pour moi, la littérature, c'est plus insidieux, car quand on lit quelque chose, parfois on oublie assez vite ce que l'on a lu mais ça s'intègre inconsciemment à ce que soi-même on vit et à ce qu'on a l'impression de pouvoir ressentir. La lecture de certains livres, c'est presque une greffe de sentiments. On me demande souvent comment j'ai écrit Châtenay Malabry alors que je suis plutôt jeune. Je pense que ça vient de mes lectures...

Quels sont les artistes qui t'ont transmis le virus de l'écriture de textes et de musiques ?
Pour le piano, à l'époque où je me suis décidé à écrire, j'écoutais beaucoup le disque de William Sheller, En solitaire, il y avait aussi Romain Didier qui avait fait un album en public seul au piano que j'aimais bien. Michel Berger aussi. J'appréciais donc pas mal les variétés françaises mais le deuxième disque de Divine Comedy, Promenade, m'a également marqué. Il était écrit au piano et ça se sentait pas rapport à Liberation qui était un album de guitares. Au piano, il y a des harmonies différentes, une façon de travailler les mélodies qui m'attirait à la fois pour des raisons très liées au côté chanson plutôt populaire, mais aussi à cause de choses un peu plus british. J'ai toujours trouvé un équilibre entre ces deux pôles-là, j'aime bien l'idée d'être intermédiaire entre ces deux cultures.

Est-ce que tu apprécies la "nouvelle chanson française" : Miossec, Dominique A., Yann Tiersen etc. ?
Oui, mais ils ne m'ont pas influencé car je les ai découverts assez tard, quand j'avais vingt ans. C'est souvent vers 15, 16 ans qu'on est marqué au fer rouge par ses influences. A la fac, Dominique A. était important pour moi, Jean-Louis Murat aussi... Chez Dominique A., c'est le deuxième album, Si je connais Harry, qui m'a marqué. Il donnait l'impression d'avoir été enregistré très vite, les chansons semblaient avoir été écrites dans un laps de temps très court. Ce n'était certainement pas le cas mais ça donnait cette impression, j'aime bien les gens dont l'écriture paraît facile, rapide, leurs chansons ne semblent pas compliquées à faire. Je cours beaucoup après ça. Parfois, les gens peuvent me dire des choses comme celle que je dis sur l'album de Dominique A. qui semble avoir été fait en une semaine : "Cela n'a pas été trop long à enregistrer, votre album !". Cela peut même être un peu maladroit : on m'a même dit : "On a besoin de chansons comme ça, écrites en un quart d'heure !". La personne voulait dire que c'était fluide et que ça ne s'appesantissait pas tellement, ça partait d'un bon sentiment.



Si je te dis que je trouve ton album drôle et touchant, est-ce que tu le prends comme un compliment ?
Oui, de toutes façons, je ne prends pas mal les avis, même les mauvais. Après, il y a des choses qui sont blessantes : quand il y a des humeurs dans la presse. Je dis ça d'autant plus que j'ai eu beaucoup de chance avec ce disque, il a été bien accueilli ! Le jugement individuel des gens, il n'y a rien à en dire parce que chacun a sa façon de ressentir les choses, c'est comme pour les comparaisons : "ça me fait penser à ça". Même si toi, à l'intérieur tu n'es pas complètement d'accord, tu ne peux pas dire "non" parce que les gens perçoivent peut-être une partie de toi dont tu n'es pas conscient et ça leur fait penser à quelqu'un d'autre. J'ai toujours aimé être entre les deux pôles donc "drôle et touchant", ça me va.... Sur scène, je passe en permanence du chaud au froid, c'est une idée qui me convient.

Il y a quelques minutes, j'ai entendu dans la salle qu'il y a avait des bandes préenregistrées : ta voix off fait des commentaires assez drôles pendant le spectacle...
Du fait de la contrainte du spectacle piano voix, qui nécessite de rester à un endroit physiquement, on est obligé de varier un peu les angles car je n'ai pas envie de changer d'instrument trois fois dans la soirée. Je suis guitariste, un peu comme tout le monde, mais ça ne me tente pas de quitter le piano pour aller faire deux chansons à la guitare. J'aime bien cet exercice de rester au même endroit et de réussir à "renouveler" ce type de concert... Enfin, j'essaie de faire en sorte que les gens ne s'ennuient pas trop !

Il paraît que tu as déjà fait du théâtre...
Oui, j'ai fait du théâtre vraiment en amateur, quand j'étais à la fac. Mais en même temps, au niveau des espoirs que je mettais dedans, c'était très professionnel. En tout cas, j'avais vraiment envie de faire ça ! J'ai joué avec des gens qui d'ailleurs pour la plupart ont continué à faire du théâtre. Hier, on a fait une date à Lyon et j'ai retrouvé l'une des 4 ou 5 personnes qui a continué le théâtre après. C'était important, surtout le café théâtre, on s'est retrouvés dans des situations pas faciles à gérer, sur lesquelles je m'appuie sans doute beaucoup aujourd'hui. Par exemple, la possibilité à tout moment d'arrêter la chanson, de regarder les gens, de jouer avec les silences. C'est effectivement plus une technique de théâtre que purement de chanson, j'aime bien faire ça pour fixer un peu la salle. La façon de regarder le public, c'est important.

As-tu envie de recommencer à faire du théâtre, en professionnel cette fois ?
Non pas du tout, parce que j'ai eu mon quota : avec la chanson, à moment donné, j'ai réussi à réunir tout ce que j'avais envie de faire, toutes les velléités que je pouvais avoir. Pour l'écriture au théâtre, je ne peux pas dire mais pour le jeu théâtral, a priori je pense que ça va ! En plus, je jouais toujours un peu le même type de personnage, finalement pas très éloigné de celui que j'ai sur scène...

Est-ce que ça t'intéresserait d'écrire des scénarios ?
Je ne peux pas dire que je ne le ferai jamais parce qu'effectivement on ne sait jamais mais dans l'immédiat, ça ne me tente pas du tout, je me suis jamais attelé à ça. La seule chose que j'ai écrite ce sont des pièces de théâtre, j'aimais bien ça, écrire pour le théâtre, mais pour le cinéma ce n'est jamais venu...

As-tu envie de te lancer dans l'écriture d'un livre ou de nouvelles ?
C'est pareil, ce n'est jamais venu non plus. Ça, par contre, je crois que ça ne viendra pas parce que j'aime le format très contraignant d'écriture de la chanson ; avoir à représenter quelque chose en deux ou trois minutes, ça m'excite beaucoup.



Comment s'est passée la rencontre avec l'actrice Irène Jacob qui chante en duo avec toi sur Cosmopolitan ?
Je l'ai rencontrée par hasard, j'étais dans une émission sur France Inter, pendant l'époque où François Morel m'a soutenu, elle était l'invité principale, et moi j'adorais Irène Jacob. Je lui ai demandé si elle voulait bien chanter si un jour je faisais un duo, elle m'a dit "oui" et m'a donné son numéro de téléphone. Je ne l'avais pas rappelée pendant deux ans et puis un jour, juste avant qu'on aille en studio, je l'ai appelée. C'était vraiment au cas où parce que il y avait vraiment très peu de chance qu'elle soit là, comme elle tourne beaucoup à l'étranger, peu de chance qu'elle veuille bien, peu de chance que sa voix soit dans la bonne tonalité parce que je n'avais pas l'intention de retravailler la tonalité complète. En fait, il y a eu plein de paramètres qui ont fonctionné, on a eu beaucoup de chance sur le disque en général ! C'est ce qui fait que je pourrais être moins surpris qu'il marche bien, c'est qu'il y a vraiment eu une bonne étoile sur l'enregistrement.

Tu as interprété à la télévision Le lundi au soleil de Claude François en duo avec Keren Ann... Apprécies-tu Keren Ann et es-tu réellement fan de Cloclo ?
Ouais, j'adore Keren, c'est vraiment une fille que j'aime beaucoup ! Quand on apprécie les gens humainement, on aime d'autant plus ce qu'ils font... Ce qu'elle a fait pour cette émission, c'était vraiment bien ; après, j'ai regardé les Slap, vite fait, et j'ai trouvé que c'était la meilleure émission dans toutes celles qu'il y a eues, et ce n'est pas parce que j'y ai participé (rires). Keren est vraiment passionnée par la musique : chez elle, il y a des disques de folk en pagaille... Mathieu Boogaerts et Vincent Segal de Bumcello sont aussi comme ça, ils sont vraiment passionnés par ce qu'ils font, ils peuvent aussi parler longuement des autres. C'est vraiment LE critère pour moi d'intelligence et de fiabilité humaine : quand les gens sont capables de tenir une heure en parlant d'autres artistes, c'est toujours très bon signe et souvent aussi ça donne à l'arrivée des gens qui sont eux-mêmes talentueux. Keren Ann, elle fait partie de ça ! Quand je lui ai dit que Le lundi au soleil, ça marcherait bien mélodiquement pour nous deux, il m'a suffit de lui chanter sur le piano qui était chez elle pour qu'elle dise : "ah oui, c'est une bonne idée !". Elle était d'accord après une seule écoute alors qu'a priori ce n'était pas gagné de faire passer ça. C'est appréciable de travailler avec des gens comme ça : ils n'ont pas trop de regard sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire, ça tient la route ou ça ne tient pas la route. J'aime beaucoup les chansons dont le couplet est mélodiquement supérieur au refrain, je trouve que c'est le cas de pas mal de chansons de Claude François qui sont un peu "pompier" et où il y a vraiment de belles mélodies. J'aime bien ça aussi chez Simon And Garfunkel , souvent les couplets sont supérieurs aux refrains. Je trouvais ça marrant et atypique de chanter Le lundi au soleil avec Keren et, en plus, c'était hyper agréable à faire ! Tout ce qui est télé, on t'en parle beaucoup mais là, on me parle vraiment très souvent de ce cette émission !

Y-a-t-il des collaborations prévues sur disque avec Keren Ann ou Vincent Segal par exemple ?
C'est marrant que tu me dises ça... Vincent Segal, il est de la même famille de disques que moi, il est chez Tôt ou tard, il a travaillé sur pas mal d'albums très réussis comme celui de Frank Monnet, il a joué avec beaucoup de gens : Thomas Fersen, Dick Annegarn. Je l'apprécie beaucoup musicalement et humainement, c'est ça qui pourrait me pousser à bosser avec lui en plus du fait qu'il a du talent. Finalement, les gens talentueux, il y en a pas mal mais ceux qui ont à la fois du talent et qui sont très agréables et très ouverts, sont moins nombreux ! Quant à Keren, ça se ferait sous la forme d'un duo, ça n'irait pas plus loin car je ne me sens pas de travailler sur des arrangements, une production ou une réalisation de disque et elle non plus je pense, j'en suis même sûr. Par contre, ce n'est pas du tout exclu qu'on travaille ensemble si un jour j'ai besoin d'une voix ou pour de la scène. Par exemple au Bataclan en mai, j'aimerais bien qu'elle vienne chanter un soir ou deux.

Ecrire pour d'autres personnes, ça ne te tenterait pas ?
Pas tellement, parce que j'ai le sentiment d'avoir un univers qui n'est pas immense et du coup, je n'ai pas forcément beaucoup intérêt à reproduire ça chez d'autres, c'est très, très égoïste ! Ce sont des théories à froid : si on te propose d'écrire une chanson pour untel, tu peux être intéressé. Thomas Fersen par exemple, il a très peu écrit pour les autres et finalement, ça lui a donné quelque chose, dans le mystère, dans la construction de son personnage. Il a vraiment un univers qui n'est qu'à lui et ça me plait bien.

Justement, à propos de Thomas Fersen, je l'avais vu à un meeting contre Le Pen au Zénith à Paris interpréter Bella ciao, un chant révolutionnaire. Est-ce que tu t'intéresses à la politique et pourrais-tu participer à des manifestations comme celle ci ?
Non, plutôt non... Ce n'est pas que je m'intéresse pas à la politique, c'est qu'en temps que chanteur, j'aime pas du tout, la chanson c'est un moyen d'esthétisation de tout ce que tu vis, et la politique est LE domaine inesthétique pour moi ! En plus, je n'ai pas du tout un poids qui me permet de faire pencher la balance... C'est tellement particulier pour Thomas, je crois qu'il n'en fait pas énormément.

Oui, c'était entre les deux tours de l'élection présidentielle en 2002, il a été très sobre...
Je pourrais très bien me retrouver dans cette configuration-là car c'est très particulier ce qu'il y a eu entre les deux tours. J'ai des convictions qui sont tellement peu originales dans le milieu où j'évolue que je ne ressens pas le besoin de les afficher.



Quand le sujet politique est amené de manière subtile comme chez Noir Désir, tu es d'accord ?
C'est différent, parce que l'énergie du rock s'y prête de manière différente. Ça dépend du tempérament de chacun : je construis beaucoup ce que je fais sur des choses concrètes, des choses qui sont proches de moi, qui sont éventuellement peut-être un peu nombrilistes dans le sens où elles tournent autour de moi. Mes chansons ne sont pas tellement tournées vers les autres en général, ce n'est pas quelque chose que je regrette parce que j'aime bien les artistes qui sont tournés sur eux-mêmes comme Alain Souchon ou Barbara. La chanson pour moi, c'est quand même un art de l'égo, tu parles de toi et à partir de là ça s'ouvre vers les gens car en parlant de soi, les gens trouvent un écho à leur vie. Par exemple, le spectacle qu'on fait, c'est un spectacle qui ne me permet à aucun moment de dire sans que ça pose un vrai problème "tiens, monte moi le son du retour", parce que je construis un personnage qui avance dans le spectacle comme ça. Je préfère faire tout le spectacle avec un retour mauvais (en sachant qu'en façade le son est bon pour les gens) plutôt que de casser le truc. Ça dépend des gens, pour un concert de Noir Désir, ce n'est évidemment pas pareil ! Mon spectacle s'articule comme comme une pièce de théâtre où tu ne peux pas te permettre de parler, il est écrit, je n'improvise pas sur scène. Les transitions entre les chansons sont écrites, je ne veux pas avoir à les improviser parce que je n'aime pas trop ça, le semblant d'improvisation ! C'est assez répandu, les gens qui font "heu", "ha" etc. La scène, c'est tellement spécial qu'à deux ou trois exceptions près, tous les gens qui font semblant d'improviser ressortent les mêmes trucs d'un soir sur l'autre dans le but que les gens se disent que c'est incroyable. Je préfère avoir quelque chose qui montre carrément que c'est écrit, quitte à ne vraiment pas pouvoir sortir de ça. Une fois, on m'a demandé de faire une dédicace, je n'ai pas pu le faire à cause de ça.

Ne vas-tu pas te sentir enfermé à force de jouer toujours le même spectacle ?
On change des choses. Sur le première partie de la tournée, on a construit énormément autour du spectacle de La Cigale. Les dates parisiennes, on sait à l'avance que ça va être important, en province, on est surpris par la beauté d'un théâtre car on ne connaît rien à l'avance.

Tu éprouves le même plaisir à jouer en province ?
Oui, complètement ça dépend des endroits. Il y a une bonne ambiance un peu partout mais il y aussi des exceptions, le spectacle marche parfois moins bien...

Tu ne joues que dans des théâtres ?
Non, on joue aussi dans des salles de musiques actuelles, des endroits un petit peu plus rock and roll. A Lyon hier, c'était une salle très théâtre, très bourgeoise : le théâtre Molière, une salle de musique classique, je ne sais pas si tu connais. C'est une salle que les Lyonnais ne connaissent apparemment pas beaucoup. C'était très beau et impressionnant, c'est une date aussi importante qu'une date parisienne. J'ai besoin de visualiser la physionomie de la salle, c'est pour ça que les dates de Paris constituent un objectif dans l'emploi du temps.

Ecoutes-tu des disques très éloignés de ton univers musical ?
Oui, j'écoute beaucoup de musiques de films, je ne sais pas si c'est très éloigné de mon univers musical. En tout cas, j'écoute beaucoup les autres d'une manière générale, j'ai toujours acheté beaucoup de disques, même un peu trop : j'achetais pas mal de disques de pop anglaise sur la tête de la pochette, je me suis souvent fait avoir ! J'écoute beaucoup de pop, les Smiths par exemple...

Ecoutes-tu des trucs super violents ?
Non, j'ai toujours été attiré par la mélodie, j'étais plus Beatles que Stones, j'étais plus Macartiste que Lennonniste. J'aime assez les sons clairs, l'overdrive ça ne m'intéresse plus ! J'ai touché à ça quand j'étais au lycée mais maintenant je n'ai plus la même patience pour ça.

Quels sont tes rêves en tant qu'être humain et en tant que musicien ?
En général, je ne parle pas de mes rêves en tant qu'être humain, ce sont les mêmes que tout le monde. On peut trouver des biais pour le formuler mais c'est toujours très niaiseux, à l'eau de rose. C'est l'intérêt de travailler autour des mots, ça permet de formuler des sentiments. Je n'aime pas du tout l'abstraction en général, c'est quelque chose de trop grand, trop gros comme projet. Musicalement, ce dont j'ai rêvé, c'est ce qui m'arrive : prendre des trains, aller jouer à droite à gauche, j'ai vraiment couru après cette mythologie là, j'espérais ça ! La chanson, je fais ça pour ça : pour la scène.



Quels sont tes projets à court ou moyen terme ?
Il n'y en a pas d'autre que la tournée, si ce n'est écrire des chansons. L'écriture ce n'est pas quelque chose qui se provoque, je ne crois pas trop à l'idée de s'arrêter un mois pour écrire...

Est-ce que tu as commencé à écrire d'autres chansons ?
Oui ! Dans le spectacle, il y a des chansons qui sont nouvelles et d'autres qui, au contraire, datent d'avant l'album. Parce que, tout bêtement, il faut tenir une heure et demie alors que le disque dure une demi-heure, je n'avais pas le choix. J'aimerais avoir un panneau pour indiquer "nouvelle chanson" ou "ancienne chanson", pour ne pas que les gens prennent toutes les chansons qu'ils ne connaissent pas pour des nouveautés ! C'est un peu gênant parce que ce sont des chansons anciennes et j'ai envie que les gens situent bien la chronologie.

Est-ce que tu ressens une pression particulière pour la sortie de ton deuxième album ?
Non... Enfin, si, j'y pense mais la pression c'est moi qui me la mets tout seul, j'aimerais bien que ce soit des chansons que j'aime bien. A part ça, je n'ai pas de pression de l'extérieur, j'ai un environnement discographique et de tournée qui est assez souple là-dessus, ils savent qu'il faut ménager tout le monde.

Est-ce que tu as été surpris par le succès que tu rencontres actuellement pour ton premier album ?
Oui, en plus quand on a fini d'enregistrer le disque, on en était content mais ce n'était pas calibré au niveau du son. A la première écoute chez moi, je me suis dit "tiens, c'est un peu bizarre !" En plus, à ce moment-là, quand tu viens de finir le disque, tu l'écoutes sur différentes platines, je trouvais qu'il ne sonnait pas du tout pareil d'un endroit à un autre. Tu es beaucoup dans l'optique du son à la fin de l'enregistrement, c'est quelque chose qui n'est pas marrant, que je n'ai pas du tout aimé faire. Les séances d'enregistrement des musiciens, c'est super, mais pour le réglage du son, tu passes trois semaines sur ta voix. Le succès m'a surpris car avant qu'il n'y ait le disque, quand j'étais au théâtre des Déchargeurs à Paris (une petite salle de quarante personnes où je suis passé une fois par semaine pendant une saison), il y avait entre 15 et 20 personnes à chaque fois, les gens étaient contents mais ils me disaient que c'était une époque un peu difficile pour ce genre de chanson... C'était normal de dire ça car c'était très "caveau littéraire". C'est toujours pareil, une fois que ça fonctionne, ça parait logique que ça marche mais avant... Les chansons paraissaient difficiles d'accès parce qu'il y avait beaucoup de références ; c'est marrant, maintenant les choses se retournent, on me dit : "Vous vous doutiez bien que ça allait marcher parce que ce sont des références qui font partie de tout le monde.". Ce retournement, c'est quelque chose que j'ai connu à travers La première gorgée de bière qui était aussi un projet pas du tout prévu pour avoir cette destinée là.

Qu'est ce tu pourrais répondre aux grincheux qui vont immanquablement te dire que tu as réussi parce que tu es un "fils de..." ? Est-ce que cela t'est déjà arrivé qu'on te dise ça ?
Pas tellement ! Je ne leur répondrais rien parce que si les gens pensent ça, il n'y à rien à répondre, c'est peut-être vrai (rires) ! La scène, il n'y a que ça comme réponse possible, tu es tout seul, tu as un piano, ça ne te sert pas à grand chose d'être le "fils de..." ! C'est un truc qu'on ne m'a pas dit (peut-être que ceux qui le pensent ne le disent pas !). Il y a des gens qui n'ont pas envie de t'aimer pour des raisons que tu ne maîtrises pas, tu ne peux pas convaincre tout le monde, c'est pour ça que je ne me défends jamais sur ces trucs-là. En plus, ça m'a sûrement aidé, tu ne peux pas dire que ça ne t'a pas aidé du tout ; tu ne peux pas savoir où ça va se nicher. Par exemple, la phonétique du nom, elle a sûrement été plus facile à retenir du fait qu'il y avait déjà eu un nom comme ça. Tu ne sais pas non plus si les gens qui te prennent dans un théâtre n'ont pas été influencés par ça. Je ne sais pas, j'ai une petite idée mais..."

Liens : vincent-delerm.com, www.totoutard.com.

(Photos prises par Laurent Combe à la salle Molière de Lyon, le 18 novembre 2002.)




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