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Entretien avec Watine à propos de l'album This Quiet Dust et du projet Atalaye

Entretien avec Watine à propos de l'album This Quiet Dust et du projet Atalaye en concert

13 février 2014

Interview réalisée le 25 février 2014 par Caro Campo-Dussouet




Une cuisine baignée de soleil en cette fin d'après-midi hivernale nous invite à partager un moment suspendu autour d'un thé. Des personnes chères, de celles qui comptent dans la vie, se rappellent à la mémoire de Watine. Sa grand-mère notamment, cette femme qui jouait merveilleusement de l'orgue et qui permettait à Catherine de l'accompagner, privilège de musiciennes car sans doute pressentait-elle déjà que sa petite fille si talentueuse dès son plus jeune âge, deviendrait un jour une artiste confirmée. Watine éveille et émerveille. Quel chemin parcouru ! L'univers de Watine oscille entre le clair-obscur de sa musique et sa voix, lumineuse et profonde. Il est aussi question de ce garçon qui avait accompagné le travail d'arrangements de corde des morceaux de Watine et lui a dit " Fonce ! Fais connaître ta musique! ". Et l'aventure débute...


"Half Past Seven" (album This Quiet Dust par This Quiet Dust) :



Dès le début de ta carrière, les Inrocks évoquent déjà " une artiste unique ", quand XRoads décrit ta musique comme possédant " du Lynch dans l'atmosphère, du Nick Cave dans la noirceur et de PJ Harvey dans ta perso. " Comment vis-tu cela ?
Dès que j'ai pris un attaché de presse, et me suis lancée dans l'aventure : Dermaphrodite sort dans les bacs. Très vite, les chroniques arrivent ... en rafale ! La première que j'ai reçue figurait dans un webzine qui s'appelle " A découvrir absolument ". Je pleurais de bonheur en lisant la chronique. Après les Inrocks qui ont fait deux fois des articles en me citant parmi les 10 révélations de l'année juste derrière Camille. J'étais totalement ... abasourdie. Tout s'enchaîne: on me demande si je peux tourner. Je n'avais pas encore monté de groupe de scène. Je commence à répéter avec mon groupe. Et ... j'arrive à l'hôpital.

Comment vis-tu ce combat contre la maladie ?
J'étais malade depuis un certain temps déjà. Pendant deux années j'ai soigné mon cancer, je suis revenue doucement à la surface. Je me suis rendue compte qu'on encense aussi vite les artistes qu'on les oublie. Mon set était prêt, j'avais travaillé dur et je ne voulais pas nécessairement parler de ma maladie. Ce cancer ne faisait pas partie de moi, c'était un accident. Par contre, après cette épreuve, je n'ai eu qu'une envie, celle de refaire un album. J'éprouvais le désir d'être à nouveau sur la scène, de retrouver ces sensations, parce qu'elles me portaient et me faisaient du bien. C'était un projet pilier, une progression vers le bonheur.

Et ce fut la sortie de B-Side Life...
Dont le titre était évidemment une évocation de ces dernières années. Pouvaient comprendre ceux qui savaient... J'ai voulu cet album très libre. De tous mes albums c'est celui que je préfère. Il y a beaucoup de choses dedans. Il parle de mon enfant intérieur, ce tout petit enfant qui est remonté progressivement à la surface.

B-Side Life est arrivé avec une pression plus importante car les gens attendent toujours beaucoup d'un deuxième album. Et ce fut un succès immédiat...
Quand B-Side life est sorti, les chroniques ont déferlé à nouveau. On m'a invitée à des émissions de radio où j'ai joué en live chez Europe 1, RFI et Nova. C'était reparti, puissance mille. J'ai constitué un groupe de scène en choisissant des instrumentistes aguerris. Certains jouaient 6 ou 7 instruments différents. Pendant que moi je tournais de la voix au piano ou aux perçu, celui qui était au piano pouvait se retrouver au violoncelle ou à la scie musicale. Ce second album m'a confirmée dans le fait qu'on découvrait un univers musical, à part dans le paysage français.

Et ton nom a jailli dans les chroniques rock des magazines
Oui, on a commencé à m'appeler La Dame Blanche, la Grande Dame, la Dame de Saint Cloud.

Comment travailles-tu ta voix ?
Je n'ai jamais pris de cours. Enfant, je chantais dans une chorale de chant grégorien dans laquelle je faisais partie du " bon socle ". Je travaille beaucoup ma voix sur scène quand j'annonce mes chansons. J'essaye toujours de soigner mes introductions et j'aime poser ma voix sereinement, lentement. Pour tout dire, je me sens bien dans cette voix-là. En revanche concernant ma voix chantée, je ne me considère pas intrinsèquement comme une chanteuse. J'exprime ce que je ressens. Je qualifierais ma voix de " voix d'auteur ".

En mettant en musique les poèmes d'Emily Dickinson, tu t'inscris dans l'expression de la poésie chantée et de la chanson d'Art. Comment s'est passée la genèse de ce projet ?
Tout a commencé grâce à Paul Levis. J'ai rencontré ce musicien il y a 6 ou 7 ans par le biais du site CQFD des Inrocks qui s'appelle aujourd'hui Les Inrocks Lab. J'adorais sa musique, cette sorte d'introspection et d'intimité desquelles jaillissaient des traits de lumière. Au fur et à mesure de nos échanges, Paul qui joue aussi bien de la guitare que du ukulélé a participé au groupe de scène que j'avais monté. Un jour, il vient me voir et me dit " j'ai un album pour toi ". Je ne comprenais pas. Que souhaitait-il exactement ? Quelques mois passent quand je reçois une maquette de l'album et Paul me propose de chanter. Je tombe raide. " Tu es Emily Dickinson : tu es une vieille enfant, c'est une vieille enfant. Tu es folle, elle est folle". Je connaissais la poétesse, et lu " La Dame Blanche " de Christian Bobin. Les idées ont fusé notamment la multiplicité des voix et des chœurs. En lisant les poèmes d'Emily, on s'aperçoit qu'elle superpose un nombre important d'images les unes aux autres, comme une sorte de diffraction à la lumière. J'avais envie d'amener la voix vers la multitude : des petits rires, des sifflements, cette lumière nécessaire et aussi une certaine gaieté permettant d'adoucir le caractère sombre de certains poèmes. On entassait des pistes et des pistes dans une euphorie vertigineuse, ensuite Paul passait un temps infini à monter les voix, parfois une cinquantaine s'entremêlaient dans cet univers de poésie. C'est avant tout l'album de Paul, je me suis occupée des arrangements de voix sans jamais souhaiter toucher à son travail que je jugeais trop beau.

Peux-tu me parler de la pochette de l'album ?
C'est Paul qui l'a créée. Paul et moi nous sommes totalement différents en apparence. Notre rencontre est très étrange. Au-delà de nos caractères opposés, et dans notre moi profond, on se ressemble énormément. Ma pochette " Still ground for Love " et celle qu'il a dessinée pour This Quiet Dust " en est l'exemple flagrant. Similitude troublante n'est-ce pas ?



Cet album " This Quiet Dust " est-il une parenthèse dans ta musique ?
On peut considérer que c'est une sorte de quiproquo. J'adore cet album, il m'a engloutie totalement. J'aime cette expression folk que je n'ai jamais pu révéler au piano, mon instrument de prédilection. Le piano est l'instrument du classique, du jazz, de la variété, mais pas du folk. J'avais déjà commencé mon projet en français quand Emily Dickinson m'a totalement perturbée.

Tu veux parler du projet Atalaye ?
Oui. Atalaye signifie " tour de guet ", et par extension " le guetteur ", c'est celui qui voit plus loin, celui qui est au phare. C'est Jean-Daniel BEAUVALLET, le rédacteur en chef musique du magazine Les Inrocks qui a trouvé ce nom. Un nom qui semble a priori lourd à porter, mais je souhaite exprimer des textes affranchis d'une ligne imposée, des textes signifiants, sans me conformer à une étiquette. Chacun est libre dans l'écoute d'y puiser le sens qu'il souhaite donner et d'en conclure des rapprochements avec le titre de l'album. J'aime l'esprit de liberté. Quelqu'un m'a dit au sujet d'un des morceaux de ce projet " Catherine, connais-tu le réalisme magique ? Tes textes en sont porteurs. "

Qu'est-ce que le réalisme magique ?
C'est un courant littéraire qui mêle la magie à la réalité. Gabriel Garcia Marquez et son roman Cent ans de solitude en est l'exemple typique. Ce réalisme magique est aussi présent dans un morceau où j'évoque la poésie de Lamartine dans une réalité actuelle. Quand j'écoute Les Appalaches je ressens cette sensation là. Amener de la magie dans la phrase, dans un contexte qui apporte une force, un caractère à la réalité. Ce morceau transcrit l'état de la Femme traversant des épreuves difficiles, mais au final triomphante. C'est au final ce qui caractérise l'ensemble de mon travail : cette ambivalence et cette complémentarité entre la force et la faiblesse.

" Le rivage est plus sûr, mais j'aime me battre avec les flots ". Emily Dickinson
Oui bien sûr ! Je dirais même " J'aime me battre avec les flots et de temps en temps, Dieu merci, heureusement que je vois le rivage ! ". La force de me battre possède plus d'attraits pour moi que le rivage mais il faut que je sache qu'il existe.

Quel est ton rivage ?
C'est la Nature avant toute chose. La véritable force est intérieure. Je suis indisposée profondément par tout ce qui me semble inutile. J'aime le recueillement, je pars parfois marcher pendant des heures, j'aime l'Atlantique, les dunes, l'océan. Je marche souvent le long de la plage, pieds nus pour m'ancrer au sol. J'éprouve ce besoin de me retrouver, de comprendre que nous appartenons à la terre, à cette force là. Les personnes qui m'entourent font aussi partie de mon rivage, je les sais présentes et je ressens ce respect, cette profonde admiration. Même si elles ne l'expriment pas nécessairement, je m'en suis rendue compte à travers les expériences et épreuves de la vie que j'ai pu traverser.

Cet album, ATALAYE, va-t-il te révéler encore plus que les précédents ?
Oui, cet album va me révéler. Je n'ai aucune idée de l'accueil qui lui sera fait. Déjà la difficulté de prononcer le titre. Et puis il s'agit d'un album en français. J'aime donner du sens à mes chansons. J'en suis encore au stade où j'ai le choix de retirer un peu de texte pour privilégier la musicalité de l'album. En même temps, je réalise que le sens de certaines phrases est primordial pour exprimer ce que je ressens profondément. Je suis donc à la croisée de deux chemins : phrasé ou musicalité.

Les mots sont importants pour toi ?
Oui. Même si j'aime vraiment leur musicalité. J'ai beaucoup écrit sans jamais publier : roman, pièce de théâtre. La musique a fait irruption dans ma vie, c'est elle qui s'est emparée de moi et non l'inverse. J'ai slamé dans les cafés, et certains poèmes ont été les points de départs de mes chansons.

Tu nous en livres quelques uns ?
" Les risques de la nuit sont qu'on ne voit pas le jour
ce qui ressemblait la nuit à de l'amour
Nous fûmes fulgurants objets de nos désirs
mais ton futur n'est pas présent dans mon avenir
Rue des minimes j'assure le minimum vital
Je ne veux plus te suivre dans tes escales
je ne veux plus aller à la casse des larmes
Il y a déjà trop d'eau dans les mélos
Après les actes viennent les attitudes
Je n'ai sans doute pas trop d'aptitudes
aux actes manqués par manque de courage
Et si l'homme est à l'acte je suis à la rupture
des eaux et des faux en écritures
Au bas des registres sans signature
Des hôtels de passe
où les mots de passe
me font passer en rasant les murs
Mise à part que je ne veux plus être mise à part
A ma fenêtre je vois l'amertume
Tu me fais rentrer dans les rancunes
Le fruit était pourtant dans le vert de tes yeux
La pulpe de mes lèvres était promise au feu
Mais je ne suis qu'un bûcher pour tes vanités
Une écume des jours journellement quittée
On ne craquera plus les allumettes
il n'y a presque plus de souffre-en ce moment
Les passions muettes sont soumises aux liaisons
Elles tombent dans l'oubli ou dans la trahison
Rien ne sert de courir il faut partir à point
Et le point de non retour je l'ai atteint
Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin je me casse
Si je suis Cendrillon tu trouveras ma trace
Ce n'est qu'en surface que je t'efface
Il t'aurait suffi de me faire de la place "


En voici un second :
" Les bateaux dans les ports s'évaporent
Et la mer se retire en repliant ses vagues
C'est là que tout devient étrangement vague
Comme un jetlag après l'aéroport
T'est-il déjà venu à l'idée d'entrer dans le désordre de tes idées ?
La tour de Babel, ce n'est rien à côté
C'est pour ça qu'un beau jour Docteur Freud est né
Car malgré nous, nous voulons tous l'immortalité
Et Faust de le constater
Nous ne chanterons qu'un seul été
A la salle des ventes montent les enchères
La vie m'échappe mais la vie m'est chère
Alors j'attends que là-haut quelqu'un me reperd
Pour que je forme un notre père
Non l'enfer ce n'est pas les autres, certes
Sartre disait le contraire
Mais il avait BEAUVOIR et il ne voyait qu'elle "



Watine - "Appalaches" :



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